Toujours agréable certes, un petit somme permet-il vraiment d’améliorer ses performances ? Notre journaliste Alex Hutchinson, spécialiste des sciences de l’endurance et du fitness, passe au crible les résultats de différents essais cliniques, afin de dégager les premiers éléments de réponses.
Je suis en train de dévorer un livre sur les essais cliniques… Oui, oui. Et c’est bien plus passionnant que ça n’en a l’air ! L’ouvrage, au titre peu vendeur je l’admets (Études randomisées : comment les chercheurs les plus extrêmes changent notre monde) a été écrit par Andrew Leigh, un économiste australien devenu homme politique. Son principe de base ? Seuls les essais cliniques permettent de connaître et d’affirmer quelque chose. Pour faire simple, on donne le traitement à certains, on le refuse à d’autres, et on voit qui tire son épingle du jeu.
Son livre commence par la célèbre expérience menée par le chirurgien écossais James Lind en 1747, souvent considérée comme le premier essai clinique de l’Histoire. L’homme avait donné à 12 marins atteints de scorbut des traitements différents à base de cidre, d’acide sulfurique, d’eau de mer, de vinaigre, de pâte médicinale ou d’agrumes : seuls ceux bénéficiant des derniers avaient survécu. Mais l’ouvrage ne se cantonne pas à la médecine, il examine également les résultats stupéfiants atteints dans des domaines aussi différents que l’éducation, l’économie ou encore la réduction de la pauvreté, grâce aux essais cliniques. Une conclusion : parfois notre instinct a raison, le reste du temps il a tort.
Des résultats plus compliqués qu’il n’y paraît
Je méditais sur la question quand je suis tombé sur un article rapportant un nouvel essai clinique, dans la revue European Journal of Sports Science. Intitulé « L’influence de la sieste sur la performance sportive de coureurs entraînés », il été réalisé par l’équipe d’Anthony Blanchfield de l’université de Bangor, au Pays de Galles. C’est a priori évident : la sieste étant un moment merveilleux, elle ne peut donc qu’améliorer les performances ! Mais les résultats sont un peu plus compliqués qu’il n’y paraît.
L’étude porte sur 11 coureurs qui ont été soumis, dans un laboratoire, à des épreuves d’effort à deux reprises, de façon aléatoire. La première fois, il leur a été demandé de faire une sieste de 40 minutes, 90 minutes avant l’épreuve environ. La seconde, on ne leur a rien demandé en particulier. A première vue, la sieste (qui comprenait en moyenne une vingtaine de minutes de sommeil réel) n’a eu aucune incidence : le temps moyen était de 596 secondes avec la sieste, contre 589 secondes sans, soit aucune différence majeure entre les deux.
Mais un enseignement intéressant est ressorti de l’étude. Ceux qui avaient le moins dormi la nuit avant l’épreuve étaient plus susceptibles de voir leur temps s’améliorer. Voici à quoi ressemblaient les résultats individuels en fonction de la durée de sommeil des coureurs la nuit d’avant (les chiffres au-dessus de zéro indiquent une amélioration après la sieste):
Le graphique est éloquent. Les coureurs qui ont amélioré leur temps après la sieste avaient dormi 6,4 heures en moyenne, alors que ceux qui n’ont pas constaté d’amélioration avaient dormi en moyenne 7,5 heures. Ces temps de sommeil correspondaient à une nuit-test effectuée un mois avant l’expérience, ce qui tend à montrer que c’est la tendance globale qui fait la différence, et non pas une seule mauvaise nuit de sommeil. Les auteurs concluent qu' »une courte sieste dans l’après-midi améliore les performances en endurance des coureurs qui dorment moins de 7 heures par nuit ».
A première vue, le tout semble plutôt logique. Mais le fait d’avoir lu juste avant l’ouvrage d’Andrew Leigh m’a mis la puce à l’oreille. Après tout, ne pourrait-on pas tout autant conclure qu' »une courte sieste dans l’après-midi détériore les performances en endurance des coureurs qui dorment plus de 7 heures par nuit? ».
Une croyance instinctive dans les bienfaits de la sieste
Un autre article sur le sujet, récemment publié dans la revue “International Journal of Sports Physiology and Performance”, disait qu’une sieste dans l’après-midi n’avait aucun effet sur les performances de lycéens de Singapour qui pratiquaient le tir sportif et détériorait leurs résultats au sprint. Il est possible que la sieste n’ait pas les mêmes effets sur le sprint et sur l’endurance. Ou bien il se peut que les athlètes de l’étude de Singapour n’aient pas été bien réveillés ce jour-là, parce qu’ils avaient dû courir seulement 45 minutes après s’être réveillés. Mais en tout cas, apparemment, faire la sieste n’est pas toujours bénéfique.
Ma croyance instinctive dans les bienfaits de la sieste est si forte que je ne puis m’empêcher d’être convaincu par ce qu’on a vu plus haut dans le schéma : les siestes améliorent les performances quand on est en manque de sommeil. Mais il semble que les essais cliniques, même concluants, mettent souvent de longues années avant de faire parler d’eux. Au 18ème siècle, James Lind a ainsi établi que la consommation d’agrumes pouvait prévenir l’apparition du scorbut dès 1747, et ça n’a pas empêché des milliers de personnes à travers l’Europe et les Amériques d’en mourir pendant la guerre de Sept Ans, entre 1756 et 1763.
Je vais donc essayer de rester ouvert d’esprit jusqu’à ce que de nouvelles preuves irréfutables soient disponibles. En attendant, je vais continuer à siester chaque fois que je le peux, non dans l’espoir d’améliorer mes performances, mais simplement parce que j’aime la sensation de m’endormir sur le canapé par un après-midi ensoleillé, après avoir laissé glisser mon livre sur le torse. Sur ce sujet, peut-être, après tout, n’ai-je pas besoin d’en savoir davantage…
Photo d'en-tête : Austin Schmid