L’Association nationale des élus de la montagne (Anem) a appelé, le 10 septembre 2025, à la création d’un ministère de la Montagne. Une demande qui n’arrive pas par hasard : le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu doit former son gouvernement cette semaine selon un calendrier qu’il s’est fixé lui-même. Mais quel serait le sens d’une telle initiative ?
Plus de 7 millions de Français habitent à l’année dans un département montagneux, en métropole ou en outre-mer. Ce chiffre monte à 13 millions en comptant les vacanciers et les résidences secondaires. Et si aucune étude n’établit avec précision le poids économique du milieu montagnard en France, pour la seule région Auvergne-Rhône-Alpes, un rapport avançait un chiffre d’affaires annuel d’environ 7,5 milliards d’euros par an dans un document de septembre 2021 sur l’économie régionale. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, d’après un rapport de 2023, le chiffre d’affaires de la filière montagne pèse 3,5 milliards d’euros. En parallèle, la montagne, qui représente 25% du territoire français, subit de plein fouet le changement climatique : elle se réchauffe plus vite que tout autre milieu naturel. Un ensemble d’éléments qui a conduit l’Association nationale des élus de la montagne (Anem) a appelé, le 10 septembre 2025, à la création d’un ministère de la Montagne.
Jean-Pierre Vigier, député Les Républicains de Haute-Loire et président de l’Anem, conçoit ce ministère « sur le même modèle que celui chargé de la ruralité ». « La montagne est un territoire avec ses spécificités et dans la première loi Montagne de 1985 a été écrit le droit à la différenciation », poursuit-il dans une interview accordée à la RCF. Le texte auquel fait allusion le député établissait il y a 40 ans un principe fondateur : les territoires montagnards ont des besoins et des contraintes spécifiques. Or, enchaine l’élu, « des normes s’appliquent aujourd’hui de la même manière à un hôtel de 1 000 chambres à Paris et à un hôtel de 9 chambres en zone de montagne ». Un contresens et un poids pour certains établissements « obligés de fermer » à cause d’exigences absurdes et déconnectées de leur réalité.
« Porter la voix de la montagne à Paris »
Selon le président de l’Anem, un ministère de la Montagne permettrait de « porter la voix de la montagne à Paris, à l’Assemblée nationale et dans les ministères ». Concrètement, il s’agirait de donner une visibilité nationale et politique aux enjeux montagnards. Trois grands objectifs : préserver et renforcer les outils spécifiques créés par la loi Montagne de 1985, soutenir le développement économique et développer l’accessibilité des territoires montagnards et enfin préserver le milieu naturel et mieux le défendre dans un contexte de crise environnementale. Face aux multiples enjeux, l’Anem demande au gouvernement, à minima, « un nouveau pacte de la Nation avec la montagne ».
Pour rappel, si un ministère de la Montagne n’a jamais vraiment existé en France, un secrétariat d’État chargé des Travailleurs manuels et de la Montagne avait été créé sous la présidence de François Mitterrand. Ce secrétariat officiait, entre 1981 et 1983, sous l’autorité de Gaston Defferre, alors ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation dans le gouvernement de Pierre Mauroy. Ensuite, entre 1984 et 1986, un nouveau secrétariat voyait le jour, cette fois rattaché directement au Premier ministre, à savoir Laurent Fabius, nommé après un remaniement. Son nom : le secrétariat d’État chargé de la Montagne et des Sports de montagne. Depuis ? Une loi Montagne – peu ou pas respectée – promulguée en 1985 dans le cadre de la création d’un Conseil national de la montagne (CNM)… dissout en mars 2025.
Un ministère de papier ?
Alors Sébastien Lecornu, le nouveau Premier ministre nommé le 9 septembre 2025, s’inspirera-t-il de ses lointains prédécesseurs ? En tant que ministre chargé des Collectivités territoriales, il avait pris la parole à Morteau, le 18 octobre 2018, au congrès de l’Anem, et ouvrait son discours par ces mots : « Chez moi, dans l’Eure, les plateaux sont assez plats (…) On n’a pas forcément le goût du relief, une petite colline et quelques virages nous font vite tourner le cœur ». Sept années ont passé depuis, en espérant que ce laps de temps ait été suffisant à Sébastien Lecornu pour travailler son pied montagnard et surtout prendre connaissance d’enjeux déterminants pour 25% du territoire national.
Un ministère de la Montagne « constituerait un signal fort à l’occasion du 40èmeanniversaire de la loi Montagne », veut croire Xavier Roseren, député Horizons de Haute-Savoie… et accessoirement candidat à la mairie de Chamonix. Verdict dans les prochains jours mais après la dissolution du CNM, pas sûr que l’élu savoyard soit entendu dans les plus hautes sphères de l’État. D’autant que cela soulève une question : pourquoi pas aussi un ministère de la Mer ? La France possède 20 000 kilomètres de littoral entre son territoire métropolitain et l’outre-mer. En termes de poids économique, cela représente 1,5% du PIB national, soit 43 milliards d’euros de valeur ajoutée d’après les chiffres de 2019 du ministère de la Transition écologique. Un ministère de la Mer avait d’ailleurs vu le jour… en 1981, au début de l’ère Mitterrand, en parallèle du lancement du secrétariat d’État chargé de la Montagne. Depuis décembre 2024, la politique autour de la grande bleue est rattachée au ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche.
Autre enjeu qui gravite autour de la création d’un ministère de la Montagne : les différents coûts que cela engendrerait. Et même si le président de l’Anem Jean-Pierre Vigier assure ne pas demander « un centime supplémentaire au futur gouvernement », la création de cette nouvelle entité politique générerait automatiquement des coûts de fonctionnement. Sans nécessairement faire plus entendre la voix de la montagne, peut-on craindre. Car d’autres leviers politiques sont possibles.
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