Mercredi après-midi, trois millions de mètres cubes de matériel accumulés sur le glacier du Birch sont descendus dans la vallée, détruisant 90 % du village de Blatten comptant 300 habitants, dans le canton du Valais. C’était le pire scénario imaginé par les géologues qui surveillaient depuis une dizaine de jours la montagne. Que s’est-il passé ? Quels sont les risques actuels. Peut-on en craindre en France une catastrophe similaire ?
Quelle est la cause de la catastrophe ?
Le glacier de Birch est très particulier, selon Christophe Lambiel, maître d’enseignement et de recherche à l’Unil et spécialiste des glaciers. « Alors que la quasi-totalité des glaciers des Alpes sont en fort retrait, celui-ci était un des seuls qui avançait de plusieurs mètres par année, depuis une dizaine d’années », expose-t-il à nos confrères de la RTS. Le changement climatique a « probablement » joué un rôle dans cet effondrement, car il se trouve sous une haute paroi rocheuse prise dans un permafrost qui s’est dégradé sous l’effet du réchauffement ces 10-15 dernières années. « Cela affecte la stabilité des parois, donc on a eu une forte augmentation des chutes de blocs rocheux », poursuit-il « Cela a amené beaucoup de poids sur le glacier, et c’est un facteur déterminant dans sa vitesse. C’est pour ça qu’il était dans une position très instable. Et les éboulements des dernières semaines l’ont chargé encore plus. »
Ce phénomène exceptionnel a généré des secousses ressenties dans toute la Suisse. Il s’agirait de l’un des plus grands mouvements de masse jamais enregistrés, selon le service sismologique de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.
Quel est le bilan actuel ?
A titre préventif, les 300 habitants avaient été évacués le 19 mai. Mais bon nombre d’entre eux ont tout perdu, faute de temps pour réunir leurs affaires avant de quitter leur logement. L’avalanche de boue, de roches et de glace a détruit 90 % du village haut-valaisan. Les débris s’étendent sur deux kilomètres de longueur, pour parfois 200 mètres de large. A ce jour, les recherches appuyées par l’armée se poursuivent pour localiser un habitant de 64 ans, porté disparu.
Les gravats bouchent également la rivière Lonza et le ruisseau Gisentella, formant un lac derrière les dépôts. Par crainte que d’importants écoulements de ce lac entraînent une érosion latérale plus en aval de la vallée, les autorités ont procédé tard mercredi soir à l’évacuation de certains bâtiments, en aval, à Wiler et Kippel.
Aucun dégât n’a toutefois été signalé dans la nuit dans les communes situées en aval, Mais le lac formé derrière les débris continue de se remplir, a déclaré jeudi matin un porte-parole de l’état-major régional du Lötschental. La situation reste donc risquée, selon la presse suisse, d’autant qu’il va faire très chaud ces prochains jours et qu’on est en période de fonte de neige.
« Un gros risque d’embâcle existe qui pourrait inonder la vallée en contrebas », explique Antoine Jacquod, l’adjoint de la cheffe de la sécurité civile et militaire de l’Etat du Valais, interviewé par Keystone-ATS. « Nous allons essayer, aujourd’hui, de nous rendre compte de ses dimensions », précise-t-il. Afin de réduire au maximum l’impact d’un éventuel débordement, les autorités ont choisi d’augmenter la zone tampon du barrage de Ferden qui était déjà, la semaine dernière, de 900 000 mètres cubes.
Sitôt la zone sécurisée, l’objectif sera d’installer des pompes appartenant au canton et à l’armée, dans le lac. « Savoir quand on pourra concrètement intervenir demeure actuellement une grande inconnue », admet Antoine Jacquod à la RTS. Donc il va vite falloir imaginer un système pour évacuer cette eau, pour éviter que le lac grandisse trop, parce que c’est un réel risque pour toute la vallée en contrebas, jusqu’à Gampel. « Mais pour l’instant, c’est inimaginable de se rendre sur la zone pour y travailler », précise-t-il.
Quid des risques en France selon Ludovic Ravanel, géomorphologue
Chargé de Recherche au CNRS, Ludovic Ravanel est spécialiste des dynamiques des milieux de haute montagne face au changement climatique et des risques naturels associés. Il est également moniteur d’escalade / canyon, accompagnateur en montagne et cordiste. Depuis 2007, il suit attentivement la situation dans les Alpes françaises.
Les géologues suisses semblent extrêmement étonnés par l’ampleur du phénomène : « le scénario le pire qu’on puisse imaginer », selon eux. Les rejoignez-vous sur ce point ?
Oui, on est sur des gammes de volume qui sont absolument extraordinaires, qu’on observe plus classiquement dans les Andes ou en Himalaya, mais en tout cas pas dans les Alpes. La masse totale de roches et places doit avoisiner ou dépasser les 10 millions de mètres cubes. Donc c’est absolument exceptionnel, avec des dégâts qui sont terribles… un village comme ça, qui est rayé de la carte.
Peut-on craindre un scénario similaire dans les massifs français ?
Il s’agit ici d’une situation exceptionnelle, explique le chercheur qui connaît bien la situation suisse pour collaborer fortement avec ses collègues suisses. « Côté français, nous n’avons pas de cas similaires qui se prépareraient, mais des choses plus simples, à échelle moindre et avec des configurations différentes. ». Elles n’en sont pas moins inquiétantes, précise-t-il. « D’où le suivi très attentif des glaciers du Bosson ou de Tacconaz par exemple. On se souvient aussi de l’éboulement du mont Pourri (3 779 mètres d’altitude), dans la Vanoise, où 700 000 m3 se sont effondrés le 17 novembre 2024 [ au col de la Gurraz, sous le glacier du Turia]. Or ce type d’événements à tendance à augmenter ».
En cause, semble-t-il, le réchauffement climatique. Le confirmez-vous ?
Oui. Je pense qu’il y a un lien effectivement direct avec la crise climatique, puisque cette cascade de processus, on peut l’expliquer. Ca fait une dizaine de jours que quelque chose de très gros se prépare dans ce secteur-là. C’est le suivi du glacier qui a mis la puce à l’oreille à mes collègues suisses, puisque le glacier posait déjà problème dans les années 90. Il avait déclenché des avalanches de glace qui avaient pu rejoindre la route plus de 2 km en aval. Donc, suite à ces avalanches, une surveillance a été mise en place. Au milieu du mois de mai, cette surveillance a montré que la paroi située en amont du glacier présentait des mouvements tout à fait anormaux, des fissurations, des éboulements, etc. Ce qui a permis de monter un peu en gamme en termes de surveillance et de montrer qu’un volume rocheux de 5 millions de mètres cubes menaçait de se déstabiliser. A ce moment-là, autour du 17-19 mai, le risque était que toute la paroi se déstabilise d’un seul coup. L’essentiel du volume est tombé sur le glacier et ça a pris une surcharge absolument exceptionnelle. Ce qui a, dans un premier temps, a accéléré fortement le glacier. Jusqu’à ce qu’il commence à se déstabiliser vraiment avant-hier, le 27 mai. Puis, l’accélération se poursuivant, une grosse partie du glacier s’est déstabilisée avec tout le volume rocheux qui était situé sur le glacier. Une surcharge exceptionnelle de glace, de roche et de boue qui a complètement dévasté le fond de la vallée et donc le village de Blatten.
Et on constate maintenant la création d’un lac…
Là, on a un cas d’école avec un volume exceptionnel produisant un barrage. Un barrage qui, évidemment, bloque la circulation des eaux. On voit donc se développer un lac très important dont mes collègues sont en train de suivre à la fois la profondeur et le volume. Et d’anticiper une éventuelle déstabilisation du barrage pouvant produire un événement torrentiel catastrophique à l’aval. On a donc là une nouvelle problématique.
Y a-t-il des régions en France qui pourraient potentiellement conjuguer tous ces paramètres : déstabilisation en amont, rivière à aval, et risques en vallée ?
Ce phénomène exceptionnel répond à des conditions topographiques, glaciologiques très particulières. Mais on peut néanmoins avoir des phénomènes similaires, mais plus réduits dans les Alpes françaises. Il y a des glaciers et des parois qui sont effectivement suivis. Ils nous inquiètent beaucoup moins que le site de Blatten, mais néanmoins, on n’est pas à l’abri dans les Alpes françaises d’avoir ce type de phénomènes. C’est pour cela d’ailleurs qu’a été mis en place une mission ministérielle de gestion des risques d’origine glaciaire.
A quelles zones particulières pensez-vous ?
On peut citer, par exemple, un glacier suivi depuis très longtemps, le glacier de Tacconaz, non loin de Chamonix. Celui-ci se réchauffe progressivement, et si jamais il passe à zéro degré, le risque serait qu’une partie se déstabilise. Heureusement, on a un gigantesque paravalanche au pied du couloir. Le risque est donc déjà bien géré de ce point de vue-là et du point de vue scientifique. Quant aux parois, on a un certain nombre de sites qui sont surveillés, mais qui aujourd’hui ne présentent pas de risque de déstabilisation.
Reste que nous, les scientifiques, sommes en nombre très modeste, donc on ne peut pas suivre l’ensemble des Alpes françaises où moins d’une dizaine de personnes s’intéressent à ces questions. Il nous faut donc des relais, des yeux qui puissent nous renseigner. Avec les guides, c’est assez formalisé avec le projet « Regard d’altitude ». Mais faute de budget, le projet est fragilisé. Or il nous faut des budgets pour pouvoir à la fois comprendre et gérer ces phénomènes. Car on ne peut pas stabiliser tous les glaciers, mais on peut anticiper, comme l’ont fait les Suisses qui ont parfaitement géré la situation en évacuant. Mais faute de budget, les scientifiques perdent beaucoup de temps à chercher de l’argent.
Vous parliez d’alerter, de renseigner, l’état des glaciers, comment, à l’échelle individuelle, pouvons-nous intervenir ?
Tout simplement en me contactant par mail afin de partager vos observations, complétées si possible par des photos ou des vidéos. Cela nous donne une base pour réfléchir aux risques.
En savoir plus sur le projet Regard d’Altitude
Regard d’Altitude est un projet ayant pour objectif la création d’un réseau d’échanges entre acteurs de la montagne, des territoires et de la science autour de la question des transformations de la montagne dans un contexte de changement climatique. Notamment en permettant un inventaire collaboratif des événements en montagne.
Pour communiquer des informations sur l’évolution des glaciersphotos ou vidéo à l’appui
Vous pouvez contacter directement le géomorphologue Ludovic Ravanel : ludovic.ravanel@univ-smb.fr.