En s’imposant ce soir sur l’épreuve reine du Grand Raid de La Réunion (175 km et 10 500 mètres de D+) Baptiste Chassagne vient de franchir une étape dans sa carrière. Il boucle la traversée de l’île en 23:31:54. Pas un record, mais un superbe chrono. De quoi mettre derrière lui le syndrome de l’imposteur qui le hante depuis des années, et, on l’espère, sa lutte contre l’anorexie.
Parier sur la victoire de Baptiste Chassagne à la Diagonale des Fous 2025 (175 kilomètres et 10 500 mètres de dénivelé positif) n’était pas vraiment risqué, l’ultratraileur faisant partie des favoris. Reste que sur la ligne de départ, les prétendants au titre étaient nombreux, et nom des moindres. Ludovic Pommeret, Aurélien Dunand-Pallaz, Arthur-Joyeux-Bouillon, Yannick Noël pour les Français, mais aussi Jérôme Vanderschaeghe côté belge pouvaient légitiment rêver d’emporter la victoire. Baptiste Chassagne affichait une relative inexpérience sur longue distance – la Diag n’est que son troisième 100 miles format 170 kilomètres –, mais il a pris les commandes dès le début de course pour ne plus jamais les lâcher.
Pourtant, rien ne le prédestinait à se lancer dans l’ultratrail. Originaire de Lyon, il grandit loin des sentiers avant de rejoindre Paris pour étudier à Sciences Po, où il fréquente surtout « les allées citadines et les terrains de football ». Un stage chez Dynastar le ramène en Haute-Savoie, au cœur des montagnes. Dans le même temps, ses parents achètent un appartement à Combloux. C’est le déclic. « À partir de ce moment-là, j’ai commencé à dévaler tous types de terrains et j’ai adoré ça », confie-t-il à un média local.
De nature compétitrice, Chassagne s’aligne rapidement sur des courses locales, avec succès. Jusqu’à son premier 100K en 2020, il enchaîne les victoires sur formats 20 à 50 kilomètres – dix en quatre ans. Malgré ces performances, un sentiment d’inachevé persiste. Pire, celui d’être un imposteur, comme il le reconnaît lui-même sur le site de son sponsor Näak : « Mon rêve ultime est de devenir un champion légitime par ses résultats et inspirant par son approche et ses actions. »
Enfin sur la plus haute marche du podium
A 31 ans maintenant et quelques milliers de kilomètres plus tard, l’athlète s’est endurci. Il reconnaît volontiers avoir trouvé une forme d’apaisement — lui, le coureur émotif, capable d’être porté par la ferveur du public autant que déstabilisé par ses propres doutes. Cette sérénité, il la construit pas à pas, au fil de ses résultats : champion de France de trail long en mars 2023, deuxième de l’UTMB en août 2024, champion du monde par équipe avec la France à Canfranc en septembre 2025.
Mais malgré cette trajectoire ascendante, une légère amertume demeure. Aux Mondiaux, le trentenaire a vu ressurgir un vieux démon : ses troubles alimentaires. S’il affirme aujourd’hui être « guéri à 97 % », il reconnaît encore quelques difficultés à s’alimenter en course, séquelle d’une adolescence marquée par l’anorexie. À Canfranc, le passé le rattrape : à vingt kilomètres de l’arrivée, son estomac se noue, ses jambes lâchent. Il glisse de la 7ᵉ à la 11ᵉ place individuelle, impuissant, et promet de transformer cet épisode en moteur pour La Réunion. À la veille du départ, il confiait pourtant à L’Équipe que « la déception de Canfranc l’accompagne encore un peu ».
Restait un vide : sur le format roi de la discipline, le 100 miles, la victoire lui échappait encore. Un beau top 10 pour sa première participation à l’UTMB en 2023, puis une remarquable deuxième place l’année suivante. Deuxième, toujours à une marche du sommet. Avec sa victoire sur la Diagonale des Fous 2025, Baptiste Chassagne efface enfin cette ligne manquante à son palmarès et s’impose, cette fois, parmi les grands noms de l’ultratrail.
En tête dès les premiers kilomètres
Pour franchir la ligne d’arrivée en première position, le trentenaire n’a pas hésité à se positionner à l’avant dès les premiers kilomètres après le départ donné jeudi 16 octobre. Depuis Saint-Pierre, il a montré sa détermination et sa grande forme, lui qui avouait à la veille du départ « avoir une dalle de fou ». La nuit se déroule sans encombre, mis à part un Alexis Sévennec qui se montre très (trop) entreprenant et le chasse à quelques secondes derrière. L’alpiniste de 38 ans du team La Sportiva paye ses efforts de la nuit et abandonne au matin. Chassagne, lui, reste solide. Au lever du jour, le 17 octobre, il mène toujours la course.
On le voit passer au ravitaillement de Marla, au cœur du cirque de Mafate, après 89 kilomètres et plus de 5 000 mètres de dénivelé positif déjà avalés : il compte alors neuf minutes d’avance sur Yannick Noël. Une belle surprise : le boulanger des Deux-Alpes s’invite aux avant-postes, faisant de l’ombre aux favoris annoncés — Aurélien Dunand-Pallaz, Arthur Joyeux-Bouillon et Ludovic Pommeret. Septième de l’UTMB 2025, Noël confirme sa forme du moment, porté par les encouragements de sa femme et de son fils présents sur le parcours.
Au kilomètre 115, lors du ravitaillement de l’Îlet des Orangers, Yannick Noël occupe toujours la deuxième place, à treize minutes de Baptiste Chassagne. Installé un temps à La Réunion, il retrouve les sentiers de l’île « dans la difficulté mais avec plaisir », confie-t-il en direct sur Réunion La 1ère.
Au fil de la journée, les écarts se creusent, mais l’ordre des positions reste inchangé. À Chemin-Ratinaud, après 148 kilomètres de course, Chassagne passe à 16h11 (heure métropolitaine). Derrière lui, Yannick Noël pointe toujours en deuxième position, avec 45 minutes de retard (16h56). Aurélien Dunand-Pallaz, vainqueur en 2023, suit à son tour à 17h32, soit 36 minutes derrière Noël. Sur les derniers kilomètres le leader confirme sa position, et passe la ligne d’arrivée ce vendredi 17 octobre à 19h31, à l’issue de 23:31:54 de course. Un sans faute, une superbe performance !
Photo d'en-tête : Grand Raid Réunion- Thèmes :
- Diagonale des fous
- Ultra Trail