C’est un Christophe Profit plus combatif que jamais que nous avons interviewé hier, suite au rendu du Tribunal de Chambéry qui, ce jeudi 27 février, l’a débouté pour la deuxième fois et condamné plus sévèrement pour avoir retiré deux pieux de la voie normale du mont Blanc au cours de l’été 2022. Le guide, qui a tissé sa légende durant les années 80 au fil d’ouvertures très médiatisées, a réagi en se pourvoyant immédiatement en cassation par la voix de son avocat, Maître Thouvenot. Présumé innocent pour l’heure, il affiche la ferme intention de se « défendre comme un lion » et de ne pas en rester là, face à une justice dépassée.
Christophe Profit, venait tout juste de boucler une course dans la vallée Blanche avec une cliente, quand, arrivé au Montenvers, il a appris la nouvelle, vendredi en tout début d’après-midi : la cour d’appel de Chambéry le jugeait coupable pour la deuxième fois pour le vol de deux des quatre pieux implantés sur la voie normale du mont Blanc durant l’été 2022. Des installations censées sécuriser l’ascension de l’arête des Bosses, dernière ligne droite dans l’ascension du mont Blanc par la voie normale – alors qu’une crevasse importante s’était formée au milieu de l’itinéraire cette année-là côté français, sur la commune de Saint-Gervais. L’affaire, très médiatisée, opposait deux approches de la montagne, celle défendue par l’alpiniste, « by fair means », contre une autre, plus « sécuritaire », portée par le maire de Saint-Gervais.
Ecartant ce débat de fond lors de l’audience en appel, l’avocat général avait requis la même amende que lors du jugement de 2023 prononcé par le Tribunal de Bonneville – une amende de 600 euros pour retrait et « vol » – mais le débat n’était pas clos, et la sentence finale était attendue pour le 27 février. Beaucoup se montraient optimistes quant à l’issue de l’affaire, misant sur une relaxe, voire un allègement de l’amende. Car la cordée Profit-Thouvenot disposait de sérieux arguments, tant sur le fond, que sur la forme. Las, la Présidente de séance s’y est montrée totalement sourde, et a confirmé le jugement de première instance. Pire, l’amende a encore été alourdie et atteint désormais 2 000 euros, dont 1 000 en sursis.
« Ce jugement, il me rend plus fort ! »
Pas de quoi démonter pour autant le guide, icône vivante de l’alpinisme qui, a 63 ans, en a vu d’autres. S’il s’attendait à un jugement plus clément, il ne le cache pas, il se dit « pas accablé du tout ! Je ne suis pas surpris. Je ne vais pas me laisser faire », nous explique-t-il. « Jusqu’à maintenant, j’ai voulu rester en observateur, rester soft, c’est mon caractère réservé, je fais confiance, je suis bienveillant. Je me disais que le bon sens n’était pas interdit, mais… Ce jugement, je ne veux même pas le commenter ! Quand je viens de vivre une journée comme aujourd’hui dans la vallée Blanche noyée dans le brouillard, un œil constamment sur les crevasses, des moments engagés, je prends ça avec énormément de recul. Car là-haut, face à la montagne, tu restes humble. Là-haut, on ne peut pas se tromper. Sinon, on le paye cash. C’est sans filet. Ca fait partie du jeu.
Alors, arrivé au Montenvers, j’étais curieux de savoir qu’elle était l’issue de mon appel, bien sûr, mais je n’étais pas tendu. Même si je sais que, dans le monde d’en bas, le risque, c’est la bêtise humaine. En montagne, tout est clair, là, ça ne l’est pas. Bien sûr que j’aurais préféré que ça se règle tout de suite, mais au final, ce jugement, il me rend plus fort. Je vais aller jusqu’au bout. Me battre comme un lion ! Avec mon avocat, Maître Laurent Thouvenot, je viens de me pourvoir en cassation. Je suis respectueux de la justice, et je ne pensais pas que ça irait aussi loin, mais on aurait tellement pu faire autrement… Depuis le début, il y aurait eu moyen de se parler… Tout comme c’est un problème de ne pas se parler assez entre la justice et les justiciables, car on est tous des êtres humains. Mais là, je suis extrêmement combatif ».
« L’affaire va être jugée en droit, pas en faits »
Combatif, Maître Thouvenot, l’est lui aussi. Scandalisé par la nouvelle sentence de la cour d’appel de Chambéry, il s’est immédiatement chargé de lancer le pourvoir en cassation, à la demande de son client. A ses yeux, l’arrêt ne tient pas. Notamment sur le point central : la question de l’intention du geste de Christophe Profit, intervenu, selon lui, pour prévenir tout accident ; les pieux, faciles à enlever, n’offrant qu’une fausse sécurité aux alpinistes. Jurisprudences à l’appui, il explique qu’« il ne suffit pas de toucher un pieu pour faire de vous un voleur ! » Et il se fait fort de le démontrer, avec le soutien de Maître Patrice Spinosi, une pointure du barreau. En tant qu’avocat aux conseils, ce dernier est seul habilité à porter le dossier devant la Cour de cassation. « Là, l’affaire va être jugée en droit, pas en faits », nous explique Maître Thouvenot, « sur la seule base des pièces déjà mises au dossier. Christophe ne sera pas amené à intervenir. L’arrêt va être confronté aux règles de droit ».
Une étape qui peut prendre une année, et qui peut se solder de deux façons. Soit la Cour de cassation ne casse pas l’arrêt du Tribunal de Chambéry. La procédure en reste donc là, le jugement est, de fait, confirmé, et Christophe Profit est condamné. Ne lui resterait plus alors qu’à recourir à la Cour européenne. Soit l’arrêt est cassé. La procédure serait donc à nouveau traitée, mais par une autre cour d’audience à Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg ou encore Colmar par exemple. Les chances que les magistrats soient alors plus sensibles à la bonne foi de Christophe Profit y seraient nettement plus élevées. L’avocat se montre donc très confiant, compte tenu de la solidité de son dossier, confie-t-il.
L’affaire est donc loin d’être close, et, dans l’attente de la position de la Cour de cassation, Christophe Profit est présumé innocent. De son côté, si Maître Thouvenot laisse le soin à Maître Spinosi de défendre la cause de son client en haut lieu, il va également être fort occupé d’ici peu, suite au rejet du référé-suspension introduit le 16 novembre auprès du tribunal administratif de Grenoble à l’encontre du maire de Saint-Gervais, Jean-Marc Peillex, à la demande de Christophe Profit. Car l’affaire va désormais se poursuivre et être jugée sur le fond. Un débat qu’attend avec impatience le guide, et qui devrait faire date dans l’histoire de l’alpinisme.
Photo d'en-tête : Thibault Ginies- Thèmes :
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