En suspendant mercredi sa participation à toutes les réunions de préparation des JO 2030, la Savoie fait exploser un dossier déjà miné par deux ans d’opacité et de contretemps. Pour la première fois, une collectivité centrale rompt le dialogue et confirme ce que dénoncent depuis plus de deux ans ONG, élus et citoyens : l’absence de consultation publique, un déni de démocratie déjà pointé par l’ONU, la justice administrative et de nombreuses associations. Un geste qui rebat les cartes car la position de l’un des principaux bailleurs de fonds de l’événement ne peut plus être balayée d’un revers de main.
L’annonce est tombée le 3 décembre, au moment même où une délégation du CIO inspectait les sites alpins : le conseil départemental de la Savoie a décidé de « suspendre jusqu’à nouvel ordre sa participation » à toutes les réunions liées aux JO d’hiver 2030. Un timing qui ne doit rien au hasard. Pour la première fois depuis le lancement de la candidature, un acteur institutionnel de premier plan sort du processus. Et pas n’importe lequel : la Savoie, territoire historique des sports d’hiver, déjà au cœur de la carte des sites 2030. Dans la lettre adressée à Edgar Grospiron, président du Cojop, et révélée par Le Dauphiné Libéré, Hervé Gaymard, président du conseil départemental de la Savoie, ne fait pas dans la langue de bois :
Nous ne pouvons être considérés comme une variable d’ajustement budgétaire pour le financement d’un projet dont nous ne sommes pas à l’initiative.
Il rappelle que le Département n’a jamais été consulté sur l’opportunité de la candidature, ni sur la première carte des sites — pourtant centrale, puisqu’elle prévoit des compétitions à La Plagne et Courchevel. Le reste du courrier est tout aussi clair.
Il est étrange de demander aux départements de prendre des engagements, sans aucune visibilité sur la maquette financière et les engagements des autres collectivités.
La conclusion sonne comme une sanction politique : la Savoie suspend sa participation à toutes les réunions touchant à la livraison des ouvrages olympiques ou à l’organisation générale des JOP 2030. Tout en maintenant ses engagements passés, un point important.
Un coup de tonnerre que le Cojop prend avec une certaine placidité, tout au moins en surface. Il semble réduire le coup de gueule de la Savoie à un simple mouvement d’humeur, si l’on en croit les déclarations d’Edgar Grospiron lors de sa conférence de presse du 3 décembre. Les Jeux sont une « chance » selon lui. Et il ne doute pas un instant que la Savoie “saisira pleinement cette opportunité le moment venu”. Son objectif : relativiser, temporiser… Pas sûr, en revanche, que ce soit si facile. Car dans les rangs de l’opposition à ce projet hors sol, on fourbit les armes, galvanisé par un soutien inattendu.
Deux ans que l’opposition réclame un débat public !
Mountain Wilderness rappelle depuis des mois que les JO 2030 avancent sans prise en compte des enjeux climatiques et démocratiques. Dans un texte d’octobre 2025, l’association dénonçait déjà une gouvernance verticale, l’usage massif de fonds publics et l’idée « que la montagne aurait besoin des JO pour exister ».
De son côté, le Collectif citoyen JOP 2030 y voit la légitimation de son combat. Ne réclame-t-il pas, lui aussi, un débat public depuis deux ans ? Il n’a cessé de rappeler qu’aucun citoyen n’avait été consulté. Ni sur la candidature, ni sur les infrastructures, ni sur la dispersion des sites. Pas découragé pour autant, il est allé jusqu’à saisir le Comité Aarhus de l’ONU. Une action jugée recevable le 19 novembre. La France devra bel et bien s’expliquer sur l’absence de consultation.
Pourquoi ce retrait change la donne
Contre toute attente, on assiste aujourd’hui à la première rupture venant d’un département clé. La Savoie, qui finance et entretient depuis 1992 des infrastructures décisives (tremplin du Praz, piste de La Plagne), est tout sauf une figurante dans cette affaire. Son retrait des réunions rompt une mécanique institutionnelle qui semblait jusqu’ici verrouillée. Certes, elle ne revient pas sur ses engagements antérieurs (notamment financiers, le département garde des cartouches pour mieux négocier), mais ce pourrait bien être l’étape suivante.
Pour les opposants aux Jeux, c’est un signal fort envoyé au CIO. Désormais, la critique ne vient plus seulement « d’en bas ». Elle vient du cœur du dispositif, ce qui fragilise sérieusement la crédibilité du projet à l’international, surtout quand le coup de gueule de la Savoie intervient pendant une visite du CIO. La façade d’unité que Laurent Wauquiez et René Muselier tentent d’afficher depuis deux ans en sort sérieusement fissurée. D’autant que la décision savoyarde pourrait faire tache d’huile. La Haute-Savoie, les communes concernées et les régions AURA/PACA vont sans doute devoir justifier publiquement leur engagement sans débat préalable. À défaut, leurs électeurs pourraient bien le leur rappeler : à quelques mois des municipales, ils auraient tort de s’en priver !
Deux ans de bataille face à un déni de démocratie flagrant
- 2023–2024 : La candidature aux Jeux d’hiver 2030 est montée à la va-vite par Laurent Wauquiez et René Muselier. Sans aucun débat ni concertation publics. Malgré tout, la France est désignée comme « preferred candidate » : aucune consultation nationale ou alpine n’aura été organisée.
- 2024 : Aucune saisine de la CNDP (Commission nationale du débat public) malgré un budget supérieur à 2 milliards d’euros. Rappelons que la CNDP ne peut s’autosaisir et que la saisine est obligatoire au-delà de 460 M€.
- 2024–2025 : Cafouillage au niveau de la gouvernance, et multiplication des contretemps. On assiste au retrait de Martin Fourcade et constate l’absence de Direction Générale. La carte des sites reste incertaine, au grand dam, bien souvent, des principaux intéressés, visiblement pas toujours consultés.
- 2024–2025 : L’opposition ne baisse pas les bras : recours multiples pour obtenir un débat public. Saisines des tribunaux administratifs (Paris, Lyon, Marseille).
- Novembre 2025 : Constat international du manque de consultation : la France va devoir s’expliquer. Saisi, le Comité Aarhus de l’ONU tranche : le recours des associations et ONG est recevable.
- Décembre 2025 : la Savoie claque la porte des discussions. Un département clé s’insurge publiquement contre l’absence de consultation. C’est une première.
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