Certes, ça tangue fort à Matignon depuis des mois, et plus encore ces jours-ci, mais visiblement ça n’empêche pas les députés de travailler. Alors que le réchauffement climatique bouleverse les massifs français et l’industrie du ski, Denis Fégné (Parti socialiste, Hautes-Pyrénées) plaide pour une refondation pragmatique du modèle montagnard. Avec son collègue Xavier Roseren (Horizons, Haute-Savoie), issu de la majorité présidentielle, il prépare une loi, ou plutôt, dans un premier temps, une « boîte à outils » destinée à aider les stations à sortir du tout-ski, à diversifier leurs activités et à instaurer une véritable solidarité entre les domaines. Leurs conclusions sont attendues en novembre. Mais quelles qu’en soient l’issue, la réflexion sur la transition a le mérite d’être posée concrètement à l’Assemblée et d’ouvrir les yeux à certains sur la nécessité de reconsidérer un modèle économique qui ne tient plus la route.
L’un vient du versant socialiste et pyrénéen, l’autre du centre macroniste et alpin. Rien, a priori, ne prédestinait Denis Fégné, député socialiste des Hautes-Pyrénées et ancien maire d’Ibos, et Xavier Roseren, député Horizons de Haute-Savoie (candidat à la mairie de Chamonix), à travailler main dans la main. Et pourtant, depuis le 2 avril 2025, ils copilotent au sein de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire une mission d’information parlementaire sur la transition des modèles de stations de montagne. Créée officiellement ce jour-là par l’Assemblée nationale, cette mission vise à dresser un état des lieux des stations françaises et à analyser leurs stratégies de transition et d’adaptation face au réchauffement climatique. Elle s’inscrit dans un contexte où les projections climatiques anticipent une forte baisse de l’enneigement d’ici 2050 et, plus largement, un bouleversement des écosystèmes montagnards.
« Le mot d’ordre, c’est le pragmatisme »
« Dans un tel contexte politique, avec une majorité relative, des gouvernements qui se succèdent et des arbitrages budgétaires incertains, il faut travailler autrement : en s’appuyant sur le terrain », souligne Denis Fégné, interviewé le 3 octobre. « Sur la montagne, il y a urgence, mais aussi un consensus possible. » Le fait est suffisamment rare ces derniers temps pour qu’il soit salué. Autour des deux corapporteurs, la mission réunit une douzaine de députés issus de tous les bancs de l’hémicycle, parmi lesquels :
• Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés, Isère),
• Émilie Bonnivard (Droite républicaine, Savoie),
• Sylvie Ferrer (La France insoumise – Nouveau Front populaire, Hautes-Pyrénées),
• Marina Ferrari (Les Démocrates, Savoie),
• Nicolas Bonnet (Écologiste et social, Puy-de-Dôme),
• Véronique Riotton et Antoine Armand (Ensemble pour la République, Haute-Savoie),
• Alexis Jolly (Rassemblement national, Isère).
Une composition qui reflète bien la diversité géographique et politique des territoires de montagne, des Pyrénées aux Alpes, en passant par le Massif central et le Jura.
Depuis avril, la mission a auditionné plus de quarante acteurs de la montagne. Notamment Météo-France, ClimSnow, The Shift Project, Mountain Riders, Mountain Wilderness, France Nature Environnement, des syndicats, des élus et des chercheurs. L’objectif ? « Proposer quelque chose de vraiment utile à chaque territoire », nous dit Denis Fégné. « Différencier, diversifier, solidariser : voilà nos trois axes. »
• Différencier, pour tenir compte de la diversité des massifs et des altitudes.
• Diversifier, pour accompagner la mutation vers des activités pluri-saisonnières.
• Solidariser, pour mettre en place des mécanismes d’entraide entre stations.
« Une station des Vosges n’a pas les mêmes défis qu’une station des Alpes du Sud », insiste-t-il. « Il faut donc des stratégies différenciées, pas une solution uniforme imposée d’en haut. »
« Sortir de la logique du tout-ski »
Lors de son audition du 3 juin, Mountain Wilderness, accompagnée de Mountain Riders, The Shift Project et France Nature Environnement, a ainsi pu défendre sa vision : « Le modèle du tout-ski est dépassé — écologiquement, économiquement et socialement », a résumé l’association. Elle a rappelé que le ski ne représente pas 80 % de l’économie montagnarde, contrairement à une idée reçue, et appelé à raisonner « à l’échelle des bassins de vie plutôt qu’à celle des seules stations ».
Parmi ses propositions :
• Un plan d’adaptation pour chaque station sous deux ans,
• Un fonds national de reconversion, conditionné à des critères écologiques et sociaux,
• La désartificialisation et la renaturation des sites dégradés,
• La création d’un observatoire indépendant de l’économie de montagne,
• Et une démocratie locale élargie aux habitants, saisonniers et jeunes.
« Nous avons besoin d’une montagne habitée, vivante, diversifiée — pas d’un parc d’attractions sous perfusion artificielle », concluait alors Mountain Wilderness.
Les deux corapporteurs ont aussi multiplié les déplacements : en Haute-Savoie, dans les Pyrénées, dans le Massif central et les Alpes du Sud. Objectif : confronter les auditions parisiennes à la réalité des vallées. Ils en seraient revenus plutôt optimistes. « Nous avons vu des élus qui innovent, des habitants qui expérimentent déjà de nouveaux modèles », raconte Denis Fégné. Leurs regards se sont portés sur les exemples étrangers, notamment autrichiens, mais l’Hexagone ne manque pas non plus de cas encourageants. Parmi eux, on retrouve sans surprise Les Gets, Bourg-Saint-Maurice ou encore Tignes, mais d’autres aussi, également engagées dans des démarches de diversification énergétique et touristique. Le député PS cite dans les Hautes-Pyrénées, Loudenvielle et sa station de moyenne montagne, Peyragudes, reliée au village par télécabine. Ou, dans les Alpes, Cordon, station familiale (1 000–1 600 m) face au mont Blanc.
Une « boîte à outils » pour accompagner la transition
La mission d’information doit rendre son rapport final en novembre, avant le dépôt éventuel d’une proposition de loi. « Ce n’est pas une loi universelle, mais une boîte à outils flexible et adaptée à chaque station, selon sa situation et ses besoins », précise Denis Fégné. « Et avant de parler de loi, il faut d’abord qu’on ait les éléments budgétaires pour le faire ». Reste qu’une vingtaine de préconisations sont actuellement en cours de finalisation. Elles couvrent des domaines variés, allant de la priorisation du logement à l’année au développement des transports décarbonés, en passant par le soutien à d’autres filières que le ski — agriculture, artisanat, filière bois, services.
Parmi les points les plus importants, on retiendra l’idée d’instaurer des structures de décision partagées entre les massifs et surtout le principe d’une solidarité financière reposant sur la création d’un fonds national de péréquation entre stations. Ambitieux et certainement pas gagné ! On ne connaît pas la position sur ce point du député Xavier Roseren – qui n’a pas répondu à notre demande d’interview – mais il est sûr que ce point risque de se heurter à une certaine réticence de la part des domaines skiables les mieux lotis.
« Beaucoup d’élus ont encore du mal à imaginer la fin d’un modèle qui a fait vivre leur vallée pendant des décennies », reconnaît le député des Hautes-Pyrénées. « Mais les jeunes ont bien souvent compris que la neige n’était pas éternelle. Cette confrontation de générations montre qu’un basculement est en cours. » D’autant, poursuit-il, que « l’histoire du ski, c’est une parenthèse. Avant lui, la montagne vivait du thermalisme, du pastoralisme, de l’artisanat. La montagne aujourd’hui, c’est aussi la culture, la gastronomie. Tout cela forme un tissu qu’il faut consolider. Revenir à une économie plus diverse, c’est retrouver un équilibre. » Et d’ajouter : « Le changement climatique est une contrainte, mais aussi une opportunité pour repenser notre rapport à la montagne. La fin du tout-ski n’est pas une catastrophe, c’est une chance. La montagne doit redevenir un espace de vie. L’accès à la montagne pour tous doit redevenir une priorité nationale », insiste cet ancien éducateur qui revendique une approche sociale : « J’ai accompagné des enfants et des adolescents issus de milieux modestes à la découverte de la montagne. Je les ai vus se transformer. Je plaide pour le retour des classes de neige, des colonies et des séjours nature, et pour la réhabilitation des centres d’accueil aujourd’hui abandonnés. »
« Oui, j’entends dire que ce rapport sera un rapport de plus, oublié dans un tiroir à Paris. Mais je crois au contraire que cette mission relie la vision nationale à la réalité des territoires. Je suis certain qu’on ne fait pas ça en vain, quoi qu’il en soit », affirme Denis Fégné. Pêche-t-il par excès d’optimisme ? « Si je n’étais pas optimiste, je ne serais pas député. Je garde foi dans l’action. Nous devons faire de la montagne un territoire d’avenir, pas un souvenir. »
Participez vous aussi à la consultation citoyenne sur la transition des modèles des stations de montagne
Afin d’associer les citoyens à leurs réflexions, les rapporteurs de la mission d’information sur la transition des modèles des stations de montagne, Denis Fégné et Xavier Roseren, ont lancé une consultation nationale. Elle vise à mieux connaître les publics qui fréquentent aujourd’hui les stations de montagne et les freins éventuels à cette fréquentation, à éclairer les parlementaires sur la relation que les citoyens entretiennent avec la montagne et sur la façon dont ils envisagent son avenir face au changement climatique, et à identifier les actions prioritaires pour concilier tourisme durable et vie à l’année dans les territoires de montagne : gouvernance, partage des ressources, conciliation des usages, développement économique à moyen et long terme.
Les résultats seront intégrés au rapport final attendu fin novembre. Déjà 1 000 contributions à ce jour.