Le 23 septembre, le skieur-alpiniste polonais de 37 ans signait un exploit historique : l’ascension de l’Everest sans oxygène, suivie d’une descente intégrale à ski jusqu’au camp de base. Une première dont le récit devrait être porté à l’écran en 2026, mais on peut d’ores et déjà en avoir un superbe avant-goût via une vidéo de 31 minutes mise en ligne par son sponsor Red Bull. Des images saisissantes détaillant chaque section, y compris les derniers mètres vers le sommet, les virages sur la face du Lhotse, et la descente impressionnante au milieu des crevasses de la cascade de glace du Khumbu. Un document qui devrait alimenter la récente polémique autour de l’hypermédiatisation de l’exploit, mais qui donne toute l’ampleur du défi.
Pour Bartek, le frère d’Andrzej Bargiel, l’un des meilleurs opérateurs de drone en haute altitude – champion du monde dans cette discipline en 2018 –, c’est « la chose la plus difficile » qu’il ait faite à ce jour, nous confiait-il : guider le skieur lors de sa descente intégrale à ski de la face sud de l’Everest, et le suivre, mètre par mètre. Depuis le départ du camp de base jusqu’au sommet et à la descente réussie le 23 septembre.
Équipé de deux DJI Mavic 4, le pilote en a tiré des images spectaculaires que l’on peut découvrir aujourd’hui dans le documentaire de 31 minutes mis en ligne par Red Bull, sponsor de l’expédition. Montées avec celles capturées via la caméra installée sur le casque du skieur, elles permettent aux spectateurs de comprendre toute la portée de la performance.
On peut ainsi suivre chaque section, apprécier les conditions de neige et la stratégie de ski d’Andrzej. Depuis la traversée vertigineuse du sommet — avec des cordes fixes au Hillary Step — jusqu’aux premiers virages sur l’éperon de Genève rocheux, praticable à ski en cette période de l’année. On voit le skieur continuer sur le côté de la face du Lhotse en direction de la Vallée du Silence où il s’est arrêté pour la nuit. Reparti au matin, il va affronter des conditions de neige de plus en plus complexes, jusqu’à la dangereuse cascade de glace du Khumbu, où son frère a joué un rôle clef.
Dès le début septembre 2025, Bartek explique que l’Icefall est « plus difficile à franchir » que d’ordinaire selon les Icefall Doctors et les Sherpas. Au départ, la voie habituelle semblait impraticable. L’équipe décide alors d’explorer et d’ouvrir une nouvelle ligne, plus favorable à la descente à skis. Le pilote y contribue via toute une série de photos et de vidéos et des vols de reconnaissance au drone. Son but ? Documenter les verrous, les ponts de neige, les crevasses et les franchissements possibles. Des repérages qui vont s’avérer précieux pour Bargiel, mais aussi pour Bartek dont la mission s’avère complexe quand, après des jours d’attente, une fenêtre météo s’ouvre, le 22 septembre.
« Lors de la poussée finale vers le sommet, j’ai dû voler deux kilomètres à travers les nuages pour atteindre la visibilité et voir enfin le sommet. Il y a eu beaucoup de moments où je ne voyais rien du tout. Je devais voler et espérer ne rien heurter, en me fiant uniquement aux paramètres : altitude, position. Je devais aussi calculer le temps de vol pour garder assez de batterie pour revenir atterrir. C’était très stressant – chaque drone coûte environ 4 000 euros – même si je pouvais compter sur un générateur pour recharger en permanence. J’avais huit batteries, deux drones et un assistant. Quand je finissais un vol, il faisait atterrir le drone, je repartais avec un autre. Il sauvegardait aussi les données immédiatement, pour être sûr de ne rien perdre. Ce jour-là, j’ai fait 27 vols, entre six heures du matin et sept heures du soir. »
Tout au long de l’expédition, Bartek reste en effet en contact avec son frère. « Il me demandait de vérifier l’itinéraire pour savoir s’il pouvait passer. En descendant, je voyais les crevasses avant lui, donc je pouvais le prévenir d’aller à gauche ou à droite. Il n’avait pas de cordes fixes, il était seul dans une zone très dangereuse. Dans ces moments-là, j’étais ses yeux (…). Quand il me demandait quelque chose, je lui parlais, pour l’aider. Mais en général je ne le dérangeais pas, il était très concentré. Il n’aime pas parler à la radio. Moi, je volais en continu pour filmer ses progrès. »
Des échanges brefs que l’on entend dans le film, et dont on perçoit toute l’intensité. Red Bull ayant eu la bonne idée – une fois n’est pas coutume – de rester sobre au niveau de la bande-son. On attend donc avec impatience le documentaire à venir qui devrait dévoiler les coulisses de l’une des plus grandes réalisations de l’histoire du ski-alpinisme. Il devrait être du niveau du très remarqué K2 : The Impossible Descent, consacré au précédent exploit d’Andrzej Bargiel, la première et seule descente intégrale à ski de l’histoire, sans oxygène, du deuxième sommet du monde.
De quoi faire rebondir la polémique soulevée il y a quelques jours par Hans Kammerlander, lui-même pionnier du ski en haute altitude. Dans une interview accordée au Der Standard, le Tyrolien de 68 ans critiquait ce qu’il considérait comme un « show Red Bull », sans comparaison selon lui avec sa propre performance réalisée en 1996 ( à laquelle Andrzej Bargiel avait d’ailleurs rendu hommage ). « Ce n’est tout simplement pas juste », expliquait-il. « Je n’avais pas de Sherpas, je portais tout moi-même, et toute l’affaire a été réglée en moins de 24 heures. »
Il est vrai que l’exploit d’Andrzej Bargiel aurait sans doute été autre — voire impossible ? — sans le soutien d’une énorme logistique. Pour la poussée finale au sommet, le Polonais a pu compter notamment sur douze alpinistes népalais et sur une large équipe au camp de base comprenant trois cadreurs. Le rôle de son frère au drone a aussi été déterminant, on l’a vu. Enfin, certains pourront lui reprocher d’avoir déchaussé pour une nuit de sommeil. Reste que Bargiel, qui a procédé sans aucun support d’oxygène, est à ce jour le seul à avoir réussi la descente à ski intégrale – du sommet à la base – sur la face sud de l’Everest. L’exploit est habilement mis en scène, c’est vrai, et le débat sur le style et les résultats dans l’alpinisme de haute altitude est certainement loin d’être clos. Reste que la performance reste très impressionnante, et unique à ce jour.
Le palmarès d’Andrzej Bargiel
- Everest (2025) : première descente intégrale à ski sans oxygène du plus haut sommet du monde.
- Gasherbrum I (2019) : première descente à ski sans oxygène.
- Gasherbrum II (2019) : première descente à ski sans oxygène.
- K2 (2018) : première et seule descente intégrale à ski de l’histoire, sans oxygène.
- Snow Leopard (2016) : enchaînement des cinq sommets de 7 000 m de l’ex-URSS en 30 jours, record battant Denis Urubko de 12 jours.
- Broad Peak (2015) : première descente à ski sans oxygène.
- Manaslu (2014) : premier Polonais à skier depuis le sommet, record ascension + descente en 21 h 14.
- Shishapangma (2013) : premier Polonais à skier depuis le sommet central, sans oxygène.
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