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Sécurité avalanche, les bases : « Le danger n’est pas dans la pente, mais dans le facteur humain »

  • 22 décembre 2025
  • 9 minutes

Dominique Perret Dominique Perret Pionnier du freeride et sacré « meilleur skieur du siècle », Dominique est le fondateur de WEMountain, plateforme dédiée à la culture du risque en montagne.

En matière de sécurité en montagne, ce qui nous expose le plus, ce n’est pas la neige, la météo ou la pente, ce sont nos choix, explique Dominique Perret. À 63 ans et un CV en freeride long comme le bras, le skieur milite plus que jamais pour une véritable culture du risque. Il entend désormais transmettre les fondamentaux de la sécurité via sa plateforme WEMountain. Deuxième volet de la chronique qu’il signe pour Outside : comment éviter les mauvaises décisions. Car l’erreur humaine, ça le connaît, et il s’est fait une promesse : si ça lui est arrivé à lui, ça peut arriver à n’importe qui. Il raconte.

« Mais qu’est-ce que tu fous ? Ça fait cinq minutes qu’on t’attend, on te voit plus… », crache la radio dans mon oreille. Le message vient du bas de la face. Mon équipe est là : Rob, mon cameraman, Jancsi, mon photographe, ça fait plus de quinze ans qu’ils partagent mes aventures, mes premières, mes erreurs aussi, et Mike, mon ami, guide de montagne local, qui nous accompagne et nous fait découvrir son terrain de jeu. Ils me cherchent du regard…

Moi, je suis là-haut, allongé dans la neige, littéralement collé au sommet. Je m’agrippe de toutes mes forces, les doigts plantés dans la neige, comme si ma vie en dépendait. Pourtant, je suis couché à plat. Impossible de me lever. Impossible même de me mettre à genoux, mon corps pourrait bouger, mais quelque chose de plus fort m’écrase.

Spines Alaska
(Scott Serfas / Red Bull Content Pool)

Depuis presque trente ans que mes skis m’emmènent visiter cette planète blanche, j’ai tout cherché : les lignes raides dans les Alpes, les pentes austères des Andes, les faces sans fin de l’Himalaya, et maintenant ces sommets perdus au fin fond des Tordrillos, en Alaska. En trente ans de ski freeride, je n’avais jamais connu le vertige. Jamais. Et ce jour-là, sans prévenir, il me tombe dessus comme une avalanche silencieuse. Je suis cloué sur place. Je prends une grande inspiration, je parviens à dégager une main, à choper ma radio. Ma voix tremble : « Je… je ne peux pas bouger. Je suis terrassé par le vertige. Il faudra… il faudra renvoyer l’hélico. Impossible pour moi de descendre cette face, désolé les gars… »

Au bout du fil, plus un son. Le silence qui suit en dit long. Ils sont aussi incrédules que moi. Le gars qu’ils ont vu skier des faces à 55°, rider à plus de 8 000, sauter des barres, encaisser les chutes, leur annonce que là, maintenant, il ne peut même plus se mettre debout ? C’est une joke ! Finalement, l’hélico finit par revenir. Je me souviens encore du bruit des pales qui approchent, du souffle qui arrache la neige autour de moi, de la main de Mike qui me chope pour me sécuriser. Mon corps sait quoi faire, mais ma tête, elle, est en vrac.

Une fois redescendu, au chaud, en sécurité dans le lodge, on se pose tous autour d’une table. On refait le film. Qu’est-ce qui a bien pu m’arriver là-haut ? Et c’est là qu’on met le doigt dessus. Depuis plusieurs jours, suite à une mauvaise chute, je skiais avec les ligaments croisés déchirés. Pour finir le tournage, j’avais accepté des doses massives d’antidouleurs. Sur l’ordonnance, rien sur le vertige, aucun avertissement. Et pourtant, sur moi, ces médicaments ont déclenché cette crise hallucinante : plus de repères, plus de stabilité, plus de contrôle, plus rien…

« Ce n’est pas une question de malchance »

Ce jour-là, je me suis fait une promesse : si ça m’est arrivé à moi, ça peut arriver à n’importe qui. Et j’allais le raconter. Pour éviter que d’autres se retrouvent, comme moi, allongés dans la neige, incapables de bouger, juste parce qu’ils n’avaient pas les bonnes infos. Quelques années plus tard, j’arrête ma carrière « pro ». Je prends le temps de regarder derrière moi : les sommets, les films, les chutes, les copains, les peurs tues, les décisions limites, les chances incroyables. Et en refaisant le chemin, je réalise une chose simple, presque brutale : ce qui m’a le plus exposé, ce n’était pas la neige, la météo ou la pente. Non, rien de tout ça, c’était moi. Ma tête. Mon corps. Mes choix. Mes illusions.

Je regarde alors ce qui existe comme formation sur la sécurité en montagne. Et pour moi, le constat est simple, il manque un truc fondamental : l’humain. Nos failles. Nos émotions. Nos raisons profondes de partir là-haut. J’ai compris grâce à ma carrière que les « facteurs humains » sont le plus souvent au cœur des drames. On sait, et toutes les études s’accordent sur ce point, que 90 % des avalanches sont déclenchées par la victime elle-même ou par quelqu’un du groupe. Ce n’est donc pas une question de malchance, c’est, la plupart du temps, de mauvaises décisions.

Alors j’ai rassemblé autour de moi des gens qui en savaient bien plus que moi sur ce sujet : des psychologues, des médecins, des spécialistes de la nutrition, de l’hydratation, du sommeil et de la gestion des risques. On a tout mis sur la table : la fatigue, le froid, le manque de carburant, le manque d’eau, le manque de recul, l’ego, la peur, la pression, les réseaux sociaux… Bref, tout ce qui fait dérailler une décision pourtant simple, là-haut.

« Donner à ton corps ce dont il a besoin »

Aujourd’hui, ce que j’ai envie de transmettre, c’est ça : pour prendre une bonne décision en montagne, il faut avant tout être bien dans son corps et clair dans sa tête. Bien dans son corps, ça commence par quelque chose de très basique : l’énergie. Manger vraiment. Boire vraiment. Une nutrition simple, saine, ce n’est pas une mode. C’est juste donner à ton corps ce dont il a besoin pour fonctionner, bouger, lutter contre le froid, c’est ton carburant. On l’a tous vécu, la fringale en pleine montée… où tout devient lourd, flou, irritant. Tu n’as plus de jambes, plus de patience, plus de lucidité. Dans ces moments-là, décider correctement devient presque impossible.

L’eau, c’est pareil. On est faits à plus de 60 % d’eau, et en montagne, on se déshydrate beaucoup plus vite qu’on ne le croit. On transpire même par -10 °C, on respire un air sec, on enchaîne les efforts. La quantité à boire dépend de la température, de l’humidité, de la durée, de l’intensité. Une partie vient des boissons, une autre de la nourriture, mais au final, si tu ne remplaces pas ce que tu perds, tu perds bien plus que de l’eau, tu perds en concentration, en coordination, en jugement. En plus, tu perds des sels minéraux. D’où l’intérêt des boissons isotoniques, pas juste un truc de sportif en pub, mais un vrai moyen de garder un équilibre. Oui, c’est lourd de transporter de l’eau, oui, ça prend de la place et parfois ça gèle, mais sans ça, la plus belle sortie peut tourner au cauchemar.

J’aimerais aussi parler du sommeil, on le sous-estime tous. Pourtant, c’est lui qui permet au corps de récupérer, au cerveau de trier, de mémoriser, d’apprendre. En altitude, en refuge, en voyage avec décalage horaire, il devient compliqué, et quand le sommeil se dérègle, les décisions se dégradent très vite. Je l’ai souvent constaté lors de voyages loin de chez moi, en Alaska ou en Himalaya, tu arrives, tu es excité, tu veux profiter, tu forces un peu sur les horaires, tu dors mal, tu cumules la fatigue, le froid, le stress du terrain… Et soudain, tu te surprends à hésiter là où tu étais si sûr d’habitude, ou au contraire à foncer là où tu aurais dû temporiser. Le jet-lag, les nuits hachées, ce ne sont pas des détails logistiques, c’est le fondement de ta lucidité. Mais être bien dans son corps ne suffit pas, il faut aussi être clair avec ce qui se passe dans sa tête, et le mental, c’est un vrai labyrinthe !

Freeride
(Scott Serfas / Red Bull Content Pool)

« Pourquoi tu y vas vraiment ? »

Les motivations, d’abord. Qu’est-ce que tu cherches dans cette pente ? Dans cette trace ? Dans ce sommet ? Il y a bien sûr le plaisir pur, les sensations, la glisse, le jeu avec la gravité, l’ivresse d’une grande ligne. Il y a l’aventure, sortir du cadre, explorer, se sentir libre et seul au monde, laisser sa trace là où presque personne ne passe. Il y a l’effort personnel, se dépasser, aller plus loin que ce qu’on croyait possible, gravir plus haut, skier plus raide. On veut prouver quelque chose, parfois aux autres, souvent à soi-même. Et puis il y a là aussi certainement une envie de se valoriser, d’être reconnu, de montrer ses images, ses pentes, ses performances. Les réseaux sociaux ont amplifié ça, une photo, une story, un film, un sponsor à convaincre, ça peut paraître anodin, mais là-haut, cette pression peut peser lourd sur une décision.

Être conscient de ses motivations, ce n’est pas se juger, c’est juste se regarder en face, se mettre à poil, honnêtement, et se demander : « Là, je pars pour quoi ? Pour qui ? Pour moi ? Pour le plaisir ? Pour le partage ? Ou pour combler un vide, prouver quelque chose, répondre à une attente ? »

Ensuite viennent les émotions, elles sont là, qu’on le veuille ou non, nos peurs, nos contraintes, nos frustrations. La peur, on la connaît tous, celle du vide, de la pente trop raide, du jour blanc, de la visibilité qui tombe et grignote peu à peu notre confiance. Elle te rappelle que tu es vivant, parfois elle te protège, parfois elle te freine ou te paralyse. La contrainte, c’est la pression, celle des résultats, des engagements, des sponsors, de l’image, et aussi du groupe. Tu te sens attendu, observé. Tu te focalises sur l’objectif à tenir, « je veux rentrer avec cette ligne » au lieu de vivre la course, la montée, la descente comme un processus, avec la liberté de renoncer. Et puis il y a les frustrations, quand la météo tourne, quand les conditions ne suivent pas, quand ton niveau du jour ne colle pas à tes envies, quand ton objectif ne peut pas être atteint. Ça serre à l’intérieur, ça met en colère, ça peut pousser à forcer « juste le virage de trop ».

L’illusion du contrôle « Je n’ai jamais eu de problème ici, ça va le faire »

Il y a aussi les perceptions, ces petites voix intérieures qui murmurent, qu’on n’a pas toujours envie d’écouter : « Là, c’est peut-être trop », « Aujourd’hui, t’es pas vraiment dedans », « fais gaffe, Dom, tu déconnes ». Nos perceptions se construisent sur notre expérience, le groupe dans lequel on évolue, le rôle qu’on pense avoir : le leader, l’expert, le local, le « fort ». On peut alors tomber dans plusieurs pièges, l’illusion du contrôle « Je n’ai jamais eu de problème ici, ça va le faire », ou la surconfiance de l’expert qui connaît la région, qui croit tout savoir, qui oublie de douter. Et voilà que s’installe la complaisance, on se repose aveuglément sur « le guide », « le pote qui sait », celui qu’on admire, et on coupe sa propre capacité critique.

Et puis il y a la vie, la vie tout simplement. Les stress du moment qu’on emmène sans s’en rendre compte là-haut dans son sac à dos, un amour qui commence et qui occupe tout son cœur et son esprit, une séparation qui fait mal, un conflit au boulot, des tensions familiales, un projet qui prend la tête, un souci d’argent, une engueulade avec un ami, un sponsor ou un voisin. Qu’ils soient positifs ou négatifs, tous ces événements consomment une partie de notre attention et grignotent notre capacité de concentration et de lucidité au moment « M », où il faut prendre une décision fine, rapide, vitale en terrain engagé, ce « bruit de fond » peut faire la différence.

Mais pour être honnête, là-haut, ce jour en Alaska, accroché à mon sommet, couché à plat ventre sur la neige, j’étais très loin de toutes ces réflexions. Je ne pensais ni aux facteurs humains, ni au sommeil, ni à la nutrition, ni au stress de la vie. Je pensais à une seule chose : ne pas lâcher, ne pas tomber, tenir jusqu’à l’hélico. Ma blessure au genou, je la croyais gérée. Les antidouleurs, je les voyais comme un outil, presque un détail. Mais je n’avais pas imaginé que, chez moi, ils pouvaient déclencher une crise de vertige totale, plus de repères, plus de concentration, plus de mouvement possible. J’étais conscient, mais incapable d’agir. Ce jour-là, j’ai eu de la chance, j’avais une équipe, des amis, un guide, un hélico, j’avais des moyens autour de moi pour me sortir de là sain et sauf.

Beaucoup n’ont pas cette chance, et parfois, le déclic se fait trop tard.

« Se poser les bonnes questions avant de s’engager »

Si je raconte cette histoire, c’est pour une seule raison : que chacun, une fois là-haut — et même parfois en bas quand tout est plat — prenne le temps de se poser les bonnes questions avant de s’engager. Est-ce que j’ai l’énergie pour être lucide jusqu’en bas ? Est-ce que je suis reposé, hydraté, nourri, vraiment disponible dans mon corps et dans ma tête ? Qu’est-ce qui me pousse aujourd’hui, le plaisir, l’envie, la pression, l’ego, ou la frustration ? Est-ce que je suis en train d’écouter ma petite voix intérieure… ou de la faire taire ?

La montagne restera toujours plus forte que nous, on ne la contrôlera jamais. Mais grâce à elle, on peut apprendre à mieux se connaître, à mieux nous respecter, à accepter qu’un renoncement peut être une victoire. Si mon vertige, si cette journée, allongé dans la neige des Tordrillos, peut éviter à une seule personne de franchir la limite de trop, alors cette peur et ce sentiment d’impuissance auront servi à quelque chose. Parce qu’au fond, notre plus belle ligne, ce n’est pas celle qui fait le plus de vues. C’est celle dont on revient.

Et pour pouvoir continuer à raconter ces histoires, pour continuer à tracer, à partager, à transmettre, il n’y a pas de secret miracle, pas de recette magique. Il y a des choses simples, presque banales, qu’on doit prendre au sérieux : s’écouter, se préparer, se respecter, se former, accepter ses limites, oser dire non, oser faire demi-tour, oser parler de ce qu’on ressent. Ce n’est pas être peureux, c’est être responsable, et c’est ce qui nous permet, saison après saison, retour après retour, de continuer à vivre pleinement ce pour quoi on y va : la liberté, le plaisir, l’aventure… En ayant la chance de rentrer pour en rêver à nouveau. Et peut-être que, la prochaine fois que vous serez là-haut, prêt à vous engager dans une pente un peu plus raide que d’habitude, vous repenserez à ça.

Et si, à cet instant précis, vous choisissez de renoncer, de modifier l’itinéraire, d’attendre, de faire demi-tour, ce ne sera pas un échec, ce sera juste une décision juste. Et si mon histoire peut vous accompagner ne serait-ce qu’un instant au moment de décider, alors tout ce que j’ai vécu là-haut aura vraiment eu un sens.

Beau temps, belle neige et bel hiver à tous, en toute sécurité.

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Photo d'en-tête : Dean Blotto Gray / Red Bull Content Pool
Thèmes :
Montagne
Sécurité
Ski
Ski alpinisme

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