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Effet « Kaizen » : Comment réapprendre le risque sans mourir pour une jeunesse en quête de sommets ?

  • 8 juillet 2025
  • 6 minutes

Blaise Agresti Blaise Agresti Blaise Agresti, guide de haute montagne et ex-commandant du PGHM de Chamonix, est le fondateur de Mountain Path et un auteur passionné par le secours en montagne et le management des risques.

« J’ai aimé le film Kaizen d’Inoxtag, réalisé avec son guide Mathis Dumas. Vu sur YouTube plus de 44 millions de fois, les images ont eu un impact énorme et inédit sur la jeunesse française. La quête de l’Everest, la préparation et l’émotion du sommet y sont rendues de belle manière. A l’époque déjà, une crainte avait germé sur les effets collatéraux de ce succès : et si les montagnes étaient gagnées par l”effet Kaizen” avec un afflux d’une jeunesse urbaine néophyte en quête d’altitude, peu préparée et peu formée ? Il est très difficile d’évaluer si ce phénomène est réel et quelle en est son ampleur. Mais quelques événements et chiffres questionnent néanmoins, » s’interroge dans cette chronique Blaise Agresti, guide de haute montagne, en charge pendant plus de vingt ans du PGHM de Chamonix, et auteur de plusieurs ouvrages de références sur le secours en montagne.

Une recrudescence des accidents ?

Voici quelques jours, en chemin vers le mont Blanc, deux jeunes ont appelé le PGHM de Chamonix (peloton de gendarmerie de haute montagne) pour une « fracture de fatigue ». Le régulateur a résisté à cet appel et les deux apprentis alpinistes sont finalement redescendus par leurs propres moyens vers le refuge du Nid d’Aigle. Lorsque nous les avons croisés, nous avons échangé : ils rêvent de montagne, inspirés par les images d’Inoxtag et par ce grand désir de nature. Rien d’anormal. Mais ils ne savent pas comment s’y prendre. Leur rêve était de gravir le Mont Blanc et ils cheminaient avec des sacs plastiques pour transporter leurs affaires, le brouillard et l’austérité de la montée vers le refuge de Tête Rousse les ont conduits à appeler les secouristes. Puis à renoncer. 

Plusieurs jeunes sont morts ces jours derniers : une jeune femme de 24 ans au couloir du Goûter, un jeune de 19 ans dans les Aiguilles de Chamonix, un autre en speed riding plus expérimenté qui a grandi dans la vallée de Chamonix. Cette jeunesse meurt assez mal accompagnée, et souvent pas ou mal formée. Les gardiens de refuge observent cette tendance d’une jeunesse en quête de montagne, sans expérience ni connaissance des règles à respecter. 

De la vidéo YouTube à la montagne « en vraie »

La génération Z (1995-2012) serait plus exposée, notamment parce qu’elle a vécu une phase d’enfermement et de confinement liée au COVID, dont on a du mal à mesurer les effets sur les capacités à appréhender le réel et le complexe. Selon les statistiques de la gendarmerie rapportées par le patron du PGHM de l’Isère Rémi Pelisson, l’occurence des “bloqués techniques”, c’est à dire le nombre de secours réalisés pour des alpinistes n’étant pas blessés, aurait augmenté de 15 points sur une période de 20 ans pour cette tranche d’âge, attestant d’une logique d’assistanat en augmentation. Cet officier cite aussi le livre “The Anxious Generation” de Jonathan Haidt pour appuyer son constat sur le lien entre la diminution de l’apprentissage par le jeu non supervisé par des adultes durant l’enfance et l’aptitude à gérer l’adversité à l’âge adulte. Le contrôle sociétal et parental accru empêcherait l’apprentissage par l’expérience. Ces éléments orientent sur un phénomène plus large que l’effet “Kaizen” qui ne fait qu’amplifier ces données sociologiques.

Si le besoin d’assistance et de sauvetage augmente pour cette génération Z, c’est qu’elle n’a pas les clefs et les outils pour aborder l’activité et qu’il manque plusieurs étapes à l’apprentissage qui sépare le visionnage d’une vidéo sur YouTube et l’ascension d’une montagne en vrai, avec ses dangers, ses aléas, sa complexité.

Reconnecter les communautés 

La question que pose donc cet « effet Kaizen », c’est comment permettre à cette jeunesse d’aller en montagne dans de bonnes conditions de sécurité ? L’alpinisme a toujours été une pratique à part, construite autour d’une relation complexe et ambiguë avec le risque. Chacun explore, découvre, apprend. Mais l’aide d’un mentor, d’un guide peut être utile pour défricher cette complexité. Les clubs, les associations sportives et les salles d’escalade sont des lieux où peuvent se former de futures cordées, sans que l’apprentissage à l’alpinisme n’en soit la priorité. Pourtant sans pratique de terrain, l’apprentissage des risques vient heurter les fondements de la pédagogie.

Depuis sa fondation en 1874, le Club Alpin Français devenu fédération des clubs alpins (FFCAM) accomplit cette mission de formation et propose des sorties encadrées par guides ou des encadrants bénévoles. L’UCPA et les bureaux de guides proposent aussi des initiations, mais le coût est déjà plus élevé. Plusieurs associations aussi existent. Toutes ces organisations sont mal implantées en zones urbaines ou péri-urbaines, et surtout elles sont méconnues de cette jeunesse qui répond aux codes d’une communication bien spécifiques  (TikTok, Snapchat, Instagram, YouTube notamment ou les jeux en ligne). Les usages de cette jeunesse sont connus. Ils surfent sur les réseaux, se nourrissent de vidéos… et les influenceurs ont un pouvoir immense sur elle. 

Quand j’ai interrogé ces enjeux voici quelques jours [dans un post publié sur LinKedin], le guide Mathis Dumas, compagnon de cordée d’Inoxtag, a annoncé vouloir créer un espace de sensibilisation aux risques sur Youtube. Il existe déjà plusieurs initiatives pour éduquer aux risques en montagne, je pense à Dominique Perret avec son projet éducatif WEMountain pour le risque d’avalanche, ou Objectif Alpinisme et d’autres contributions que l’on trouve sur internet comme CamptoCamp. Sur le plan institutionnel, l’école nationale de ski et d’alpinisme dispose d’une chaîne YouTube, assez confidentielle avec des vidéos techniques libres d’accès. On peut aussi noter les apports des marques de l’Outdoor comme Ortovox, la fondation Petzl et d’autres, qui mettent à disposition du matériel pédagogique. Mais finalement, ces contributions ont un impact mesuré, car rien ne remplace la mise en pratique sur le terrain : il est bien difficile d’apprendre l’alpinisme devant son ordinateur ou son portable. 

Du digital au réel, comment réapprendre le risque ?

Franchir les obstacles de l’apprentissage par une pratique réelle constitue l’enjeu véritable. Mais exposer des mineurs ou de jeunes adultes à des risques pour simplement leur apprendre la montagne (ou la vie réelle) se heurte à de nombreux freins, à commencer par les obstacles juridiques autour de la responsabilité, les coûts élevés de ces activités et le besoin d’encadrement. Quelques initiatives subsistent pour accueillir des publics défavorisés, notamment les deux associations historiques “A chacun son Everest” et “82 4000”. Plus récemment des jeunes d’école de commerce ont initié un projet “Encordés pour avancer” avec l’idée de relier des jeunes et des dirigeants pour créer un lien et aider à l’insertion professionnelle. Mais toutes ces initiatives ne s’adressent pas spécifiquement “au grand public”, celui que l’on commence à croiser dans les montagnes et qui échappe à ces initiatives.

Durant la deuxième guerre mondiale, un mouvement de résistance encadré par l’armée de l’air avait vu le jour en août 1940 : Jeunesse et Montagne, ancêtre de l’UCPA. Ce mouvement formera de nombreuses grandes figures de l’alpinisme des années 1950 et 1960 : Lionel Terray, Gaston Rebuffat, Louis Lachenal ou Honoré Bonnet notamment. Il s’agissait de camps en montagne conjuguant courses d’alpinisme, formation, entraide et vie commune sous la tente, sans aucun frais. La finalité était de maintenir la jeunesse française dans un certain état d’esprit, une combativité, un engagement, une énergie collective : faut-il relancer ce type d’initiative ? Proposer à la jeunesse française des camps d’été et d’hiver encadrés par les professionnels de la montagne (guides, chasseurs-alpins, secouristes, bénévoles), une forme de scoutisme alpin revisité ? Mais le sujet du financement et de l’organisation est complexe voire insoluble à appréhender : initiative privée ou publique ? Et il faut noter que l’envie même d’ouvrir la montagne a un public élargi dérange vu l’affluence et la saturation des espaces déjà observées. Peu de montagnards veulent vraiment transformer la montagne en école du risque et de la vie pour une jeunesse digitalisée…

Pour éviter l’impasse, mobiliser les influenceurs

Si l“effet Kaizen” n’est pas ce feu de paille et si cette jeunesse européenne souhaite réellement s’éprouver dans les montagnes pour revenir vers une nature sauvage, alors les services de secours vont observer une recrudescence des accidents. C’est inexorable, sauf à changer radicalement de posture. Aborder la montagne sans préparation, ni connaissance, écrit les drames d’aujourd’hui et de demain. Pour éviter cette impasse, cela impose de mobiliser ceux-là même qui ont amplifié le phénomène, les influenceurs, et de les pousser à contribuer concrètement à un changement de culture du risque. Les institutionnels n’ont aucun impact sur les réseaux. Les influenceurs ont un pouvoir et une responsabilité morale immenses. La communauté montagnarde devrait donc commencer par prendre le temps de former ces influenceurs, qui sont les seuls capables de créer un impact positif pour relier la jeunesse digitalisée au monde réel des alpinistes et leur ouvrir des initiatives et des formations concrètes. En ce sens, l’initiative de Mathis Dumas va dans la bonne direction. Quant au financement, les marques de l’outdoor, les réseaux sociaux et les influenceurs pourraient contribuer à cette action pour la rendre abordable. Mais là je m’enthousiasme un peu vite…

Photo d'en-tête : Inoxtag / Youtube
Thèmes :
Alpinisme
Inoxtag
Montagne
Risque
Société

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