Il faut voir ou revoir ce magnifique documentaire de 52 minutes : l’histoire de Vahine Fierro qui, à 18 ans, décrochait la médaille d’or aux championnats du monde junior. Elle s’imposait alors comme la première Française à conquérir ce titre depuis 2010. Dans « De mer en filles », on découvre le quotidien d’une surfeuse devenue un modèle pour de nombreuses adolescentes, des graines de championne tout aussi prometteuses, qui héritent d’une longue tradition.
Les femmes ont toujours fait partie de la légende du surf qui a fait la réputation de Tahiti. Mais aujourd’hui, c’est Vahine Fierro, qui du haut de ses 22 ans s’apprête à la réécrire. Sacrée championne du monde de surf junior en 2018, elle a malheureusement manqué de peu la qualification pour le CT 2022, mais son prochain objectif est déjà clair : les JO 2024, année où les jeux se dérouleront à domicile pour la jeune surfeuse, sur la mythique vague de Teahupoo.
Teahupoo, justement, c’est aussi son plus grand challenge. Réputée pour sa dangerosité, cette vague est le tube parfait – mais si près des récifs de corails qu’aucun surfeur n’a le droit à l’erreur. Et pour cause. En 2005, Keala Kennelly, surfeuse professionnelle hawaïenne, s’était blessée à la tête lors d’une manche du WCT, le championnat du monde de surf. Depuis, les épreuves féminines ont été supprimés sur ce spot de la compétition.
Une championne rebutée par la compétition
En Tahitien, « Vahine » signifie « femme ». Mais lorsque ses parents lui ont attribué ce prénom à sa naissance, en 1999, ils ne s’attendaient pas à ce que leur enfant devienne plus tard un véritable modèle pour toutes les jeunes filles de l’île. Le surf devient très vite une évidence pour Vahine, qui s’approprie les planches de son père – ancien surfeur professionnel américain – dès 4 ans.
Passionnée de glisse avant tout, ce n’est qu’à partir de ses 13 ans que ses parents lui suggèrent de commencer ses premières compétitions – une idée qui la rebute au premier abord. « Quand j’ai commencé le surf, je n’étais pas destinée à être une compétitrice. C’est mon papa qui a remarqué mon niveau, et qui m’a proposé de faire de la compétition ». Au début réticente à l’idée de faire face à la pression et au système d’évaluation – expliqué par Johanne Defay dans une interview avec Outside en septembre dernier – elle a fini par essayé car « c’est un métier de rêve, d’être payée pour vivre de sa passion ».
Graines de championnes
Le film retrace le cheminement introspectif de la jeune femme, tout en nous invitant à partager son quotidien, sa vie familiale, et sa relation particulière avec ses deux soeurs, Heimiti (16 ans lors du tournage) et Kohai (14 ans), surfeuses également. Toutes les deux souhaitent suivre les pas de Vahine, dont on découvre les questionnements sur l’équilibre entre vie sociale, et entraînement pour les compétitions. « Pour l’instant elles sont encore dans mon ombre, mais je pense qu’il faut qu’elles fassent quelque chose qui les démarque de moi. En quelque sorte, ça les pousse à faire mieux que moi », confie l’aînée.
C’est donc toute une génération de futures championnes que l’on découvre dans ce documentaire ; parmi elles, il y a aussi Kiara Gold, qui à 10 ans, affronte des vagues de 3,5 mètres. Et quand on lui demande pourquoi elle veut être surfeuse, sa réponse est limpide : « quand j’ai vu Vahine, j’ai voulu faire pareil ». Aujourd’hui, elle compte déjà 4420 abonnés à son compte Instagram – car la recherche de sponsor commence très tôt. « C’est la nouvelle façon de s’identifier dans le monde », souligne Vahine.
Le paradoxe des sponsors pour les femmes
La question des sponsors, justement, est aussi évoquée dans ce documentaire. Une problématique qui a évolué paradoxalement : plus accessible aux femmes qu’avant, mais qui requiert plus de critères esthétiques. « Si une fille ne surfe pas très bien mais qu’elle est jolie, elle trouvera quand même un sponsor ; et si elle a ces deux qualités, c’est encore plus facile. Avoir un sponsor, c’est ce qui leur permet de voyager, et de poursuivre leur rêve. Sinon, on reste à Tahiti, et on cherche du travail dans des bureaux », explique Hira Teriinatoofa, entraineur olympique et double champion du monde de surf lui-même.
Et si ce documentaire se focalise principalement sur l’avenir du surf tahitien, il n’oublie pas de contextualiser l’évolution du surf – tout en s’inspirant de témoignages d’anciennes célébrités du surf qui, elles aussi, ont remarqué les changements de la pratique. On voit notamment apparaitre à l’écran Tania Tehei, chanteuse et pionnière du surf féminin à Tahiti dans les années 1970. « Aujourd’hui, si on veut être à 100% l’égérie d’une marque, il faut être bonne en surf, et être féminine. Maintenant, il faut aussi montrer du lifestyle, être sur Twitter, Instagram, c’est ça qui marche. Pour que ce soit vu, il faut que ce soit beau à voir ». Cette esthétisme du surf dénote bien avec l’époque où elle s’est lancée à l’eau. « Je me suis mise au surf car je trouvais que toute les nanas passaient leur temps à attendre leur mec dans leur bagnole pendant qu’ils surfaient », ironise-t-elle.
Une mixité homme-femme désormais ancrée en surf
Si à cette époque, le surf n’était pas autant démocratisé, il est évident que la mixité homme-femme s’est depuis imposée dans l’eau. « Maintenant, quand j’emmène ma fille faire du bodyboard, je suis étonnée de voir sur certains spots qu’il y a autant d’hommes que de femmes. C’est parce qu’aujourd’hui, les femmes sont vachement plus respectées, elles ont moins peur. C’est devenu une communauté à part entière. Des femmes ont montré qu’on pouvait se faire respecter, qu’on surfait aussi sur des grosses vagues, sur le récif, qu’on n’avait peur de rien et qu’on touchait à tout. On s’est imposées il y a 20 ans, c’est plus facile pour celles qui arrivent maintenant », explique Patricia Rossi, 47 ans, vice-championne du monde de surf, 22 titres de championne de Polynésie à son palmarès.
Une chose est sûre, la détermination de Vahine Fierro est bien à l’image de toutes les autres surfeuses de Tahiti, qui n’attendent plus que l’arrivée des Jeux Olympiques pour démontrer leur talent.
Article initallement publié le 1 février 2021, mis à jour le 28 mai 2024.
Photo d'en-tête : De mer en filles