Que va-t-elle faire dans cette galère ? L’annonce de sa nomination dimanche au poste de ministre déléguée à la Mer et à la Pêche a pu surprendre. Femme de conviction, pas le genre à naviguer en eaux troubles, on la voit mal à bientôt 63 ans s’engager dans une mission sans y croire. C’est mal la connaître. Celle qui a dédié sa vie à la défense de l’environnement est une habituée des causes difficiles – voire perdue diront les plus pessimistes. Elle a montré, en mer comme à terre, qu’elle n’était jamais plus efficace que lorsque ça tanguait fort. Elle va avoir fort à faire dans les jours à venir. Mais elle en a la carrure.
En novembre 2022, Catherine Chabaud était la seule femme sur le podium de la route du Rhum. Vingt ans après sa dernière course au large, elle signait cette année-là son retour dans la compétition. Elle avait alors 60 ans, et son retour tenait un peu du hasard. En 2018, son époux Jean-Marie Paitier rachète le monocoque le Cigare Rouge aux enchères en vue de participer lui-même à la compétition. Au final, il abandonne l’idée, mais Catherine Chabaud décide, elle, de rouvrir ce chapitre de sa vie. Car elle sait saisir les opportunités, et ce bateau, elle le connaît bien ! C’est sur ce même monocoque que la navigatrice devient la première femme à terminer un tour du monde à la voile en solitaire sur l’édition de 1996-1997, à la 6e place du classement général. Or, comme elle l’expliquait à l’été 2022, la mer lui manque. Pas étonnant, quand on compte à son actif plus de deux tours du monde en solitaire sans escale (Vendée Globe 1996 et 2000), treize traversées de l’Atlantique dont quatre en solitaire et deux participations à la Solitaire du Figaro, sans parler de plusieurs Tours de l’Europe et Tours de France à la Voile.
Mais l’édition 2022 de la route du Rhum a une saveur particulière, celle de la revanche. En 1998, la première et dernière fois que Catherine Chabaud tente l’épreuve, elle ne franchit pas la ligne d’arrivée. Son mât se casse à quelques centaines de milles de l’arrivée, alors qu’elle était en tête. Pas de quoi la décourager. Comme elle le confiait à l’époque sur France 3 « Je ne regarde jamais derrière moi. C’est fait, c’est cassé, je ne vais pas le réparer à coup de baguette magique. […] Je ne vais pas me lamenter trop longtemps ». Elle remet vite le couvert et enchaine les belles performances. En 1999 elle participe à la course de l’Europe, la Fastnet et la Transat Jacques Vabre qu’elle termine respectivement 2e, 1ère et 2e. Puis en 2000, on la voit sur la Transat anglaise où elle finit à la 6e place. En 2001, nouvelle déconvenue pour la skippeuse, nouveau démâtage, et Catherine Chabaud doit abandonner. Cette course marque un tournant dans sa vie. Marquée par le nombre de déchets qu’elle a vu en mer lors de ses nombreuses expéditions, elle s’engage pleinement sur les questions du développement durable et décroche de la course au large d’une manière qu’elle pense alors définitive.
De Thalassa au Parlement européen
La navigatrice a de nombreuses ressources pour porter ses combats sur terre. Diplômée de l’Institut Pratique de Journalisme en 1983, elle collabore entre 1982 et 1993 à différents médias de radio et de presse écrite, notamment Thalassa dont elle était rédactrice en chef, mais aussi Mer & Bateaux, RFM, Europe 2… A la fin des années 2000, laissant son parcours sportif derrière elle, elle se consacre pleinement au journalisme. Le développement durable est au centre de ses sujets, elle réalise des émissions de radio et documentaires télévisés.
Son engagement, autrefois sportif, évolue. Lorsqu’elle raccroche, le but est de créer un bateau d’exploration et faire des reportages aux quatre coins du globe sur les initiatives environnementales mais le projet ne verra pas le jour. Elle travaille avec le ministère de l’Écologie de 2008 à 2009 dans le cadre de la mission « Nautisme et Développement durable » et participe au Grenelle de la mer en 2009-2010. d’après elle, une prise de conscience collective s’est vraiment opérée à partir de ce moment-là. « A cette occasion, le monde économique, les ONG, les institutions, les scientifiques, les syndicats ont partagé le constat que la mer était l’avenir de la terre. » expliquait-elle à Libération en 2020.
Son engagement politique continue au Conseil économique, social et environnemental (CESE), où elle siège de 2010 à 2015 et travaille à la préservation des océans. Aussi infatigable sur terre qu’elle ne l’était sur mer, elle co-fonde la plateforme Océan et Climat (POC) en 2014, qui mobilise aujourd’hui plus de 90 organisations. La POC a pour mission d’éclairer les décideurs sur les liens entre réchauffement climatique et océan. Nommée ambassadrice lors de la COP21, elle défend l’océan dans les discussions. L’année suivante, elle lance le « Tour de France des solutions pour le climat », pour sensibiliser et mobiliser aux enjeux climatiques en lien avec l’océan. Dans la foulée, elle co-créé la Fondation de la Mer qui met en œuvre des projets pour protéger les fonds marins. De 2016 à 2017, elle est nommée déléguée à la mer et au littoral au sein du ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer. En 2018, elle lance un appel pour un « océan, bien commun de l’humanité », association qui se bat pour la préservation des océans.
Surpêche, pollutions marines… les dossiers sensibles l’attendent
Toute sa motivation, elle la puise dans son passée de compétitrice. En 2021, elle confiait : « Tout ce que je fais aujourd’hui, je trouve l’énergie de le faire et la conviction que c’est possible parce que j’ai bouclé mon premier Vendée Globe » Elle explique avoir compris que lorsque l’on se donne les moyens nécessaires, on peut y arriver.
Élue eurodéputée de 2019 à 2024 au sein de la liste Renaissance / MoDem, elle a notamment travaillé sur les questions de développement, de plastique marin et de biodiversité. Et quand elle boucle le chapitre Bruxelles, ce n’est pas vraiment pour prendre sa retraite. En mai 2025, elle est élue présidente du Yacht Club de France, devenant la première femme à occuper ce poste. Presque des vacances, comparé à ce qui l’attend aujourd’hui au gouvernement. Plongée depuis le 12 octobre dans les eaux troubles de la politique où les mâles Alpha s’entretuent joyeusement, elle va devoir faire preuve de tout son courage et de sa ténacité pour pousser les nombreux dossiers brûlants qui se sont accumulés sur son bureau au fil des remaniements successifs. Entre autres sujets sensibles : l’extension et le renforcement des aires marines protégées et l’interdiction du chalutage de fond, la surpêche, la capture accidentelle de cétacés et bien sûr les pollutions marines.
Autant de combats qu’elle devrait pouvoir mener avec l’appui de Monique Barbut, ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité et des Négociations internationales sur le climat et la nature, dont dépend son ministère. Comme Catherine Chabaud, cette économiste a montré qu’elle connaissait ses dossiers. On l’a vu à la tête de WWF-France, de la Convention des Nations unies sur la désertification et du Fonds pour l’environnement mondial. Rassurant en ces temps perturbés… à moins qu’à peine arrivées toutes deux soient dégagées sans plus de manière.
Photo d'en-tête : Route du Rhum- Thèmes :
- Environnement
- Océan
- Voile