Le « roi des glaciers », le « château d’eau de l’Asie centrale »… s’aventurer à parler du Fedchenko conduit irrémédiablement à frôler les extrêmes. On comprend la fascination que cette immensité glacée, située au cœur du Pamir, au Tadjikistan, a pu exercer sur Cédric Gras, l’écrivain voyageur, et combien il lui a été facile d’embarquer dans son périple Matthieu Tordeur, un habitué des zones polaires. De leur expédition, soutenue par Picture, ils sont revenus avec un film de 52 minutes, « Fedchenko, le glacier oublié », réalisé par Christophe Raylat. A découvrir en avant-première, mercredi 20 avril, dans le cadre du Festival International du Film Aventure et Découverte de Val d’Isère.
Parti sur la piste des frères Abalakov, deux alpinistes russes parmi les plus héroïques de leur génération, victimes des purges staliniennes à la fin des années 30, Cédric Gras, écrivain russophone et familier de l’Eurasie, en revient en 2020 avec un essai passionnant « Alpinistes de Staline ». Très remarquée, son enquête réalisée des archives du KGB jusqu’au pic Lénine, lui vaut le prestigieux Prix Albert Londres. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Au cours de ses recherches, l’écrivain, géographe de formation, en vient à s’intéresser de plus près à l’un des glaciers emblématiques de cette région, l’immense Fedchenko, 660 km2 et plus de 80 km de long, entouré de sommets culminants à plus de 7000 m d’altitude dans le Pamir, au Tadjikistan. Contribuant largement au débit des grands fleuves d’Asie centrale, comme l’Amu Darya, ce géant est exploré pour la première fois en 1871, par une expédition russe, dirigée par le célèbre naturaliste et explorateur du Turkestan A.P. Fedchenko qui établira un plan général de la chaîne de montagnes du Pamir. Au passage, il donnera aussi son nom au glacier.
50 millions de personnes dépendent de l’eau de ces glaciers
Pendant des décennies, cette zone colossale – l’équivalent de la masse glaciaire de tous les glaciers des Alpes – sera presque oubliée avant d’être entièrement explorée en 1928 par une expédition germano-soviétique dont l’enjeu est alors de cartographier et d’explorer la région. Depuis, rares sont les voyageurs qui se sont aventurés dans cette région très difficile d’accès, alors que son intérêt stratégique est plus vital que jamais. Véritable château d’eau pour 50 millions d’habitants, sa source irrigue en effet les cultures du continent sur plus de 2 000 kilomètres. Les glaciers du Pamir sont certes encore relativement épargnés par le réchauffement climatique, mais ils restent un enjeu majeur pour la région. Car ses eaux de fonte sont retenues par des barrages titanesques et s’épuisent à travers les déserts et les cultures de coton de l’Ouzbékistan. Alors qu’il fut un temps où elles remplissaient la lointaine Mer d’Aral, quasiment asséchée aujourd’hui.
C’est le point de départ de l’aventure dans laquelle se sont lancés Cédric Gras et Matthieu Tordeur en septembre dernier. Accompagnés par Christophe Raylat, qu’ils connaissent tous deux très bien pour avoir partagé d’autres expéditions, ils vont remonter le fleuve Amou- Daria, de la Mer d’Aral en Ouzbékistan, jusqu’aux sources du glacier Fedchenko au Tadjikistan, » enjeu central pour la prospérité, la stabilité et la paix dans la région », explique Cédric Gras. C’est donc leur périple que l’on suit dans « Fedchenko, le glacier oublié », documentaire réalisé avec le soutien de Picture. Un tournage au timing très serré où le redoutable sens de la logistique de Matthieu s’est imposé.
« Il est très fort en préparation d’expédition », explique Cédric Gras. « Très méticuleux, très organisé. Au niveau matériel, il laisse peu de place à l’improvisation. C’est un vrai aventurier, très méthodique ». « On partait pour trois semaines, dont deux en autonomie totale en montagne », poursuit Matthieu. « C’est vrai que si, Cédric a un côté fonceur, moi, j’ai tendance à rétropédaler, à me montrer plus prudent, peut-être parce que je connais moins bien que lui le milieu de la montagne. Mais j’aime faire les choses correctement. J’ai appris à le faire au fil de mes expéditions. La zone du Pamir, je la connaissais déjà un peu pour y être déjà allé deux fois. Lors de mon expédition en 4L, d’Irkoutst jusqu’à Samarcande en 2017 et lorsque j’ai fait la Karakoram High Way à vélo. Mais début septembre 2021, lorsque nous avons pris l’unique route pour rejoindre la vallée de Bartang et commencer notre expédition sur le glacier Fedchenko, la situation était sensiblement différente. Nous avons longé la frontière afghane pendant plusieurs centaines de kilomètres. Les Talibans venaient d’y prendre le pouvoir. De l’autre côté de la frontière, on pouvait voir leur 4×4 avec leurs drapeaux blancs sur le toit. Reste que côté tadjik, c’était plutôt stable. »
Des porteurs tadjiks peu rodés à la montagne
La montée de l’équipe vers le glacier n’aura au final rien de très dangereux, mais le terrain n’en restera pas moins très exigeant, avec des descentes en rappel, des rivières à traverser, des pierriers sans fin, des crevasses et des cols à presque 5000 mètres d’altitude. Le tout dans une zone sans aucune possibilité de secours. Le dernier hélicoptère s’étant crashé peu de temps avant leur arrivée. « C’est dur ! », raconte Matthieu. « Un gros trek, engagé, le terrain est hyper difficile, chaotique. Tu marches et tu glisses. C’est assez physique ».
Le plus difficile pour cette expédition ? Trouver des porteurs. Depuis que les Russes n’y vont plus, rares sont ceux qui ont une vraie connaissance de la montagne. » Par chance, un contact en France les mettra en relation avec celui qui va s’imposer comme leur guide, Anatoli, « un vieux de la vieille » explique Cédric », dont le rôle sera crucial dans une zone où la cartographie n’est pas évidente. C’est lui qui montera une équipe tadjik de cinq hommes. Hakim, Hamid, Zarballi, Rachim et Simeon, partis lourdement chargés pour cette ascension de deux semaines en autonomie qui les a conduits à plus de 4000 mètres d’altitude. Panneaux solaires, grosses batteries, drones et caméras s’ajoutant aux provisions nécessaires pour une semaine de marche avant d’atteindre l’immense glacier dont l’épaisseur atteint jusqu’à 1500 mètres.
La fonte est amorcée, mais reste encore invisible
Là les attend également une station météorologique soviétique abandonnée. Etrange bâtiment échoué dans l’immensité glacée. Construite en 1933 par les Soviétiques, la station Gorbunov surplombe le glacier Fedchenko à 4230 mètres d’altitude. Pendant des années quatre personnes y ont travaillé, de novembre à novembre, pour y effectuer des relevés météorologiques : mesures de la température, des précipitations, de la vitesse du vent. En 1991, à la chute de l’URSS, elle sera abandonnée. « À l’intérieur, tout a été laissé en plan. C’est comme si les occupants étaient partis hier », se souvient Matthieu. « On y trouve tout un tas d’appareils de mesures, un poste de radio, une salle avec des générateurs, une bibliothèque, des poêles à charbon… Sur les murs, des posters de Madonna et de Jean-Claude Van Damme. » Un retour dans le passé émouvant.
Des année plus tard, cette base sera remplacée par une station météo automatique, « Les données qu’elle renvoie sont cruciales pour observer l’état des glaciers du Pamir, unique réserve d’eau douce de l’Asie centrale dont des millions d’habitants dépendent », explique Cédric Gras. « Sans eux la vie ne serait pas possible dans cette région du monde ». Malgré de faibles pertes de masse, une propagation de l’amincissement du glacier vers l’amont a déjà été observée au cours du XXème siècle, selon l’IGE de Grenoble. La fonte est donc déjà amorcée. « Mais on ne s’en aperçoit pas », poursuit Cédric Gras. « Car en Asie Centrale, il ne pleut pratiquement pas, toute l’eau vient de la fonte des glaces. Or elle continue de couler et la population, qui va augmentant, l’utilise généreusement. Si aujourd’hui, le glacier ne souffre pas autant du réchauffement climatique que ses homologues alpins, la précarité de sa source dépend davantage de son exploitation. Entre la mer d’Aral desséchée et le plus long glacier du monde, le fleuve Amou-Daria se perd dans le désert où l’eau est prélevée pour l’irrigation. » Dans un premier temps, tout ira bien. Mais il en sera autrement d’ici une génération ». s’inquiète-t-il.
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