Pour nombre d’amateurs d’ultra, et non des moindres, c’est le Graal. Pour Alexis Berg – photographe et cameraman français – habitué des lieux depuis 2013, pas moins de sept couvertures à son actif – cette course autour du Mont-Blanc de 171 km et 10 000 m de D+ au départ de Chamonix, à laquelle 2300 trailers vont prendre part ce vendredi 26 août à 18h, est un formidable terrain d’observation. De performances mais surtout d’émotions, comme le met en évidence la sélection de photos qu’il commente ici pour Outside.
«J’adore couvrir les ultras », nous expliquait en août dernier Alexis Berg à l’occasion de la sortie de son film sur Le Grand Col Ferret, l’un des passages clefs de l’UTMB, trail parmi les plus prestigieux au monde, tracé autour du Mont-Blanc. « Dans ce type d’épreuves, il se passe beaucoup de choses, et les imprévus réservent de très belles surprises. Mais l’UTMB a une dimension particulière, c’est la densité de haut niveau qui s’y cristallise. Qu’on ne rencontre nulle par ailleurs, sinon à la Western States Union, aux USA. La possibilité du renversement de situations, les tensions qui s’y concentrent sont exceptionnelles. Il faut avouer que c’est assez rare dans ce sport. Bien sûr on se souvient du mano à mano en 2017 de François D’Haene et de Kilian Jornet, mais c’est aussi une course qui a beaucoup d’enjeux pour les gens. Tous les gens. Pour les élites dont la course peut être décisive aux yeux de leurs sponsors. Mais aussi pour tous les autres trailers qui en ont rêvé depuis longtemps. Pour eux, c’est le sommet. Et pour tous, ça multiplie les émotions. Ce moment leur appartient à jamais », expliquait-il.
A la veille du lancement de l’UTMB, voici vingt images choisies et commentées par le photographe, reflètant les multiples facettes de cet course hors normes.
Séance de massage pour Kilian Jornet
« On est en 2017, deux jours avant la photo de l’arrivée de l’UTMB qui fait l’ouverture de votre article. Kilian est en train de se faire masser. Aujourd’hui on ne mesure pas forcément l’importance de ce moment, mais dix ans après sa première victoire à l’UTMB, le revoir à Chamonix était surprenant. Pendant des années il avait tourné le dos à cette course. Trop fort, il se sentait sans doute pas assez challengé, mais en 2017, il avait annoncé son retour, poussé par l’émulation, vu le niveau de la course cette année-là. Lors de cette prise de vue, un moment assez intime, j’étais seul avec lui. Kilian a été médiatisé dès ses 20 ans, de manière continue et assez intense, mais il est parvenu à limiter et contrôler ses apparitions dans les médias. Il a beaucoup de recul sur son image, et avec le temps il a surtout appris à contrôler quand il veut bien s’exposer et aussi à se réserver plein de moments où il peut faire sa vie. Il est ouvert à tout le monde, mais vu sa popularité, c’est parfois un peu dur pour lui, notamment à Chamonix où beaucoup de gens viennent vers lui.
L’image classique du départ de l’UTMB
On s’est aujourd’hui habitué à cette foule, aux couleurs, à la densité de coureurs et à la variété des nationalités, mais pour un trail, ça reste quelque chose de presque exceptionnel. Il ne faut pas oublier que pendant longtemps ces courses nature ne rassemblaient pas plus de 100 à 200 participants. Bien sûr il y a de grandes courses, telles que la Diagonale des fous ou Les Templiers, mais l’ultra de masse est lié à l’histoire de l’UTMB, un énorme événement depuis quinze ans maintenant, comme d’autres en Europe ou en Asie. Mais ce n’est qu’une facette de ce sport qui en a bien d’autres. Les opposer n’est pas très utile, car chacun se retrouve dans une forme ou une autre. Certains fuient la foule et préfèrent la Barkley ou la Hardrock 100, d’autres ne rêvent que de ça, et ne voit rien de plus beau que ce cœur collectif. Je le respecte et ne dresse pas de hiérarchie.
Pause à mi-course au ravito de Courmayeur
Cette photo est un peu particulière pour moi, c’est sans doute celle qui a été la plus diffusée parmi les centaines d’images que j’ai réalisées sur l’UTMB. Elle a beaucoup tourné et a toujours été bien entourée. Je veux dire qu’elle a souvent servi à illustrer des sujets liés à l’accès des femmes au sport, à leur relation à la grossesse. Prise en 2018, je suis toujours en contact avec la coureuse, Sophie Power, une Anglaise qui vit à côté de Londres où je l’ai rencontrée plus tard. Sa vie a complètement changé après cette course. Elle travaillait alors dans la finance, mais suite à la médiatisation de cette image, elle a quitté son job et a embrassé une carrière de conférencière afin de sensibiliser à l’allaitement et à l’accès des femmes au sport après la naissance de leur enfant. Plus que la photo, c’est son impact qui me rend heureux. On me demande souvent si j’avais pris le soin de demander à Sophie son accord au moment de la prise de vue. C’était le cas bien sûr, mais avant de la diffuser, je l’ai recontactée à l’arrivée pour m’assurer qu’elle confirmait sa validation. Ce qu’elle a fait sans hésitation.
Décor spectaculaire sur un tronçon commun à la TDS et à l’UTMB
C’est un de mes endroits préférés. Une photo prise lors de la TDS, mais que parcourent aussi les coureurs de l’UTMB, non loin de l’arête du mont Favre, en Italie. La plus belle partie du parcours, la plus proche du Mont Blanc. Pour y accéder en tant que photographe et capter cette belle perspective, une petite heure de marche m’a suffi.
Dans la descente depuis le Grand Col Ferret
Une autre image de 2017, prise juste après le passage en Suisse. Cette année-là, la température était tombée à -10°C au Grand Col Ferret, la végétation était couverte de givre. La nuit avait été assez difficile, et juste après le lever du soleil nous avions eu quelques éclaircies. La lumière avait encore ajouté à la dramaturgie de cette course de très haut niveau.
Moment de grâce au Grand Col Ferret
Voir littéralement surgir les coureurs et coureuses des nuages est un très beau souvenir, très esthétique, alors qu’au départ je n’étais monté, lors de l’édition de 2016, que pour voir le lever du soleil. Or les conditions de beau temps sur la vallée italienne m’avaient réservé une bonne surprise.
David Laney, immergé dans sa course
Ce même matin, en 2016, j’ai pu capter l’américain David Laney, totalement concentré dans sa course. On aperçoit sur son visage la lumière du lever de soleil. Il vient de traverser une nuit entière, et les premiers rayons sont sur lui. Il ne m’a pas vu, car j’ai tendance à essayer de me cacher et à ne pas chercher leur regard pour éviter les échanges. La plupart des coureurs de tête me connaissent, on se salue, on s’encourage, mais j’aime bien capter l’émotion brute, leur concentration.
Scène ordinaire avant le départ
Une heure, peut-être un peu plus avant le top départ, il est désormais habituel de voir les coureurs et coureuses attendre devant église de Chamonix, entre excitation et recueillement, c’est selon. On distingue une jeune femme d’origine asiatique, preuve s’il en fallait que l’UTMB est une course internationale. Beaucoup de coureurs viennent d’Asie, ça fait partie de l’identité de cette course. « Le sommet mondial du trail », disent les organisateurs. Ce n’est pas qu’un slogan; pour beaucoup de coureurs, c’est vraiment un événement qui habite leurs rêves pendant des mois et des mois.
Lever du soleil sur la fin de parcours
J’ai toujours apprécié ce moment, au petit matin, au-dessus de la Vallée de Chamonix. La course élite est terminée, mais les derniers participants ont la chance de voir le soleil se lever.
Joie à l’arrivée
Cette femme, une Japonaise qui vit aux États-Unis, était l’une des dernières arrivées ce dimanche-là. Beaucoup d’émotion, soulagement et joie sur son visage après 40 à 50 heures de course. Au moment de la photo, elle devait être proche des 55 ans. Ce qui montre que l’amplitude des âges est importante à l’UTMB.
Épuisé, son doudou entre les bras, il dort
Juste après l’arrivée, se tient toujours une cérémonie où le public peut découvrir les top 10. Derrière le podium, posé dans les structures, j’ai repéré ce coureur endormi, un nounours dans les bras. Souvent les concurrents ont un doudou, je suppose que celui-ci a fait toute la course avec lui.
La fameuse arrivée de 2017
C’est un moment qui a marqué l’histoire de l’UTMB, le plus grand affrontement qu’on ait pu voir entre les deux meilleurs trailers du monde. François D’Haene et Kilian Jornet. Je les avais suivis tous les deux pendant toute la course. Et on a longtemps cru que Kilian allait rattraper François mais François a été assez incroyable (…).
Météo de la course
Cette image, c’est comme une carotte glaciaire qui permettrait de voir le niveau de la météo sur la course. Prise en 2017, elle montre combien cette année-là le temps avait été mauvais. Pour info, je reconnais, à gauche sur la photo, les mollets de Xavier Thévenard ! En revanche le départ de l’édition 2021 s’annonce sous un ciel plus clément, mais il faut attendre un peu pour le confirmer.
Avec Jim Walmsley
En 2017, cinq à six jours avant la course, j’ai pu suivre le champion américain. Ça m’intéressait car Jim faisait son premier UTMB. Coureur hors norme, il n’a pour l’instant jamais réussi à transformer l’essai sur ce type de course. Je suis donc curieux de le voir cette année (2021, année où au final, l’américain ne finira pas la course, ndlr), en sachant que sa préparation a été différente et qu’il a aussi gagné en maturité. Il pourrait nous réserver de belles surprises. D’autant que ce coureur, habitué au climat chaud de l’Arizona n’a pas été favorisé par les nuits froides des deux éditions auxquelles il a participé. Cette année les conditions pourraient lui être plus favorables. Je le connais depuis pas mal d’années et je l’aime beaucoup. Très performant sur des courses plus rapides et roulantes, plus courtes aussi que l’UTMB, il est moins à l’aise au-delà des vingt heures qui exigent une gestion de l’alimentation différente. Mais c’est quelqu’un de très intelligent, il a appris de ses différents échecs (…).
Pause ravito
J’aime bien passer du temps aux ravitos, ici celui de la TDS, sur une édition où il faisait plutôt chaud. On s’y asperge, et on reprend des forces.
Changement de tee-shirt à Courmayeur pour Arnaud Lejeune
En 2016, je surprends le coureur français Arnaud Lejeune au ravito de Courmayeur. C’est un de mes endroits favoris la nuit, un point stratégique pour la course de tête vers 2h du matin. Pour l’élite, les écarts y sont souvent assez courts, certains arrivent ensemble. C’est aussi un peu comme un passage au stand en Formule 1 où l’on voit s’affairer l’assistance avec changement des chaussures. L’UTMB, c’est plein de petites scènes comme ça.
Plaisir de la course avec Tim Tollefson
Tim Tollefson est le coureur US qui a le mieux réussi sur l’UTMB, jusqu’à présent. Il revient chaque année et sera présent vendredi (présent en 2021, l’américain sera à nouveau sur la ligne de départ aujourd’hui, vendredi 26 août 2022, ndlr). J’aime bien cette image pour ce qu’elle dégage, on a l’impression que ce coureur élite fait un jogging tranquille à 10 km/h alors qu’il est dans la descente finale après tant d’heures dans les jambes. Je fais souvent des images de la douleur, de la bataille, mais là, c’est un moment de pur plaisir, l’autre facette de l’UTMB.
Lever de soleil, dimanche
Pour les coureurs et coureuses qui font cette course, ce moment est assez symbolique. Au lever du soleil, ils vont monter, basculer et voir le Mont Blanc sur cette dernière portion qui n’est pas forcément la plus facile d’ailleurs. J’ai souvent photographié ce tronçon.
A l’arrivée, la joie en famille
L’image de ce coureur anonyme, retrouvant ses deux filles à l’arrivée, c’est un classique qui rappelle que cette course est souvent une histoire familiale. Car pour y arriver, ce sont des mois et des mois de longues sorties. La famille y est donc forcément un peu impliquée.
Xavier Thévenard à son arrivée en 2018
Une image captée quelques secondes après son arrivée et sa victoire en 2018. Dans le regard de Xavier, on distingue une larme. On sent beaucoup d’émotion chez ce coureur assez réservé mais très attaché à l’UTMB, qui a une manière bien à lui de se préparer pour le jour J. C’est assez admirable de voir comment il arrive à performer. En remportant un 3e UTMB, il signe aussi sa revanche, car cette année-là, il avait été disqualifié sur la Hardrock 100 ( pour ravitaillement hors zone alors qu’il était largement en tête sur ce mythique ultratrail de 160km et 10 000m de D+ organisé dans la Colorado, ndlr). Il avait sans doute à cœur de laver cette déception, ça ajoute encore à l’émotion de ce jour-là.
Article initialement publié le 26 août 2021, mis à jour le 26 août 2022.
Photo d'en-tête : Alexis Berg- Thèmes :
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