Longer le littoral de la Manche en suivant la côte d’Albâtre et ses falaises de craie, découvrir au passage l’arrière-pays de Caux … sur le papier le GR21, classé « GR préféré des Français » en 2019, fait rêver. Reste qu’une rando un peu exigeante ne s’improvise pas, surtout quand tout se lie contre vous, comme ont pu en faire l’expérience Naissa, Sélima et Dorothée.
28.522 randonneurs ont désigné en novembre 2019 le GR21 comme leur « préféré », suite au concours organisé par le site de la FFRandonnée, MonGR.fr. Classé loin devant des sentiers pourtant plus connus, comme le GR65 ( Compostelle par Le Puy) ou le GR52 (la Grande Traversée du Mercantour ), ce « Littoral de la Normandie » aligne tout de même 190 km entre le Tréport et le Havre, offrant des paysages différents en fonction des saisons. Mais, à la différence des GR de montagne, il présente l’avantage d’être praticable de janvier à décembre et d’être accessible à tous les niveaux.
Plus encore peut-être que les images idylliques de la côte d’Albâtre, c’est sans doute ce dernier point qui convaincu Naissa, Sélima et Imane, trois jeunes de Seine Saint Denis, sélectionnées par l’association APART pour participer au programme d’insertion professionnelle par les sports outdoor – soutenu par HOKA ONE ONE – même si ce challenge pouvait sembler peu ambitieux comparé à leur planning initial organisé en début d’année. Mais comme pour beaucoup d’entre nous, l’épidémie a bouleversé leurs plans, les conduisant à chaque fois imaginer un plan B, quand le plan A, celui sur lequel on fantasme depuis des mois, s’effondre.
Du Maroc au confinement
Leur plan A à elles, pas plus tard qu’en janvier – mais cela semble une éternité déjà – c’était deux treks en haute montagne, au Maroc et au Chili, soutenus sur le plan logistique par HOKA ONE ONE. Et cette année, les jeunes femmes, encore sous-représentées au sein d’APART, étaient en première ligne, marchant sur les traces des onze jeunes de Seine Saint Denis partis en mars 2015 au Népal à l’assaut du Kalla Pattar (5.545 m). Huit d’entre eux atteindront le sommet, dont trois filles. Mieux encore, dix jeunes sur onze ont aujourd’hui une situation stable et un vrai projet professionnel via une embauche ou une formation qualifiante.
Dès lors, pas question de s’arrêter là pour l’association qui en 2018, met le cap sur le Kilimanjaro (5 896m). Cette fois, c’est six jeunes du 93 qui sont volontaires. « L’ascension du Kilimanjaro était là pour formaliser cet enjeu, au-delà d’une aventure humaine hors du commun, d’un challenge qui met les jeunes face à leurs propres craintes, au dépassement de soi », explique Samir Souadji, 15 ans d’expérience d’éducateur de rue, président d’APART. Pour cette association, le plus court chemin, et le plus durable surtout, vers l’insertion professionnelle passe par la découverte du sport en pleine nature, et notamment par le trekking en haute montagne, école de l’effort, de la persévérance, du respect de l’autre et source de confiance en soi. Et pour la deuxième fois, le projet sera concluant : l’ensemble du groupe est aujourd’hui inscrit dans un parcours professionnel stable.
En janvier donc, elles sont trois, Naissa, 22 ans, Sélina, 17 ans, toutes deux de Tremblay et Imane, 23 ans, de Noisy le sec, à suivre une préparation physique avec Dorothée, leur coach. Un vrai parcours du combattant pour ces jeunes femmes disséminées aux quatre coins d’un vaste département. Souvent non motorisées, dépendantes de transports en commun chaotiques. Mais elles tiennent bon et se projettent déjà, sac au dos, dans l’Atlas marocain. C’était sans compter sur l’épidémie de Covid-19. Et le confinement.
Exit le trek au Maroc. C’est aux pieds des tours de leurs villes de banlieue que pendant deux mois elles n’auront d’autre alternative que de marcher une heure par jour ; dans le meilleur des cas. Car dans cette région très peuplée, où les restrictions ont été particulièrement difficiles à vivre pour beaucoup, le confinement est peu respecté, trop de risques dans ce département particulièrement touché par l’épidémie. Entre le 1er mars et 20 avril, on y constatera une augmentation de 130% des morts (+ 1413 décès) par rapport aux même dates l’année précédente, soit presque autant que dans le Haut-Rhin (136%).
Sonnées par l’annulation de leur trail
Mais dès le retour à la normale, le rythme reprend entre cross training au stade de Tremblay sous la direction de leur coach, Dorothée, et séances de fitness hebdomadaire en salle. Cardio, étirements, force, la reprise n’est facile pour personne après deux mois de confinement, mais un objectif les attend : une rando de deux jours en Haute-Savoie en août dernier. Ce jour-là, leur Everest à elles s’appelle le Trelod (2181m) : un trek de 27 km, 2000 m de D+ et une nuit en refuge. Du jamais fait pour Sélina. Seules Imane et Naissa, de Noisy le Sec, gardaient en tête le souvenir de leur trek au Maroc organisé en 2019, toujours avec APART.
Elles en bavent, mais avalent les kilomètres et le dénivelé. Et en reviennent changées et plus motivées que jamais à enchaîner d’autres sommets, car le Covid-19 finira bien par les laisser filer dans les Andes, non ?
Hélas non. Pour Naissa, Sélina ni Imane, le Chili, les Andes, ce sera pour la prochaine fois, qui sait quand maintenant.
A ce stade, tous ceux qui, ces derniers mois, ont vu, comme elles, s’effondrer projet après projet en conviendront, il faut énormément de motivation pour parvenir à se focaliser sur un nouvel objectif ; quelque chose qui vous donne envie de vous lever le matin pour courir, même quand il pleut et que le ciel semble vous dire « à quoi bon ? ». En accord avec HOKA ONE ONE, leur sponsor, ce sera le Festival des Templiers, du 15 au 17 octobre. Pas le mythique Grand Trail des Templiers, mais un autre Everest, tout aussi impressionnant vu du 93 : le VO2 trail (16.9 km, 740 m D+) dans le Causse Noir. Aucune des filles n’a jamais fait de trail. Elles ont alors onze semaines pour s’y préparer depuis la banlieue parisienne où les tours sont plus faciles à trouver que les montagnes. Qu’importe, elles vont faire des escaliers et elles ont un atout majeur : une rage de vivre et d’y arriver que beaucoup pourraient leur envier. Course, gainage, elles font comme elles peuvent et se documentent sur ce trail si prestigieux paraît-il. Fin août, l’annonce de l’annulation de l’événement les laissera un peu abasourdies, à l’instar des 2 500 traileurs qui s’étaient entraînés pendant des mois.
Plan C : le GR21
Quand le sort s’acharne, que faire ? Baisser la tête et maudire le Covid-19 ou jeter les yeux sur une terre quasi incognita pour elles, la côte normande et le « sentier préféré des Français, le GR21 » ?
Le 14 octobre, c’est donc vers Dieppe que Naissa, Selina et Dorothée, leur coach, ont pris le train. Premier écueil : Imane n’est pas là, malade. La « team APART » est réduite à trois personnes, mais elle reste pourtant soudée, prête à affronter dès l’aube un programme exigeant, censé couronner une année d’entraînement. Pratiquement pas de dénivelé, contrairement aux Bauges, mais 90 km de marche pour rejoindre Etretat depuis Dieppe. En trois jours et en autonomie. Soit une trentaine de kilomètres par jour. Une première pour Sélina et un vrai challenge pour tout le groupe quand le sac se fait plus lourd au fil des kilomètres. Certes le paysage est beau, mais le manque d’entraînement se fait sentir et bientôt toutes regardent plus le sentier que les falaises. Surtout Naissa qui en fin de journée avoue qu’elle est partie blessée au pied. Rien de grave pensait-t-elle avant le départ. Rien en tous cas qui pourrait l’empêcher de renoncer à une rando dans laquelle elle a réussi à se projeter, une fois évanouie la perspective du trail des Templiers. Elle ne dira donc rien, espérant « que ça passe ». Mais ça ne passera pas. En fin de journée, arrivée à Saint Valérie en Caux, il faudra l’intervention d’un médecin du village pour la soulager.
A ce stade, tous les randonneurs aguerris savent que seul un bon repas avant le bivouac peut sauver une journée où tous sont prêts à jeter l’éponge et à filer à l’hôtel le plus proche. Pas forcément une scène à l’américaine avec feu de bois et marshmallows sur fond de guitare, mais un moment un peu cool, où soudain les galères de la journée deviennent des anecdotes qu’on partage en se marrant et dont on sortira plus fort, plus tard. Mais ce soir-là, dans le bivouac dressé dans les hauteurs de Saint Valéry en Caux, la fatigue est lourde, le moral au plus bas et les gestes moins assurés. Dorothée se prépare un sandwich, sort son Opinel, « parfait pour le trek », et tranche un morceau de pain. La lame glisse. C’est la blessure. Trois points de suture aux urgences de Fécamp la soulageront. Mais là, trop c’est trop. C’est dit, on plie bagage.
30 Km à pied, on ne l’avait jamais fait !
Un échec, cette rando ? Non, disent d’un commun accord Naissa, Sélina et Dorothée, retrouvées quelques jours plus tard. Et quand on leur demande si elles sont prêtes à se lancer dans une autre randonnée, c’est un oui général … en sachant que cette fois elles ont la ferme intention de mieux estimer l’objectif et de s’y préparer en conséquence.
« Bien sûr, on a toutes été un peu déçues », précise Dorothée. « Pas facile de vivre ce sentiment d’abandon, du truc pas accompli et puis on était abattues de fatigue : 30 km par jour, c’est énorme pour nous. Beaucoup de douleur physique et mentale. Bien sûr, avec du recul, les filles manquaient d’entraînement. Entre les objectifs qui changent, le travail et la formation de chacune, elles n’ont pas pu se préparer comme elles le voulaient. Reste une fierté : on a fait 30 km à pied ! Et ça on ne l’avait jamais fait ».
« Aucun regret, je suis fière de moi », dit avec assurance Naissa. On sort toutes plus soudées que jamais de cette rando. C’est aussi un vrai dépassement de soi. Ces expériences, bonnes ou moins bonnes, ça fait partie de l’aventure et dans ces moments-là, ce qui tient tout, c’est le mental ! conclue-t-elle.
Preuve que Naissa a raison : si la pandémie a bouleversé tout leur programme de treks, par deux fois elles ont pourtant réussi à repousser leurs limites. Sans compter, et c’est capital, que toutes sont parvenues à tenir la barre du côté professionnel et à trouver une formation. Un vrai challenge en ces temps troublés. « Toutes ces galères, ce sont des choses qui vont leur servir dans la vie quotidienne », explique Dorothée. Ça les rend plus coriaces ! ».
A lire également « Un sommet, un job, ou le défi des jeunes de Seine-Saint-Denis » et « cette rando dans les Bauges, c’est comme une pause dans la vie », un projet de l’association APART soutenu par HOKA ONE ONE.
Enfin pour en savoir plus sur la chaussure TENNINE HIKE GORE-TEX utilisée lors de cette randonnée, c’est ici.
Photo d'en-tête : Thibault Ginies / Outside