Ils s’appellent Kissima, Sikhou, Yassine, Rayane, Mahamadou, et Mady. Ils ont une vingtaine d’années et sont de Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus défavorisés de France. En août dernier ces six jeunes visaient l’ascension du Mont Blanc, « le top, le Graal », disaient-ils. Mais comme souvent en montagne, la méteo en décidera autrement. Au final, c’est le pic du grand Paradis (4061 m), dans les Alpes italiennes, qu’ils graviront avec l’association APART dans le cadre des « Expéditions fraternité », soutenues par Arc’teryx. Un projet qui a radicalement changé leur vie. Ils racontent.
Un a un, ils arrivent chez Olympe Santé Sport à Antony, centre de médecine du sport situé dans la banlieue parisienne. La plupart déjà en tenue pour les tests d’effort. Objectif pour les six jeunes du groupe APART, en cette fin du mois d’août : vérifier si, à priori, ils vont bien supporter l’altitude, car d’ici quelques jours ils vont quitter la Seine-Saint-Denis – département plus connu pour ses records en matière de chômage que d’ascensions alpines – pour Chamonix et le Mont Blanc. Or un sommet de 4808 mètres, ça ne s’improvise pas. Samir Souadji, directeur d’APART, association pour qui le plus court chemin vers un job passe par la découverte du sport en pleine nature, et notamment par le trekking en haute montagne, le sait bien. En mars 2015, c’est dans la chaîne de l’Himalaya, au Népal, qu’APART, lance sa première « Expédition Fraternité », consistant à envoyer des jeunes en France ou à l’étranger pour leur faire découvrir la montagne lors d’un trek visant à atteindre un sommet, apprendre à se connaître et se dépasser. Objectif de ce premier coup d’essai : l’ascension du Kalla Pattar, 5545 m. Ambitieux pour cette association existant depuis 18 ans, basée à Tremblay, en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus défavorisés d’Ile de France, mais aussi l’un des plus riches en initiatives à destination d’une population très jeune, en forte demande de formations et d’emplois. A l’issue d’une année de préparation, onze jeunes, garçons et filles, tous passionnés de sport, se sont lancés dans l’aventure. Et huit d’entre eux ont atteint le sommet, dont trois filles. Trois ans plus tard, en 2018, c’est vers le toit de l’Afrique que les jeunes d’APART se dirigent : le Kilimanjaro (5896m). Un projet concluant lui aussi: les six jeunes volontaires est aujourd’hui inscrit dans un parcours professionnel stable.
Et cette année encore, Samir Souadji a mis la barre très haut, avec le soutien d’Arc’teryx, partenaire long-terme de l’association. Au programme en effet, rien moins que le toit de l’Europe, première étape, et non des moindres, avant une deuxième, plus ambitieuse encore : le Cotopaxi, deuxième volcan le plus élevé d’Équateur culminant à 5897 m. Un défi prévu pour février 2022. Gonflé quand on sait que la plupart des jeunes d’APART n’ont jamais mis les pieds en montagne et encore moins chaussé de crampons. Mais cet ancien éducateur de rue – plus de 15 ans sur le terrain – a de l’ambition pour ces jeunes, garçons et filles, que la vie conduit trop souvent dans des voies de garages quand elle ne les laissent pas sur le côté de la route. Pas pour eux les « filières royales » dans les lycées, pas pour eux les « grandes écoles », pas pour eux non plus l’alpinisme, l’escalade, la rando et les sports outdoor, sports de blancs plutôt nantis. Car du côté de Tremblay, siège de l’association, on est plutôt foot, boxe, sports co ou athlè. On y croise bien quelques salles d’escalade, récentes, mais ici la plupart des jeunes n’ont pas même l’idée d’aller s’y frotter. Question de culture. Car pour entrer dans cet univers-là, pousser cette porte, il faut en avoir la clef. Et c’est justement ce qu’essaient de faire APART et Samir Souadji. Une démarche totalement novatrice dans un milieu où la plupart des intervenants – des associations aux services sociaux – sont plus prompts à dégainer les aides financières qu’à casser les codes culturels. Il est vrai que cela demande un certain courage et surtout une vision à long terme. Du temps aussi et beaucoup de confiance. Et ça Samir et son équipe en ont des tonnes. Suffisamment pour faire germer des dizaines de projets associant sport outdoor, formation et emploi.
Reste qu’à l’heure de sauter le pas et d’affronter le Mont-Blanc, certains n’en mènent pas large ce jour-là à Antony. Mais tous passeront le test. C’est donc l’esprit léger qu’ils prendront le train pour Chamonix où bien sûr, rien se passera comme prévu. Le programme, soigneusement préparé avec les guides de haute montagne de la société Chamonix Experience, était pourtant bien calé :
- Jour 1: Montée au refuge Albert 1er. Ecole de glace sur le glacier du Tour. Repas du soir et nuit au refuge.
- Jour 2: Ascension de l’Aiguille du Tour. 3540 mètres. Descente à Chamonix. Nuit à Chamonix.
- Jour 3: Journée d’alpinisme au départ de l’Aiguille du Midi. Traversée de la vallée Blanche ou similaire. Retour à Chamonix, nuit dans la vallée.
- Jour 4: Montée au refuge de Tête Rousse 3167 mètres via le téléphérique de Bellevue, puis le train du Mont-Blanc jusqu’au Nid D’Aigle, puis une marche environ 3-4 heures. Repas du soir et nuit au refuge.
- Jour 5: Départ pour le sommet, arrêt au Refuge du Gouter 3835 mètres pour poser ses affaires et prendre un thé. Puis départ directement vers le sommet que l’on devrait atteindre entre 10h et 12h. En descendant arrêt au refuge du Gouter pour le repas du soir et la nuit.
- Jour 6: Descente depuis le Refuge du Gouter jusqu’à Chamonix. (Départ vers 7 heures, arrivée vers 14 heures à Chamonix). Repas de célébration!
- Jour 7: Départ de Chamonix.
Mais en montagne, c’est la nature qui commande. C’est la première leçon qu’apprendra l’équipe d’APART.
Sikhou : « Le plus difficile dans la cité, c’est les contacts »
Sikhou, n’avait que 15 ans quand il a rejoint APART en 2016, suivant ainsi Kissima son frère, de un an son ainé. Comme lui, il faisait beaucoup de handball avant de se mettre à la boxe. Au niveau sport, il se cherche encore un peu mais reconnait que « c’est important, ça aide au quotidien ». Son parcours est un peu à part : il rentre d’un tour d’Asie d’un an et demi, organisé et financé entièrement seul, à 18 ans seulement, preuve d’une remarquable maturité. Il en reviendra bilingue et avec une envie plus grande de voyager, mais il sait que dans le cité, se lancer n’est pas facile. « Si j’ai envie de faire du surf par exemple, je ne vois pas forcement comment m’y prendre, je n’ai pas les contacts, ni même les moyens. De même pour travailler sur mon projet, monter un restaurant. Mais avec APART, ça m’aide. Et Samir, c’est une personne à qui on peut vraiment parler, on n’en rencontre pas beaucoup. Je suis reconnaissant. Ca m’a donné envie d’être plus investi dans l’association. J’essaie d’y être actif, d’aider les ‘petits frères’, pour éviter de les voir trainer. » Le projet du Mont-Blanc est devenu plus qu’un défi pour lui « on s’entend tous bien, maintenant, on est des amis, on s’appelle très souvent. »
Mahamadou : « C’est le groupe qui m’a tiré vers le haut »
A 25 ans, c’est en tant qu’alpiniste mais aussi cameraman de l’expédition que Mahamadou aborde le Mont-Blanc. « J’ai toujours été intéressé par ce métier, mais d’où je viens, je pensais que c’était vraiment trop difficile et qu’il fallait plus d’années d’études, mais APART m’a donné la chance de faire cette formation d’opérateur multimédia pour devenir, plus tard, pourquoi pas, cameraman ». Une aubaine après un bac pro pas vraiment choisi, suivi d’une série de petits boulots : livreur, magasinier. Côté sport, lui est plutôt foot et la montagne, il la connait un peu « mais pas comme le Mont-Blanc, alors j’appréhendais un peu. On nous avait prévenu que c’était physique, mais on s’était dit qu’on était jeunes et assez forts. La difficulté, c’est que le mental doit être aussi fort que le physique. Il faut trouver l’équilibre entre les deux, sinon, on ne va pas très loin. Moi, franchement, parfois j’ai eu envie de faire demi-tour, dès la phase d’acclimatation : marche sur glacier avec des crampons, monter des dénivelés qui n’en finissaient plus : la ligue des champions ! Rien que les trois heures pour arriver au refuge, j’ai senti qu’il allait y avoir un problème. Mais je ne voulais pas montrer ma peur. Car je n’étais pas le seul à souffrir.
Tout seul, ça aurait impossible, c’est la force du groupe qui m’a tiré vers le haut ! A certains moments, si j’avais eu les moyens, j’aurais pris l’hélico pour en finir, mais en fait, il était hors de question d’abandonner. On était venu tous ensemble et si les autres réussissaient à le faire, moi aussi je pouvais le faire. Alors, j’ai appris à aller au-delà de mes limites, pas après pas, sans trop réfléchir. Je me disais qu’il ne fallait surtout pas gâcher une opportunité qui n’allait pas se représenter.
Une fois redescendus au chalet, on aurait pu sombrer, collectivement. Mais on a pris conscience de ce qui s’était passé. Et on a réalisé qu’on était privilégiés : tout ce dont on a bénéficié, ce chalet, ces soins… on ne pouvait pas dire, on arrête ! Il fallait réfléchir, rester soudés et avancer. Bien sûr quand les guides nous ont dit que le Mont-Blanc, ça n’allait pas le faire, question de météo, forcément, on a été très déçus car on avait annoncé à tout le monde qu’on allait faire le Mont-Blanc. Mais faire le plus haut sommet d’Italie, le pic du Grand Paradis, plus de 4000 mètres, ça a rattrapé tout ça.
Le fait d’être une équipe de banlieusards, d’être à part, on le ressentait, mais j’ai été agréablement surpris par les montagnards. Les guides nous ont super bien accueillis. Là-bas les gens sont un peu plus ouverts, avec moins de préjugés que d’habitude. En refuge, ils étaient même contents d’échanger avec nous.
Ce sommet, c’est plus qu’un sommet, aujourd’hui, je vois les choses différemment : j’ai une force supplémentaire. Jusqu’à présent, j’ai surtout connu le quartier, je n’ai pas eu l’occasion de beaucoup voyager, je connais les tours, Paris, je suis un vrai banlieusard, et ici, au quartier, on pense qu’on a tout vu ! Moi, ça m’a donné envie de sortir. APART m’a aidé à me libérer, en fait. Avant j’étais enchainé, obnubilé par le quartier. Je me rends compte qu’on ne connait pas très bien notre pays ; on ne connait que la banlieue et Paris. C’était toute la France pour moi. Il faudrait donner aux jeunes l’envie d’aimer la France et de se l’approprier ; je voudrais que tout le monde ait cette opportunité d’aller loin. On s’est mis trop de barrières, il faut les enlever, car on est tous pareil. Avant cette ascension, je ne savais pas que j’avais ces capacités. J’ai eu plus de chances que les autres peut-être, je ne sais pas. Mais ça m’a sorti de mon ghetto.
Comment je vois la suite, pour le Cotopaxi ? Avec un meilleur entrainement, c’est sûr ! Plus d’escaliers, beaucoup de marche. Et aussi de l’escalade, ce serait top de pouvoir continuer à en faire.
Mady : « grâce à cette aventure-là, j’ai grandi »
« Il n’y a pas de mot pour d’écrire cette expérience. Je n’ai pas pu faire l’ascension. J’ai eu de gros soucis de santé, mes fibres musculaires ont pété. Le mental était là, mais j’ai eu de terribles crampes paralysantes, au point que j’ai dû être évacué en hélico au deuxième jour et hospitalisé pendant 48 heures. J’étais comme paralysé, avec des douleurs terribles et là, les guides ont dit : on arrête !
A 21 ans, Je croyais avoir une bonne forme physique mais visiblement ce n’était pas la bonne (rires). Je manquais d’endurance musculaire et la musculation ne m’a pas servi, au contraire ! Je vais devoir tout revoir au niveau de l’alimentation, de l’hydratation et de l’entrainement, et surtout ne plus rien prendre en complément. Esthétiquement avec la muscul, tu es beau, mais tu n’as rien dedans. Là, forcément, j’ai fondu, je suis tombé à 85 kg. Mais avant, ce n’était que de la gonflette. Il va falloir que je me mette à la marche et la course à pied pour aborder différemment le Cotopaxi.
J’ai compris que la montagne, c’était dur. Tu montes une première colline, puis en vient une autre, et une autre. C’est comme la vie, comme quand tu vises un objectif. Tout le temps où je marchais, je pensais à ça. J’étais parti pour me recentrer sur moi-même et viser un objectif professionnel et spirituel. J’attendais un déclic. Je ne l’ai pas eu. Je n’ai pas fait le sommet, ni le Mont Blanc, ni le pic du Grand Paradis. Je n’ai pas mes réponses, mais je ne rentre pas les poches vides, j’ai appris que le corps a ses limites. J’ai grandi grâce à cette aventure-là. La musculation, ça rassure, c’est une forteresse, t’es un « surhomme », mais la montagne m’a fait comprendre que tout ça c’est éphémère et que c’est plus en toi que ça se joue. Le déclic est en train de se faire tout seul. Pour la suite, oui je stresse, mais c’est du bon stress. Faut le refaire, j’ai une revanche, je veux goûter la montagne !
Yassine : « La haute montagne, c’est autre chose. Ca me fait kiffer ! »
« Le Mont Blanc, je suis pressé d’y être » nous racontait Yassine, 23 ans, footballeur semi pro aujourd’hui coach sportif, quelques jours avant le départ. «Je vais avoir les chocottes devant la montagne. Mais des bonnes chocottes, qui motivent. Je sais que ce sera assez difficile, mais je me sens privilégié d’être ici. J’ai tout à gagner d’être là-bas. J’ai regardé des films d’ascension du Mont Blanc, ça ne peut que motiver. » C’est donc gonflé à bloc qu’il est arrivé à Chamonix, où finalement, il ne pourra pas réaliser l’ascension rêvée.
« J’ai comme un sentiment d’inachevé. J’ai fait le pic du Grand Paradis, mais bon, c’est comme comme aller chez un concessionnaire Ferrari, tu as les fonds, et au final, tu ressors avec une Mercedes ! Je me sentais capable de le faire, on m’a imposé un autre choix ! Les guides ont pesé le pour et le contre, mais on aurait pu réussir. Moi j’aurais même été dans l’optique de le faire tout seul, avec un guide, mais on est quand même une équipe. Maintenant, l’amertume, est retombée, et j’ai pris goût à la haute altitude. La montagne, je connaissais déjà, je suis Marocain, mais plutôt en promenade familiale, pas en trek. J’ai attrapé le virus et je suis tellement impatient de retourner en haute montagne. Au niveau entraînement, j’ai la bonne méthode. En montagne j’apprécie énormément les paysages, je suis dans un état de transe, je dansais pendant l’ascension ! J’ai la chance d’être mieux préparé que mes collègues, j’ai grandi dans le sport. Le dépassement de soi, je connais, mais j’ai découvert un nouveau milieu. C’est impossible de ne pas l’aimer. Tu souffres, mais c’est une souffrance agréable d’un point de vue mental. C’est le challenge sportif le plus fort que j’ai connu. Il m’a donné le goût des sports de nature. La nature, avant pour moi c’était les parcs nationaux, mais la haute montagne, c’est autre chose. Ca, ça me fait kiffer !
L’homme a tendance à être dominant, à vouloir tout contrôler. Mais en montagne, c’est la nature qui me contrôle ».
Kissima : « C’est clairement une expérience de dépassement de soi ! »
A 22 ans, Kissima assure un service civique lié aux JO 2024 et fait notamment découvrir aux gens de son quartier les nouvelles disciplines récemment intégrées. Son projet final : préparateur physique, au niveau du handball. Mais grâce à APART, qu’il connait depuis cinq ans, il a découvert le monde de la vidéo et du web et hésite encore entre ces deux voies. « Les sports nature, du milieu d’où je viens, on n’a pas trop l’habitude. Moi c’était plutôt le hand, dès l’âge de 9 ans. Je n’ai jamais fait de ski, et je n’étais jamais monté en refuge, alors le Mont Blanc, c’était le Graal, même si je ne m’étais jamais dit que j’allais un jour pouvoir le gravir. Aussi quand on me l’a proposé, j’ai dit : je suis là, je suis présent ! Mais moi, je suis compétiteur, je savais que si je ne montais pas en haut, j’allais m’en mordre les doigts. Or dès le premier jour pour l’ascension à 2700 mètres, ça a vraiment été dur. On s’attendait pas à ça ! Du coup, je me suis dit : qu’est-ce que ça va être le Mont Blanc ! ». Au refuge, le choc aussi : des douches froides. Mais bon, ça rigolait bien dans le groupe, on a mangé, et appris à mieux se connaître. On s’est charrié parfois, mais toujours dans le respect. Et avec les guides on a beaucoup échangé, on voyait bien que c’était naturel, pas forcé, ça fait plaisir. On a même rencontré et discuté avec des gens de Pantin (dans le 93, ndlr), en Seine-Saint-Denis, jamais ils n’auraient parlé avec nous.
La première nuit en dortoir a été difficile pour tous, on n’était pas habitués à l’altitude, mais le lendemain, encordés, on a réussi à trouver le rythme malgré quelques problèmes de synchronisation au début. Pas facile non plus la descente, pire même que la montée ! Et quand les guides nous ont dit que le Mont Blanc, ça n’allait pas le faire, j’étais trop énervé, car dans ma tête, pourquoi faire des efforts si c’était pour ne pas faire le Mont Blanc ? Pourquoi souffrir à nouveau pour faire seulement le pic du Grand Paradis ? Donc, pour moi, c’était mort. Après, on a eu la journée pour réfléchir à tout ça et faire de l’escalade. Au lycée, j’y étais bon – 19/20 ! – j’aimais trop ça. On m’a donc mis sur des parcours plus difficiles. Et alors que j’étais encore sur une voie, une réunion s’est tenue pour savoir si on optait pour le plan B, côté alpes italiennes. Je me suis retrouvé embarqué.
Et on a fait notre 4000 ! J’ai bien accroché avec Gilles, un guide, on est montés ensemble. A nouveau j’ai été malade, j’ai vomi. Mais il m’a appris à prendre le temps, sans lui, je n’y serais jamais arrivé, car je serais allé trop vite. Je me suis dit, « mon gars, lâche pas ! Et on est monté jusqu’en haut ! On était fiers ! Les dernier mètres étaient vraiment durs, mais vraiment beaux ! C’est clairement une expérience de dépassement de soi, où le mental est capital, très différente des autres sports, car là, le but c’est que l’autre réussisse aussi à monter, pas chacun individuellement, mais le groupe.
Rayane : « On pense que la montagne c’est fait pour les surathlètes, mais non, pas besoin »
« Je n’ai pas dit oui tout de suite pour le Mont-Blanc, parce que j’avais peur d’être un poids pour les autres. Je ne suis pas un grand sportif et je suis quelqu’un qui a le souci du détail, j’aime bien me préparer à l’avance et en même temps, j’ai besoin de l’inconnu. Je suis étudiant en transport logistique. Un secteur qui me plait, découvert après le bac. J’avais besoin de travailler : chauffeur livreur c’était pénible, mais j’ai aimé l’atmosphère du dépôt. APART m’a donné le goût de reprendre les cours, résultat, j’ai été accepté dans une école spécialisée dans les transports. Mon objectif, un double cursus, en relation avec la Sorbonne, un master en transport et logistique de commerce international.
Aujourd’hui, je suis dans une phase capitale de mon projet, et j’ai pensé que la montagne me permettrait de me renforcer en tant qu’homme en étant face à la nature, en apprenant à me connaître moi-même et en découvrant plus la notion de groupe. Mais je pense qu’une personne qui n’accordera pas d’importance à savoir qui elle est vraiment, ne sera pas intéressée par un projet comme celui de la montagne. J’avais des réticences, mais Samir a réussi à me convaincre que face à la montagne, ce n’est que ta volonté qui fait la différence. Donc j’avais une petite part d’angoisse, comme chaque fois qu’on commence quelque chose d’inconnu. Tout en sachant que cela pouvait m’apporter énormément, m’ouvrir l’esprit, ce qui est un des problèmes des banlieues.
Tout dépend comment on présente les choses. Je suis sur Sevran où je joue le rôle d’ambassadeur pour APART, association qui essaie de s’adapter aux besoins du jeune et pas seulement de lui donner une solution toute faite, faute de mieux. On va ainsi lui permettre de s’intéresser à d’autres secteurs que le foot ou au basket. Or l’alpinisme n’est pas accessible à tout le monde. En tant que livreur, j’ai beaucoup circulé sur Paris, dans les quartiers chics. C’est dans ces milieux-là que j’ai trouvé des gens qui faisaient de l’alpinisme. Du coup, on a le cliché d’un sport réservé aux riches quand, en fait, Samir, en est le contrepied parfait. Sans compter que j’ai appris tout récemment que mon père avait gravi deux fois le Mont Blanc : il ne m’en avait jamais parlé auparavant !
Avec cette ascension, et le fait qu’elle soit filmée pour en tirer un film, je me positionne d’un point de vue collectif et y vois l’occasion de révéler un autre visage de la banlieue, différent de celui qui est généralement montré à la télévision, surtout en ce moment, en cette période d’élection. On a la chance de mettre en évidence que la jeunesse peut s’intégrer dans différents sports, à contre-courant de ce que pense l’opinion publique. C’est quelque chose qui n’arrive pas tous les jours. On aurait tort de dire non à un tel projet.
Pour aborder le Mont-Blanc, je me suis remis au foot, deux trois mois avant, mais je mise beaucoup sur le mental, c’est plutôt mentalement qu’on grimpe une montagne. On croit que la montagne, c’est fait pour les surathlètes, mais non, pas besoin. Ainsi, j’ai compris que si je réussissais cette ascension, demain je pourrais aussi monter mon entreprise. Au départ je pensais que chef d’équipe dans un petit dépôt, c’est déjà pas mal. Mais après la formation, je me suis dit, pourquoi ne pas viser plus haut ? Dans les banlieues, il y a beaucoup de jeunes ambitieux, mais ils veulent que ça aille vite. L’ambition parfois nous nuit, on oublie qu’il y a un chemin qu’il faudra monter.
Ca faisait des années que je ne m’étais pas retrouvé dans un environnement où je m’étais dit : waouah ! Mais là, c’était la nature ! Je ne voulais même pas voir d’images du Mont-Blanc avant de tenter l’ascension, mais je m’étais quand même autorisé à regarder quelques vidéos car j’aime bien me préparer. Et au final, ce qui nous attendait, c’était extraordinaire ! »
Rayane n’aura pas été déçu : certes il dormira peu – première nuit dans un sac de couchage – mais il se découvrira montagnard. Grâce aux guides, il apprendra à poser le pied et à trouver le bon rythme, « alors que je marchais très en avant, à grand pas ». Et il fera sien l’esprit de cordée : « Ca ne m’intéresse pas de monter tout seul. La synergie, c’est ce qui nous a tirés vers le haut. Voir les autres souffrir, ça te donne de la motivation, ça crée des liens. Je ne réalise pas encore à quel point ça m’a chamboulé, cette aventure. Ca a tout libéré. Ce n’est pas le sommet qui compte, mais le cheminement. C’est une sorte de révélation. A un moment sur le Grand Paradis, mon corps me disait d’arrêter ; la montée, ça n’allait pas. Mais la descente, je l’ai faite presque en courant ! La montagne, c’est une image. Une image spirituelle. C’est mon reflet, c’est la personne que je suis, et je veux être une personne qui réussit. Je pensais que je n’avais pas les mêmes dispositions naturelles que d’autres dans le groupe, bien plus forts que moi, mais cette ascension m’a ouvert plein d’horizons. J’ai monté cette montagne, je vais trouver mon entreprise en alternance ! »
Quelques jours après notre entretien, Rayane verra effectivement sa recherche couronnée de succès.