En quelques années seulement, la marque On est devenue incontournable dans le paysage de outdoor. Avec pour ambassadeur et actionnaire principal l’ex-numéro un mondial du tennis, Roger Federer, elle impressionne par son succès commercial sans précédent. Mais aussi par ses choix stratégiques visionnaires. Une image légèrement écornée aujourd’hui par une véritable tempête médiatique. L’entreprise est en effet accusée par le magazine de consommateurs suisse Ktipp de gonfler exagérément ses marges. Et de sous-payer ses prestataires vietnamiens pour garantir sa rentabilité record.
Née dans les Alpes suisses, On est le fruit de la vision de l’ancien triathlète Olivier Bernhard. Peu de temps après s’être retiré des compétitions, il s’est fixé un objectif ambitieux. Créer une chaussure qui offrirait la sensation de « courir sur les nuages ». En 2010, avec l’aide de ses associés Caspar Coppetti et David Allemann, il fonde officiellement la marque.
Et son ambition est claire : révolutionner le monde de la chaussure de sport. Un premier modèle voit le jour en 2012, les « On Clouds ». Le succès est immédiat.
Une croissance aussi fulgurante qu’inattendue
L’arrivée, en 2019, d’un des plus grands tennismen de tous les temps, Roger Federer, va propulser la marque bien au-delà des frontières suisses. Devenu actionnaire principal, le joueur suisse réussit le pari de renforcer l’image d’On. En séduisant davantage de sportifs professionnels, notamment dans le tennis. La marque est aujourd’hui l’équipementier principal de la pépite américaine Ben Shelton (14e mondial). Mais aussi de la Polonaise Iga Swiatek, meilleure athlète féminine du moment.
Parallèlement à cela, On s’impose aussi bien par ses innovations technologiques que par ses collaborations stratégiques. La marque a par exemple signé plusieurs partenariats ces dernières années avec de grands noms de la mode, tel que Loewe, enseigne de luxe espagnole. L’idée ? Créer des collections capsules mêlant technicité et design.
Résultat : en 2022 le chiffre d’affaires de On dépasse pour la première fois le milliard de francs suisses. Et au 31 décembre 2023, la marque prévoyait même résultat net de 1,76 milliard de francs. D’ici 2026, la direction table sur le double, soit 3,55 milliards. Un succès commercial incontestable.
« Je voulais faire quelque chose de différent d’une collaboration ou d’un partenariat classique en tant qu’ambassadeur » a récemment détaillé Roger Federer. « Jamais je n’aurais imaginé une introduction en bourse ou une telle croissance. Je me suis simplement dit : ‘Créons des choses ensemble et voyons où le voyage nous mènera’». Une aventure entrepreneuriale qui a mené On à devenir la cinquième marque de sneakers la plus importante au monde en termes de capitalisation boursière.
Entre dix et vingt fois le prix d’usine
Face à un tel succès, certains ont commencé à s’interroger. Comment l’entreprise pouvait-elle croître aussi rapidement tout en restant aussi rentable ?
Selon le média suisse Ktipp, On profiterait tout simplement des marges les plus élevés du marché (entre les coûts de production et le prix de vente de leurs chaussures). Dans un article publié fin janvier 2024, le journaliste Eric Breitinger rappelle qu’instaurer « des marges élevées est de nature courante dans l’industrie des chaussures de sports ». Mais que la marque suisse « fait généralement payer les clients suisses encore plus que ses concurrents ».
Pour le prouver, il a analysé les données douanières de trente modèles actuels de On sur la période juillet/octobre 2023. Et il les a comparées à vingt autres de fabricants concurrents. Conclusion : le modèle « Roger Advantage » (développé en partenariat avec Roger Federer) se vent 190 francs suisses (200€). Alors qu’il est acheté au Vietnam pour seulement 17,86 francs suisses (18,79€).
Si les calculs du média suisse sont exacts, les clients paieraient donc plus de dix fois le prix d’usine. Ce qui est bien supérieur à celles de concurrents comme Nike ou encore Adidas, pourtant connus pour avoir la main lourde (en moyenne 4 à 5 fois le prix d’usine).
Et les marges explosent davantage quand on se penche sur le modèle le plus cher de la marque, les « Couldtilt Loewe ». Ktipp estime que On paie 20,80 francs suisses (21,89€) par paire auprès de l’entreprise vietnamienne Freeview Industrial. Et les vend en Suisse au prix de 445 francs suisses (468€), soit plus de 20 fois le prix d’usine…
La marque suisse nie les chiffres dévoilés par l’enquête
Une différence qui s’explique, selon Bianca Pestalozzi, directrice Europe de la société. « La marge d’un produit On est la combinaison de l’innovation, du marketing, de la distribution et de la logistique du produit » détaille-t-elle. « En Suisse, nous avons par exemple un entrepôt dédié, ce que beaucoup de concurrents n’ont pas, et qui garantit une livraison sous 48 heures. Tout ça a un prix ».
Mais pour les critiques, c’est aussi et surtout la faible part réservée au fabricant au Vietnam qui pose problème. « Il est grand temps que On reverse une part de cette marge aux producteurs. Les personnes qui y travaillent gagnent au mieux 150, peut-être 250 francs [par mois, ndlr], en faisant énormément d’heures supplémentaires », jugeait récemment Olivier Classen, porte-parole de l’ONG Public Eye, une association suisse oeuvrant pour la justice sociale.
Reste qu’à ce jour, On nie officiellement les résultats de l’enquête menée par Ktipp. « Les chiffres publiés contenaient de fausses informations » a souligné Alexandra Bini, porte-parole de la marque, à l’AFP. « Nous nous engageons à veiller à ce que nos partenaires de production paient un salaire équitable aux travailleurs et nous effectuons régulièrement des audits indépendants et des formations pour nous en assurer ».
Difficile à vérifier à ce stade, mais on remarque que, contrairement à d’autres marques outdoor telles que Vaude, Odlo, Salewa ou Mammut pour ne citer qu’elles, On n’adhère pas à l’exigeant label Fair Wear, une référence pourtant sur le plan social. Cela ne signifie pas pour autant que On ait une mauvaise politique sociale, certes, mais au regard de la marge qu’elle s’octroie sur chaque modèle, on pourrait imaginer qu’elle rémunère ses salariés à leur juste valeur. Ou, qu’à défaut, elle allège la facture des consommateurs. Reste qu’en Suisse et bien au-delà de ses frontières, l’affaire prend une ampleur inédite. Et il semblerait que le feu ne soit pas près de s’éteindre.
Photo d'en-tête : On- Thèmes :
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