« Apprendre à ne plus consommer la montagne, mais à la vivre » titrions nous à la sortie du film « Conscience » réalisé par Gaëtan Gaudissard. Derrière ce documentaire au succès retentissant : l’association Protect Our Winters (POW), initiée par la légende du snowboard Jeremy Jones. Le public découvrait un film de ski chargé de sens, marquant un tournant. Désormais, on ne visionne plus les ski porns avec le même regard. Un coup de poker mené de main de maître par l’association qui compte bien faire changer notre approche du transport à l’heure d’aller chercher la poudre en montagne. Rencontre avec Antoine Pin, son jeune directeur, activiste et amoureux des montagnes.
Quand on sait que le transport est responsable de 57% des émissions de CO2 des stations de ski – dont 54% imputés à la voiture contre 1% pour le train, on comprend pourquoi il est urgent de changer nos habitudes. Via les athlètes pros qui s’engagent à ses côtés , l’association Protect Our Winters France tente d’insuffler une nouvelle image plus cool aux aventures locales et aux transports en commun. Mais la mission de l’association ne s’arrête pas à redorer l’image de la SCNF, elle donne aussi les outils et les clés pour s’engager dans une démarche plus responsable. Et, plus important encore, face aux classes politiques et organisations publiques, elle part au combat pour faire bouger les lignes.
Sur le plan financier, POW est soutenu en partie par « We ACT » de l’OSV, un programme de mécénat, vitrine de l’engagement durable de la filière Outdoor. Représenté par l’association française Outdoor Sports Valley et le Cluster Montagne, ce dernier a ouvert jusqu’au 31 décembre 2022, une campagne participative en faveur de Protect Our Winters.
À cette occasion, nous avons rencontré Antoine Pin, à la tête de l’association depuis 5 ans, qui se définit comme un « écolo aux mille contradictions ».
Comment a émergé le mouvement Protect Our Winters ?
Le mouvement est né à l’initiative de Jeremy Jones qui, en passant beaucoup de temps en montagne, a pu observer au fil de sa carrière les conséquences du dérèglement climatique. Sa pratique l’amenant à une prise de conscience, il décide alors de rassembler ses observations avec celles d’autres athlètes et de les partager avec des experts scientifiques pour comprendre si ces constatations étaient corrélées à une réalité scientifique. Une fois le rapprochement fait et validé, l’idée était ensuite de se poser les bonnes questions et de trouver les solutions qui vont faire évoluer la société. C’est ce qui nous rassemble entre les 15 antennes de POW à travers le monde.
En s’appuyant sur la parole d’athlètes professionnels, dont l’empreinte carbone n’est pas forcément exemplaire, ça peut paraître contradictoire, mais c’est ce qui définit notre engagement. On ne va pas attendre d’être des éco-warriors exempts de tout reproche pour agir. C’est certes plus facile aux États-Unis pour un athlète de déculpabiliser, de prendre la parole et d’être entendu par les instances politiques, mais c’est ce qu’on essaye d’insuffler en France.
La prise de parole politique, même non-partisane, est culturellement compliquée en France. On ne parle pas de politique en famille, ni avec ses amis, ni au travail. Ce qui laisse très peu d’espace pour en parler. On pense que le milieu outdoor est un espace ouvert où ces questions peuvent être abordées. Quand un athlète se met en danger de façon mesurée au bout d’une corde ou dans une pente raide, ça ne nous semble pas trop compliqué de prendre le risque de parler politique.
En France, POW a vu le jour en 2015, au High Five Festival, grâce à une équipe de bénévoles qui souhaitaient mobiliser les athlètes français sur les questions climatiques, en écho au mouvement initié aux États-Unis. Là-bas, l’engagement politique des athlètes est très fort, alors que chez nous très peu d’athlètes étaient sensibilisés à l’époque.
Des premières actions ont été menées pendant deux ans, mais ça a un peu flotté au départ, car les membres géraient l’association en marge de leur activité professionnelle. Je les ai rejoints en 2017, après avoir vécu dix ans à l’étranger. Je revenais pour vivre en montagne. Je n’avais pas de boulot, mais du temps. Alors je leur ai proposé mon aide.
Ils m’ont fait confiance, transmis les dossiers et au fur et à mesure, on a réussi a récolté quelques budgets pour faire fonctionner l’association. Aujourd’hui, nous sommes trois employés à temps plein. Ce qui nous permet de mener nos actions.
Pourquoi avez-vous fait la question du transport une priorité ?
Gérer une association qui se base uniquement sur la parole d’athlètes, en France, ce n’est pas possible. Même les athlètes les plus engagés n’arrivent pas à amorcer des changements radicaux. Nous avons dû chercher d’autres pistes sur lesquelles nous puissions être pertinents et exister sans marcher sur les pieds d’autres associations.
En tant que jeune asso, il nous a fallu un peu de temps pour canaliser nos idées et nos ressources. Concrètement, nous nous sommes posés une question simple : « qu’est-ce qui a le plus gros impact en termes d’émission de CO2 quand on part en montagne ». La question du transport est arrivée en haut de la liste.
Elle touche à la fois l’engagement individuel et la mobilisation des pouvoirs publics. Nous croyons très fort que sans l’engagement des instances publiques, nos actions individuelles n’auront qu’un impact limité. Si par exemple, tu fais ton tri, mais que ta municipalité jette tout dans la même poubelle, ton action n’aura servi à rien.
En 2020, vous avez produit « Conscience » : un film pour « apprendre à ne plus consommer la montagne, mais à la vivre ». Pour la première fois, le public découvrait un film de ski responsable. Un pari osé, mais qui a trouvé son public. Le film a rencontré un succès phénoménal. Comment ce projet est-il né ? Et quelle influence a-t-il aujourd’hui sur votre stratégie de communication ?
On s’est rencontré avec Gaëtan [Gaudissard – le réalisateur, ndlr] à l’Xplore Alpes Festival. On a passé une après-midi à discuter, il pleuvait, nous avions tout le temps. Je l’avais découvert dans les épisodes de Génération Bon’App, mais le connaissais très peu.
Il est ingénieur automobile et a fait le choix d’arrêter sa carrière pour se consacrer à sa passion [le ski, ndlr]. Il ne semblait plus se reconnaître dans son métier. Il voulait réaliser un film engagé, mais ne savait pas comment s’y prendre au niveau financement. Je l’ai alors invité à notre assemblée générale, quelques mois plus tard.
À ce moment-là, j’étais en galère d’images pour illustrer les idées que nous défendions. Il me manquait des images de qualité avec des riders qui envoyaient aussi fort que Gaëtan. Typiquement la séquence où il balance de gros backflips après être monté à vélo et en ski de rando est assez exceptionnelle. J’avais besoin d’inspirer les gens à vivre leur sport de la façon la moins impactante.
Gaëtan nous a présenté le projet du film. Je lui ai alors proposé de le financer à hauteur de 10 000€ s’il nous faisait de la place et s’il nous donnait accès aux images. Je jouais le rôle de producteur, je contrôlais le discours et la voix off et lui laissais gérer la partie ride. On a tout construit ensemble. On l’a mis en relation avec nos contacts pour établir un bilan carbone détaillé, solliciter les athlètes autour de nous comme Liv [Sansoz, ndlr] et lui de son côté a activé son réseau chez Salomon.
C’était un coup de Poker. Je ne suis pas joueur, mais j’avais l’intuition que ce projet allait être impactant. Et si nous, on ne pouvait pas l’aider, personne ne l’aurait fait.
Et je crois que l’on a eu raison. Les retours que l’on a eus sont extrêmement positifs. Le film cumule les 160 000 vues sur YouTube, ce qui est beaucoup pour un film d’association.
On a aussi soutenu « Sk’e-Bike Explore » de Timy Theaux et « Le Diamant des Alpes » de Seb Montaz-Rosset. Tous ces films sont de super outils d’engagement. En les finançant, ça nous donne accès aux droits de diffusion. Et nos bénévoles, partout en France, peuvent organiser des projections gratuites en shops ou dans les salles d’escalade.
Quels sont vos prochains films ?
Nous ne sommes pas une boîte de prod, on n’en a pas les moyens. On sélectionne les films quand on nous démarche. On discute et on voit si on s’engage.
Cette année, nous avons décidé de ne pas financer de grosses productions, mais plutôt des projets plus petits. Plus proches de nos communautés comme le CAF d’Annecy pour documenter leurs sorties en mobilité douce avec leur team highline, trail ou escalade.
On souhaite soutenir plus de projets amateurs à l’avenir, mais on garde quand même quelques projets pros dont deux sortiront cet automne. Un avec Enzo Valax qui monte en Norvège en vélo-train pour un trip split, snowboard kayak. Le film sort au High Five et s’appelle « Våt Bolle », brioche mouillée en norvégien, en regardant le film, tu comprendras pourquoi.
Le deuxième film sera avec les frères Ladevant, qui suite à « Conscience » souhaitaient eux aussi mettre en scène une aventure bas carbone, mais avec un esprit plus « grimpe », moins gourmand en gros matériel. À part le matos de sécurité, ils ont tout acheté d’occasion. Ils sont partis eux aussi en vélo-train pour réaliser 3 grandes voies mythiques d’Europe. À leur retour, ils offriront tout leur matériel à une autre expédition bas carbone. L’association va d’ailleurs gérer pour eux cette partie dons.
À quoi vont servir les 45 000€ financés par le programme We ACT de l’OSV ?
Nous avons trois grands axes de travail : inspirer, outiller et plaidoyer.
Inspirer, ça concerne la création de contenu. On y investit 15 000€ pour financer les films, produire notre propre contenu et les diffuser. Concrètement, on paie les journées de montage, les billets de train pour les tournages et l’organisation de projections.
Outiller, ce sont les outils que l’on met à disposition de tous pour une mobilité plus douce. Tictactrip par exemple, disponible sur notre site internet, c’est un comparateur en ligne qui te permet de réserver un trajet en train, en bus ou en covoiturage selon la solution la plus avantageuse ou la plus pratique pour toi. On offre également nos services aux événements pour organiser des « mobility challenges », un jeu-concours qui récompense ceux et celles qui sont venus aux festivals, comme le High Five, en covoit, en train, ou à cheval – on aime aussi faire des blagues. On consacre à ce volet un budget de 15 000€.
Plaidoyer, ce sont nos actions auprès des services publics et organisations tel que le TER Auvergne Rhône-Alpes, la SNCF donc. Pour, par exemple, améliorer leur communication dans les stations ou insister pour qu’ils soient présents aux festivals… Défendre le train, c’est un travail de longue haleine. Ce sont donc nos salaires que nous finançons en partie et à hauteur de 15 000€ grâce à la subvention We ACT de l’OSV.
Qui finance la subvention We ACT de l’OSV ?
Tous les membres de l’Outdoor Sports Valley (OSV) – 10% de leur cotisation annuelle est reversé au fond We Act – et de grands mécènes abondent pour atteindre la somme des 45 000€. Il s’agit du fond Essentiem [fond de dotation pour un Tourisme bienveillant, ndlr], de Décathlon, du Millet Mountain Group, de Salomon, de Arva et de la Fondation Eau Neige & Glace.
Vous mettez en avant l’outil tictactrip, une plateforme de réservation en ligne de bus, train, covoiturage et combinés – pour un voyage plus responsable. Sur le principe, la promesse est séduisante, mais en pratique – après simulations – peu de stations étaient desservies. Quel est votre degré d’implication dans son développement ?
Tictactrip c’est un agrégateur d’horaires qui au travers d’une API va chercher les informations combinées [des trains, des bus, des covoiturages, ndlr]. Sa principale limite, à l’heure actuelle, sont les horaires des navettes en vallée qui ne sont pas publiés à l’année, mais à partir du 15 octobre – 1er novembre. L’outil ne proposera les trajets complets qu’à partir de cette période et pour l’hiver seulement.
C’est là que notre plaidoyer prend tout son sens. Notre boulot, c’est de travailler avec le département et les transporteurs pour améliorer l’offre, sa visibilité et la réservation en ligne. Il y a de nombreuses navettes gratuites, mais dont la réservation en ligne est impossible. Tictactrip et les autres comparateurs ne peuvent pas, techniquement, les référencer. Par exemple, si tu veux te rendre à Chatel, tu ne peux réserver en ligne ton trajet que jusqu’à la gare de Thonon, c’est une fois sur place que tu peux acheter ton billet pour la navette Thonon-Chatel. Pour faire évoluer ces outils digitaux, notre travail de mobilisation des instances publiques (la SNCF, le département, les transporteurs…) est important.
Comment défendez-vous vos idées auprès de ces instances publiques ?
Notre stratégie est d’être partout, tout le temps. Être là où l’on ne nous attend pas. On ouvre des portes, on favorise les rencontres. On met notre pied dans la porte et on ne lâche rien. Concrètement, je suis présent au comité technique SNCF, on est adhérent de la FNAUT, la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports pour agir au niveau national et départemental.
On fait remonter des informations d’usagers, on apporte notre connaissance de la montagne, du milieu du ski, on décrypte…. On est écouté, car ceux qui gèrent les réseaux ferroviaires n’ont pas ces codes et cette compréhension.
On fait aussi des prises d’intérêt, on est sociétaire de Rail Coop – la première coopérative ferroviaire citoyenne de France – dans laquelle on a mis de l’argent, 100€, l’équivalent d’une part sociale. Ça nous permet de représenter la coopérative dans des événements où les dirigeants des sociétés ferroviaires vont. On peut échanger directement avec eux et les emmener avec nous. Au final, ils comprennent qu’on est là pour les aider à mettre les gens dans les trains.
On a pu faire bouger quelques lignes, notamment à l’annonce de l’arrêt du Ski Train d’Eurostar. On avait lancé une pétition, signée par plus de 15 000 personnes, qui a fortement contribué à relancer la ligne Londres – Moûtiers – Bourg Saint Maurice par Travelski.
Redorer l’image du train c’est bien, le rendre moins cher serait d’autant plus efficace. Quels sont vos moyens d’actions ?
À notre échelle, on peut rendre le train plus accessible en faisant gagner des abonnements via nos jeux concours, mais au final c’est une question politique. Notamment dans les régions où notre travail de lobbying prend son importance. Pour certains événements, on dépose des dossiers pour que les festivaliers puissent bénéficier de tarifs préférentiels.
Si nous sommes engagés politiquement, sans aucune étiquette, c’est pour responsabiliser les citoyens que l’on peut toucher, sans culpabiliser. Avec un bulletin de vote, tu peux changer les choses. On fait notre possible pour vulgariser les offres politiques, rendre les programmes plus lisibles sur la question des transports et pour encourager les gens à voter.
Aussi, pour encourager les citoyens à faire bouger la classe politique, on met à disposition notre outil New Mode, qui est un outil d’envoi d’emails de masse. C’est une pétition inversée. Au lieu de nous donner ta signature, nous t’envoyons un texte qui part en ton nom auprès des élus. On a envoyé plus de 15 000 emails. Certains députés et sénateurs ont ainsi directement répondu aux citoyens qui ont mené l’action.
Pour finir, si on comptait 100 000 adhérents à POW, ça serait plus facile de faire porter notre voix…
Quelle influence avez-vous auprès des stations sur la question du transport ?
On intervient quand une station candidate au label Flocon Vert [décerné par l’association Mountain Riders, ndlr] sur la question du transport. Le but étant d’encourager les vacanciers à privilégier le train. Ça parait bête, mais pour commencer, sur leur site internet, il faut repenser la hiérarchisation des moyens d’accès à la station. Trop souvent, l’avion apparaît encore en premier.
Après, il faut comprendre qu’une commune n’aura pas les moyens d’offrir le transport à 50-100 000 vacanciers. Ce n’est financièrement pas possible. En revanche, il faut les encourager à construire des offres momentanées incluant la partie transport. Faire évoluer le discours marketing.
Protect our Winters, par définition c’est en hiver. Au vu des changements climatiques, envisagez-vous des actions sur d’autres saisons ?
Le sens de POW, c’est « POOOWWW », l’impact ! Plus sérieusement, le jour où les hivers auront disparu, remettre les skis sera le cadet de nos soucis. On se battra pour l’accès à l’eau potable, pour les énergies renouvelables, l’agriculture, les forêts…
On est actif toute l’année. Notre objectif est de faire réussir notre pays et l’Europe dans leur transition écologique. Si en regardant nos montagnes, quelle que soit la saison, on voit encore de la neige dans 50 ans, on sera sur la bonne voie.
Tous les sports outdoor sont cool, tout le monde pratique d’ailleurs toute l’année, mais sur la neige, c’est quand même vachement bien !
L’avenir du ski ?
Si les objectifs des accords de Paris ne sont pas tenus, ça sera du ski sans neige. Si nous ne limitons pas le réchauffement climatique à +2°, à la fin du 21e siècle, le ski sur de la neige naturelle fera partie de l’histoire.
Ça vous donne envie de passer à des actions plus radicales ?
Si dans le futur les adhérents de POW souhaitent engager des actions à la Sea Shepherd ou Greenpeace, on prendra la décision de façon collégiale. Mais on n’a pas encore fini notre travail pour convaincre les individus et les instances politiques pour songer à s’écarter de la voie démocratique.
Pour en savoir plus sur POW, utiliser leurs outils ou rejoindre le mouvement visitez www.protectourwinters.fr. Et pour en savoir plus sur le programme We ACT de l’OSV, rendez-vous sur www.outdoorsportsvalley.org.
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Photo d'en-tête : Daniel Bear / Moritz Nachtschatt (Design)