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Un Péruvien est pris en charge par une équipe scientifique
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Expédition 5300 : le labo tourne à plein

  • 20 février 2019
  • 5 minutes

Raphaëlle Bartet Raphaëlle Bartet Journaliste santé, passionnée de montagne, elle est adepte des trésors d'activités dont cette dernière recèle sur terre, dans l'eau ou le ciel.

L’équipe de Samuel Vergès, chercheur Inserm sur l’altitude en montagne et l’hypoxie, a enfin atteint la destination de son expédition péruvienne. Bienvenue à La Rinconada, ville la plus haute du monde, perchée à 5300 mètres, où vivent 50 000 personnes. Alors que le groupe de scientifiques s’affaire dans son laboratoire éphémère, un Samuel Vergès essoufflé nous livre ses premières découvertes.

Un peu “déboussolé”, Samuel Vergès vient d’arriver avec son équipe Inserm/Université Grenoble Alpes à La Rinconada, ultime étape d’une expédition scientifique inédite débutée fin janvier 2019 au Pérou. Objectif : comprendre comment l’organisme humain peut s’adapter au manque d’oxygène ambiant à une altitude où la vie est réputée impossible.

Dans ses deux précédentes expéditions à 4000 m et 5000 m, Samuel Vergès avait étudié comment des volontaires de vallée s’adaptaient ou non à la haute altitude. “Aujourd’hui, nous sommes dans une autre sphère en analysant les données issues des habitants permanents, afin de mieux appréhender les problèmes spécifiques qu’ils rencontrent”, explique-t-il.

Pour cette immersion inédite de six semaines, la vingtaine de chercheurs a créé un laboratoire éphémère de physiologie et biologie humaine. L’équipe s’est acclimatée tant bien que mal aux difficultés matérielles – pannes d’électricité et coupures d’eau – et aux conditions climatiques extrêmes. “Il est recommandé de ne pas dépasser 500 m d’altitude de différence d’une nuit à une autre. Mais nous sommes hors-norme, étant montés trop vite et trop haut”, souligne Samuel Vergès, qui ne déplore aucun malade dans son équipe. “Tout s’est plutôt bien passé, même si nous avons tous été touchés par le mal des montagnes de façon assez légère, avec des différences individuelles”. Il faut préciser que tous les chercheurs de cette mission ont été recrutés pour leur expérience de la très haute altitude en termes professionnel ou sportif.

Percer les mystères de l’hypoxie et du mal aigu des montagnes

Les symptômes du mal aigu des montagnes au dessus de 3000 mètres sont connus : céphalées, nausées, vertiges, troubles gastro-intestinaux et insomnie, sans que l’on puisse prédire qui y sera sujet. D’ailleurs, aucun entraînement physique n’a été nécessaire aux scientifiques pour se préparer à une telle mission. “Ce n’est pas utile car la condition n’a aucun impact sur la bonne tolérance à l’altitude”, explique le chercheur. Ce dernier, montagnard aguerri né à Font Romeu, dans les Pyrénées, est un ancien coureur de biathlon à haut niveau et pratique aujourd’hui ski de fond et trail longue distance.

On Pourtant, une fois là-haut, l’effort physique se paie cher. “Comme nous sommes des sportifs réguliers, nous avons essayé de faire un petit footing à 3 800 m, mais on ne peut que trottiner. Les jambes brûlent vite et il est impossible de retrouver ses capacités habituelles, même en y restant des semaines et des mois, comme les habitants de La Rinconada”, décrit
le chercheur. Au-delà de 1500 mètres d’altitude, tout effort intense devient plus difficile et particulièrement lent. A partir de 3000 – 3500 mètres, même le repos ne permet pas d’échapper à l’essoufflement. “La faible concentration d’oxygène présente dans l’air inspiré ne permet pas au sang d’amener assez d’oxygène à tous les organes, c’est que qu’on appelle l’hypoxie. Certains d’entre eux y sont plus sensibles que d’autres : c’est le cas du cerveau et des muscles”.  

Moitié moins d’oxygène, mais deux fois plus de globules rouges

La population locale de La Riconda possède une quantité impressionnante de globules rouges. C’est ce qu’ont découvert Samuel Vergès et son équipe à l’issue des premières analyses sanguines et salivaires menées dans leur laboratoire. “L’hématocrite, ou pourcentage de globules rouges dans le sang, avoisine la valeur de 40% en plaine, voire 45% pour des sportifs très entraînés. Le seuil de 50% est dangereux pour les athlètes, qu’on suspecte d’ailleurs de dopage. Or hier, nous avons trouvé un habitant avec le chiffre de 85% d’hématocrite”.

Pour d’autres, la conséquence serait fatale en quelques heures. “Avec de telles valeurs, le sang devient normalement visqueux, quasi pâteux et ne peut plus circuler normalement dans les vaisseaux. Il y a un risque de thrombose, le sang pouvant se bloquer dans certains vaisseaux, en particulier dans ceux du cœur et du cerveau”, détaille le chercheur.

Samuel Vergès et son équipe sont également surpris de constater que les habitants ont un cœur tout à fait normal. “Des mécanismes d’adaptation et de tolérance à l’hypoxie en altitude sont donc très probablement à l’œuvre. Les habitants arrivent, par certains mécanismes biologiques encore inconnus, à garder une certaine fluidité du sang. Peut-être ont-ils des globules rouges plus petits, plus déformables ou un plasma qui permet aux globules rouges de mieux circuler ? Leurs vaisseaux sanguins sont également très dilatés. Nous avons pu voir à l’auscultation qu’ils ont beaucoup de varices, les lèvres gonflées et les yeux un peu rouges”.

Un défi physiologique

L’étude de leur patrimoine génétique est primordiale, la plupart des locaux vivant à La Riconada de génération en génération. Mais elle s’accompagne aussi d’une analyse hématologique fine de la qualité de fluidité et de la viscosité du sang, de l’examen de différents paramètres d’inflammation comme le stress oxydant, et enfin de l’évaluation des vaisseaux de la peau, du bras et de la tête. L’expertise complète du cœur doit également leur permettre de mieux comprendre comment il réussit à pousser le sang et si un risque d’insuffisance cardiaque est développé. “Nos recherches sont menées au repos et lors de tests à l’effort sur vélo afin de voir comment les habitants s’y adaptent du point de vue cardio-vasculaire et respiratoire”.

Les principaux problèmes de santé rencontrés par la population de La Riconada sont d’ordre neurologiques : vertiges, troubles de la vision et maux de tête. “Leurs artères se dilatent au maximum, mais elles n’ont plus de marge de manœuvre. On voit que nous sommes aux limites de tolérance de l’organisme humain pour vivre dans cet habitat de façon permanente”. Beaucoup souffrent également d’apnées du sommeil. Grâce à des capteurs enregistrant en continu la respiration des volontaires pendant le sommeil et à leur domicile, l’équipe peut ainsi vérifier son hypothèse de départ et savoir si l’apnée du sommeil est liée au mal aigu des montagnes.  

Faire progresser la science et les traitements

A l’heure où Samuel Vergès s’entretient avec Outside par téléphone, des dizaines de personnes attendent leur tour au sein de ce laboratoire éphémère qui fait aussi office de lieu de consultation médicale pour examen et prise en charges. Rares sont les médecins européens à s’aventurer à La Rinconada. “Nous ne sommes pas venus avec des traitements, car nous ne savons pas encore avec précision de quoi la population souffre. Mais ce sera sûrement l’objet de notre prochaine mission. Nous avons l’espoir de trouver de nouveaux médicaments pour les aider à mieux tolérer cet environnement de très haute altitude et de les tester sur eux”.

Au retour de l’une de ses précédentes expéditions dans l’Himalaya, le chercheur et son équipe avaient ainsi pu mettre au point un masque d’altitude permettant de mieux diffuser l’oxygène à travers les poumons, qui est aujourd’hui en voie de commercialisation. Les analyses complémentaires seront menées dès le retour de l’équipe, début mars, dans son laboratoire de Grenoble. Elles prendront de nombreux mois avant de livrer leurs secrets et de lancer les chercheurs sur la piste de nouveaux traitements.  

Photo d'en-tête : Expédition 5300
Thèmes :
Altitude
Sciences

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