Si, en plus de 125 ans, il y a bien une marque qui est restée droit dans ses bottes, même par vents contraires, c’est deuter. Tout miser sur ce qu’elle sait faire – des sacs à dos et des sacs de couchage – sans céder aux sirènes de la diversification ni à celles de la croissance à tout prix. La marque bavaroise s’appuie sur son expertise, avec transparence et un sens aigu des responsabilités. L’humain et la planète au cœur de ses priorités, sans grands discours ni poudre aux yeux. Agir plutôt que trop promettre : une discrétion assumée, qui a fait ses preuves et dessiné, année après année, les contours d’un succès durable. Rencontre avec celles et ceux qui font perdurer cet héritage.
On ne compte plus les marques qui jurent de tout changer. Packaging recyclé, coton bio, neutralité carbone promise pour 2030. Mais combien tiennent leurs engagements, ou même les mesurent ?
« On préfère agir en silence que promettre trop fort »
« Chez deuter, on préfère agir en silence que promettre trop fort. C’est notre manière d’éviter le greenwashing. » Robert Schieferle ne l’assène pas comme un argument marketing. Il l’énonce comme une évidence. Entré dans l’entreprise en 1990 en tant qu’apprenti, il en est devenu le directeur général en 2020. Il incarne une marque qui, depuis 127 ans, avance avec constance, loin des projecteurs.
À commencer par son positionnement produit. La marque allemande ne multiplie pas les gammes. « Nous nous concentrons exclusivement sur les sacs à dos et les sacs de couchage. Nous ne faisons pas tout. Mais nous le faisons bien. Cette spécialisation, c’est notre ADN. On ne s’éparpille pas », insiste le CEO. Et de renchérir : « On ne suit pas la mode. Ce qui compte, c’est le confort. Un sac deuter se fait oublier sur le terrain. Il s’ajuste. Il respire. Il accompagne, sans jamais gêner. »
Pas de fast fashion donc, mais une stratégie basée sur l’innovation. « Tous les deux à trois ans, nous voulons lancer une innovation significative, vraiment utile. Le confort reste notre priorité, avec des systèmes comme l’Aircomfort [système de ventilation dorsale assurée par un filet en mesh], qui ont fait notre réputation. »
Pas non plus de produits superflus pour inonder un marché qui a profondément changé depuis la crise du Covid. « Il y a eu une surconsommation de produits outdoor, suivie d’un retournement brutal. Nous nous sommes retrouvés avec trop de stock », avoue Robert Schieferle. Aujourd’hui, le rythme s’accélère, la pression monte face aux incertitudes géopolitiques, la guerre en Ukraine, l’inflation ou la crise énergétique. Les comportements aussi évoluent : « Il faut rester agile. C’est pourquoi, chez deuter, nous refusons les plans à cinq ans. Le monde est devenu trop incertain. On préfère construire des organisations flexibles, capables de réagir à l’imprévu. Il faut faire les bons choix pour rester pertinent en 2030. C’est ce qui fait notre capacité à durer. »
On est loin des discours prônant une croissance à tout prix. « Ça fait bien longtemps que l’on a arrêté de se poser la question de savoir si des produits durables faisaient vendre. On le fait, c’est tout. » Une vision responsable, plus par conviction que pour attirer la sympathie.
deuter agit donc sur son empreinte carbone : réduction des émissions (objectif : –42 % d’ici 2030 par rapport à 2022), matériaux sans PFAS (les tissus sont désormais 100 % sans PFAS – engagement tenu depuis 2020), certification Bluesign® (82 % des tissus principaux sont déjà certifiés Bluesign® – label garantissant l’absence de substances toxiques, l’objectif initial était de 70 % d’ici 2025), partenariat avec la Fair Wear Foundation (dont elle est membre depuis 2011 et où elle détient le statut « Leader » depuis 11 ans)… « Mais ce qui compte, c’est que tout ce qu’on avance soit vérifiable. On ne se contente pas de promesses marketing. On veut pouvoir prouver, chiffres à l’appui, ce qu’on met en place », insiste le CEO.
« Quand on mesure précisément, on peut agir efficacement »
Quand on parle de durabilité, on pense souvent à l’environnement. Mais chez deuter, on parle d’abord de responsabilité. Et pour Marco Hühn, responsable RSE, qualité et en charge du service réparabilité, cette responsabilité ne se limite pas aux matériaux ou à l’empreinte carbone. C’est plus large. Cela inclut aussi l’humain, le social, l’éthique, l’économie.
Et l’ancien designer textile, passé par l’industrie de la mode, sait de quoi il parle : « un jour, en Turquie, j’ai visité un de nos petits fournisseurs de denim. J’ai vu des ouvriers traiter des jeans avec des produits chimiques, dans une cave sans aucune protection. L’agent local m’a dit : “Tu ne devrais pas descendre, c’est dangereux pour toi.” Quand je lui ai demandé : “Et eux ?”, il m’a répondu : “Ce n’est pas grave. Si l’un d’eux tombe malade, on en trouve un autre.” C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’on devait changer notre façon de produire et de consommer. J’ai quitté mon emploi et décidé de m’engager. »
Il rejoint alors deuter en 2013 et, jusqu’à 2020, la marque avançait sur de multiples projets de labellisation Bluesign® et au sein de la Fair Wear Foundation, mais sans cap clair. Aux alentours de 2020, « j’ai proposé à Robert [Schieferle] d’aller plus loin ». Marco Hühn fait appel à une experte – Karin Eckberg, une ancienne cadre d’adidas, aujourd’hui consultante – pour lui apporter un regard extérieur. Ensemble, ils analysent pendant un an les leviers, les obstacles, les bonnes pratiques et posent les fondations de ce qui deviendra « l’engagement » de deuter en matière de responsabilité.
Concrètement, cela implique des choix structurels. Dans sa chaîne d’approvisionnement, deuter a fait le choix de ne travailler qu’avec quatre fournisseurs : Duke pour les sacs à dos, High Rock pour les sacs de couchage, Kanaan pour les produits imperméables, HydraPak pour les systèmes d’hydratation. Basé au Vietnam, Duke est le partenaire principal de la marque depuis plus de trente ans. « Ce sont des relations stables, bâties sur la confiance. On ne change pas de fournisseur au gré de la fluctuation des prix. Ce sont près de 2 500 personnes qui travaillent pour nous, exclusivement. Cela nous donne une responsabilité directe. »
Ces fournisseurs sont indépendants, mais étroitement accompagnés. Les conditions de travail y sont encadrées, auditées, et deuter y applique une politique de salaire décent (considéré comme un niveau élevé dans l’industrie textile, au dessus du salaire minimum) pour plus de 70 % de la main-d’œuvre (les 30 % restants correspondent à des ouvriers récemment embauchés, encore en période d’essai ou en formation, qui perçoivent pour l’instant le salaire minimum légal). À cela s’ajoutent la certification Bluesign® (depuis 2011), l’appartenance à la Fair Wear Foundation, et des engagements concrets pour la réduction des émissions carbone (Réduction ciblée de 42 % des émissions d’ici 2030 ; 99,4 % des émissions provenant de la chaîne d’approvisionnement ; 100 % des produits certifiés ClimatePartner dès 2025 ; matériaux plus sobres en carbone). « Nous collaborons avec nos fournisseurs pour qu’ils utilisent moins de produits chimiques, qu’ils gèrent mieux leur énergie, leur consommation d’eau. »
Le programme est ambitieux, alors deuter avance étape par étape. « On a déployé des indicateurs concrets par axe : réduction d’émissions en tonnes de CO₂, pourcentage de salaires décents, nombre d’audits sociaux, évolution des matériaux utilisés… Chaque projet a ses indicateurs, ses étapes, ses échéances. Quand on mesure précisément, on peut agir efficacement. Par exemple, sur les salaires décents, notre objectif est que nos fournisseurs directs maintiennent un niveau de rémunération dit “living wage” sur plus de 70% de leurs employés. Pour cela, nous avons mis en place un système de collecte de données : nous recevons chaque mois les feuilles de paie de notre principal fournisseur au Vietnam. Cela nous permet de suivre l’évolution réelle des salaires, d’identifier les écarts entre hommes et femmes, de vérifier les hausses… et d’agir. »
Ce niveau de transparence est rare. Peu de marques ont accès à de telles données, surtout si elles ne possèdent pas les usines. Cela repose donc sur une relation de confiance, bâtie sur le long terme. « Et c’est cette transparence qui nous permet d’adapter les prix d’achat, de discuter des marges, et de réallouer les gains vers les salaires plutôt que de les absorber intégralement. »
Autre sujet sensible : la réparabilité. Chez deuter, elle ne date pas d’hier. « On a un atelier de réparation en Allemagne depuis plus de 30 ans. On répare entre 4 000 et 5 000 produits par an [6 300 dans le monde en 2024, ndlr]. Et ce chiffre est en hausse. » Une longévité qui s’appuie aussi sur le design. « Nos produits sont pensés pour durer. On préfère changer une boucle ou une fermeture plutôt que vendre un produit neuf. »
Mais là encore, Marco reste lucide. « Il faut faire attention à ne pas faire du durable un slogan. Ce qui compte, c’est la cohérence. La responsabilité, c’est aussi de produire moins. De ne pas pousser à l’achat. » Un discours rare dans un secteur encore très tourné vers la performance commerciale. Et un rappel utile : on peut faire de la RSE sans le dire à tout bout de champ. Et peut-être même mieux.
« Le marketing n’est pas là pour enjoliver la réalité »
Des propos repris par Christina Völlinger, directrice marketing, qui a rejoint deuter il y a 7 ans, par conviction elle aussi : « Une marque responsable, ce n’est pas une marque qui parle de durabilité. C’est une marque qui agit, et qui le montre avec justesse. Si nous avons encore des points faibles — et il y en a toujours —, nous les assumons. On ne prétend pas être parfaits. Mais on progresse. Et on le montre. »
La communication se veut à l’image de l’entreprise : sobre, ancrée dans le concret. Pas de storytelling à outrance, pas de grandes campagnes « feel good » pour faire oublier les failles du système. « Notre rôle n’est pas de raconter des histoires plus grandes que nature. C’est de montrer ce que l’on fait, tel que c’est. »
Dès lors, la stratégie de marque repose sur des faits. « Quand on parle d’un partenariat avec la Fair Wear Foundation, on doit pouvoir expliquer comment ça se traduit, avec des chiffres, des actions. Pas juste un logo. »
Pour celle qui s’attèle à moderniser l’image de marque – et son logo en 2021 –, pas question non plus de considérer la légitimité de la marque et des produits comme acquise. On ne peut pas juste dire : « On a une longue histoire, une grande expertise, donc faites-nous confiance. » Chaque jour, on doit prouver notre crédibilité. Le marché est de plus en plus concurrentiel, avec de nombreuses marques dynamiques. L’innovation est essentielle. Être leader, ce n’est pas regarder dans le rétroviseur. C’est innover au présent. »
« Un produit bien conçu, c’est un produit qui peut se réparer facilement »
Chez deuter, la conception d’un sac à dos ou d’un sac de couchage ne commence jamais par une analyse des tendances. Cela commence d’abord par une idée précise de ce que le produit doit offrir en termes de fonctionnalité, de confort et de durabilité. « Vient ensuite le design, au service de l’usage, pour que le produit soit cohérent, fonctionnel et attrayant », assure Johannes Braun, chef de produit chez deuter. « C’est la base ! »
L’obsession de la marque pour le confort ne date pas d’hier. Dès les années 1980, deuter introduisait le système de dos filet tendu Aircomfort, une innovation maison qui permet d’évacuer la transpiration et de limiter l’échauffement du dos. Un détail pour certains, un critère décisif pour ceux qui partent marcher toute la journée ou plusieurs semaines. « Nos utilisateurs ne veulent pas juste un produit léger ou stylé. Ils veulent un sac qui s’adapte à eux, pas l’inverse. Qui se fasse oublier. »
Pas question donc de sacrifier la technicité à l’esthétique. « On ne fait pas du design pour le design. Chaque détail a une fonction, un usage. Il doit apporter quelque chose. » Le développement d’un nouveau sac peut prendre deux à trois ans. Il implique des dizaines de tests terrain, des allers-retours avec les usines, une attention méticuleuse aux matériaux, à la coupe, à la respirabilité, à la modularité.
Chaque innovation passe par le filtre de la réparabilité. « Avant de valider un prototype, on le montre à notre atelier de réparation. Si on nous dit : “Ça, impossible à recoudre sur le terrain”, on le repense. » Cette logique va jusqu’aux moindres détails. Le système VariSlide sur certains modèles, qui permet d’ajuster le dos du sac, a été entièrement revu pour être démontable et remplaçable facilement. « Pour l’utilisateur, ça ne change rien. Mais pour nous, c’est une garantie de longévité. »
Le choix des matériaux ne se fait jamais au rabais. « On travaille avec des fournisseurs qui garantissent la traçabilité et la robustesse de leurs textiles. Et on privilégie toujours la résistance, même si c’est plus cher. »
Dernier exemple en date : le sac Expedition Ultra, développé avec l’alpiniste et piolet d’or Kazuya Hiraide, puis finalisé avec Tamara Lunger et Dani Arnold. Ultraléger, mais conçu pour durer. « Ce n’est pas un sac de salon. Il est fait pour la montagne, et il est pensé pour survivre aux expéditions. »
Pour deuter, la durabilité n’est pas un slogan. Pas de promesses creuses, mais des actes. Pas de grands discours non plus, mais des preuves. Avancer, étape par étape. Réparer plutôt que jeter. Se remettre en question. Adapter ce qui doit l’être. Et garder le cap. Sans bruit, mais avec constance. Et c’est peut-être ça, leur secret : avancer sans faire de bruit. Et durer, sans jamais trahir ses principes.
Pour en savoir plus sur deuter, visitez www.deuter.com
Photo d'en-tête : Deuter