Du pastis au bouddhisme… tout un programme. Enfin, si on veut, car quand Jessica et Anaïs, 31 ans, décident de prendre la route à vélo en mars 2022, direction Dharamsala, la terre d’exil des Tibétains, refuge du Dalaï Lama, elles n’ont pas d’itinéraire préétabli, pratiquement aucun entraînement. Aucune justification non plus, sinon, un « pourquoi pas ? » lancé par jeu. Juste une certitude : « On atteindrait Dharamsala, quoi qu’il arrive ». Un défi qui les a lancées huit mois sur les routes. Elles en ont tiré un étonnant documentaire de 52 minutes, primé dans de nombreux festivals. Dernier en date, en avril dernier, le prix « Espoir » du Festival aventure et découverte de Val d’Isère. Remis en partenariat avec Outside, il récompense une première œuvre. Mix d’animations et d’images tournées au fil de leur périple, ce récit à deux voix très personnel est une incroyable invitation au voyage.
« On n’a pas tout plaqué pour aller élever des chèvres. On n’était pas en burn out. On ne cherchait pas non plus le sens de la vie. On ne s’est pas lancées pour sauver la planète. En fait, on s’est juste dit : Pourquoi pas ? Mais on ne va pas se mentir, quand on est parties, personne ne nous a vraiment crues. », expliquent Jessica et Anaïs, le duo de Pastis-Momo, projet qui les a conduites à rouler à vélo de Cabanes, dans les Bouches du Rhône, pays de l’apéro anisé, à Dharamsala, terre d’exil du Dalaï-Lama, et, accessoirement, pays des raviolis tibétains, les momos. Là où, quatre ans plus tôt, les deux amies se sont rencontrées et où elles ont pris « une claque dans la face en découvrant des réfugiés tibétains ne prônant que gratitude et bienveillance, alors qu’ils ne peuvent pas vivre librement dans leur propre pays. »
En 2020, le Covid les force à rentrer en France, mais l’envie de retourner en Inde ne les quittera pas. En attendant, l’aventure pour elles va se vivre à vélo. « Nous avons pédalé sur la via Rhona, et nous avons continué sur le Canal du midi. Comme nous ne pouvions pas nous arrêter, nous avons continué sur le Canal de Garonne, puis le tour du bassin d’Arcachon. Et nous avons recommencé. Au fil des voyages, nous avons appris que nous avions un nom : nous étions des « cyclotouristes ». Le 2 novembre 2022, à l’issue de leur périple indien, elles étaient devenues des « bikepackers ». Sans l’avoir vraiment prémédité, en réalité, car l’idée de départ, « c’était une blague », se souviennent-elles.
De la pétanque… au bouddhisme
Une blague dont les chiffres laissent sans voix quand même. 8 mois ou 238 jours de voyage. 15 pays traversés : Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie, Albanie, Monténégro, Albanie, Grèce, Bulgarie, Géorgie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Ouzbékistan. 14 042 km, 51 963 m de D+ et 51 387 m de D-. 36 jours de pluie. 6 crevaisons. Et surtout 108 drapeaux de prière, symboles de paix, d’harmonie, de sagesse et de compassion accrochés au fil de leur parcours. Comme un lien entre deux mondes, un cheminement vers Dharamsala. Ou, pour le résumer avec leurs mots : De l’OM (Olympique de Marseille) au mystique ÔM. Des courses camarguaises à la vache sacrée. De la pétanque au bouddhisme. Et des Alpilles à l’Himalaya ».
Ces deux-là ont en commun le sens de la formule et un goût certain pour la rigolade et le vin rouge. Sans compter, bien sûr, une sacrée capacité d’adaptation. Des qualités qui leur seront plus qu’utiles sur la route. Car si à leur départ des Bouches du Rhône, le 10 mars 2022, elles ont déjà pas mal usé leur sac à dos en Asie, en matière de vélo au long cours, elles n’ont guère d’expérience. Pas vraiment un problème, leur force étant moins dans leurs mollets que dans leur complémentarité.
De Jessica, Anaïs dit qu’elle est : « une chercheuse trouveuse. Quand elle a une idée en tête, elle trouve toujours le moyen d’arriver à la faire. Qu’importe le chemin. En plus, elle adore regarder les guides, chercher tout ce qui se passe dans l’actualité, dans les cultures locales. C’est une alliée assez précieuse en voyage ». D’Anaïs, Jessica dit qu’elle est « une personne capable de faire des choses assez incroyables avec des bouts de ficelle. Elle a ce côté créatif et bricoleuse qui, en voyage est aussi un immense plus ! ».
Ici pas de récit chronologique, mais des interviews express
Outre les inévitables crevaisons, Jessica et Anaïs vont devoir affronter des chiens hargneux, des hommes avinés très insistants, de sérieux dénivelés, des vents infernaux, en clair le lot de bien des bikepackers, mais aussi des conflits armés lors de leur passage en Arménie. Fuyant les bombardements, elles rebroussent chemin vers la Turquie, d’où elles rejoignent l’Iran. « En fait, rien ne s’est passé comme prévu… », résument-elles.
Elles finiront pourtant par rejoindre Dharamsala et par rencontrer le Dalaï Lama. Là, déception, la mignonnette de pastis qu’elles comptaient lui offrir n’est pas acceptée par le protocole. Elles devront se contenter de remettre à sa Sainteté un petit livret avec le résumé du voyage. « Et là, surprise : il nous a remerciées », racontent-elles. « C’est drôle, car on aurait plutôt eu tendance à lui dire merci à lui de nous accueillir. C’était rapide, on est resté un peu bouche bée. Et on a réalisé après coup que c’était assez incroyable comme rencontre. On n’imaginait pas qu’un jour ce soit possible. Comme quoi ça vaut le coup de faire huit mois de vélo ! ».
Une rencontre marquante, mais qui est loin d’être la seule. C’est d’ailleurs ce qui a nourri le scénario du film de 52 minutes qu’elles ont tiré de cette aventure. Ecartant un classique récit chronologique, elles se sont basées sur les interviews réalisées pendant le voyage, concentrées sur une seule question. « Comme on hissait des drapeaux de prière sur la route, ça nous a paru faire assez sens de demander aux gens ‘C’est quoi la paix et c’est quoi la liberté pour toi ?’ En écho aussi au fait qu’on allait rejoindre des copains tibétains qui, eux, étaient en exil. Donc, on n’a jamais vraiment prévu d’utiliser ça pour structurer un film, mais, une fois arrivées, on s’est dit que c’était peut-être ça qu’il fallait raconter ».
« Le secret ? Quand tu as une idée, fais la très vite ! »
Et ça fonctionne ! D’autant qu’entre les réponses qu’on leur donne, graves ou légères, poétiques ou politiques, Anaïs et Jessica vont intercaler des images d’animations, comme autant d’habiles transitions. Des pastilles colorées, sorties des mains d’Anaïs. Graphiste de formation, elle a appris cette mise en images sur le tas. Une corde de plus à son arc, qu’elle aimerait bien développer. De même, Jessica, chargée de marketing digital dans la culture et le tourisme, s’était « mise au drone » en chemin. Une première pour elle aussi.
Au final, avec peu de moyens, c’est un documentaire très personnel qu’elles ont réalisé. Tonique et plein de sens, à leur image. À l’image d’un périple entrepris sans avoir besoin de prétexte, alors que mille fois on leur demandera le pourquoi de l’affaire. « Pour beaucoup de personnes, c’est difficile d’imaginer prendre une pause de huit mois, pour faire autre chose que travailler », expliquent-elles. « C’est une justification que nous demande la société occidentale. Mais quand on est arrivé en Inde et qu’on a dit qu’on était arrivées à vélo, personne ne nous a demandé pourquoi. Ça les a fait rire »… Avant qu’une autre question ne surgisse : « Où sont vos maris ! » (rires). Autre contexte… autre culture.
Alors, s’il ne fallait retenir qu’une leçon de leur aventure ? « Une fois qu’il y a l’idée, tu fais le truc vite fait. Enfin, autant que possible. Sans faire n’importe quoi, bien sûr. Mais il faut se jeter à l’eau assez rapidement. Ne pas laisser trop d’attente. Parce que ça te laisse le temps de te faire un million d’idées sur ce qui pourrait être le pire scénario possible sur le chemin ! ».
Or, le pire n’est pas forcément à venir : « Un projet que tu portes avec le cœur et que tu as vraiment envie de faire, ça ouvre des portes insoupçonnables et génère une espèce de réaction en chaîne qui va juste de surprise en surprise et qui fait que la vie, c’est assez merveilleux ! » disent-elles.
« Parfum d’essence, un voyage à bicyclette des Alpilles à l’Himalaya » poursuit sa tournée des festivals. Pour ceux qui n’auraient pas la chance de le voir en salle, le film est déjà disponible en VOD. Pour en savoir plus, c’est ici.
Photo d'en-tête : Pastis - Momo- Thèmes :
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