Le Suisse Noam Yaron, spécialiste des ultra-distances, était au bord de l’exploit : rallier Monaco à la nage depuis Calvi. Cinq jours et quatre nuits dans les eaux tumultueuses de la Méditerranée avant de céder, vendredi 15 août, en proie à des hallucinations et épuisé… à seulement deux kilomètres de l’arrivée. Du jamais vu malgré l’échec : aucun nageur n’avait passé autant de temps en mouvement sans s’arrêter. Plongée dans l’univers extrême de l’ultra en eau libre.
Dans le trail, on parle d’ultra à partir de 80 bornes, jusqu’à 170 pour les formats les plus classiques – sans parler du dénivelé. Mais certains vont plus loin, beaucoup plus loin : 200, 300 kilomètres, comme sur le mythique Tor des Géants, voire beaucoup plus. C’est dans cette catégorie XXL qu’entre la tentative du Suisse Noam Yaron, 28 ans : relier Calvi à Monaco sans jamais sortir de l’eau. 180 kilomètres de nage, cinq jours et quatre nuits dans une Méditerranée agitée. Il a cédé vendredi 15 août, à deux kilomètres du but, halluciné, lessivé.
Noam Yaron n’en était pas à son premier essai. L’été dernier déjà, il avait tenté cette épreuve d’ultra-distance entre la Corse et le continent. Après 103 kilomètres, et en accord avec son équipe médicale, il avait dû renoncer. La troisième fois sera-t-elle la bonne ? Difficile d’imaginer le Suisse abandonner un défi aussi insensé, qu’aucun nageur n’a encore réussi à accomplir. Au-delà de la performance, Yaron entend aussi sensibiliser aux enjeux environnementaux, et plus particulièrement à la protection de la biodiversité méditerranéenne.
Concrètement, le nageur avançait en suivant un catamaran qui traînait une ligne d’eau, comme dans un bassin. Un repère qui lui permettait d’économiser temps et énergie au lieu de chercher sa trajectoire. Côté sommeil, l’idée était de grappiller quelques minutes de repos quand la houle le permettait, en se mettant sur le dos, yeux clos. En parallèle, Yaron aurait eu recours à l’hypnose pour endormir une partie de son cerveau tout en continuant à nager. Le tout sous la surveillance constante d’une équipe médicale.
Traverser la Méditerranée de l’Antiquité à nos jours
Dans le monde de la nage en eau libre, la traversée de la Méditerranée dépasse la simple performance : elle flirte avec le mythe. Ovide racontait déjà, dans un poème antique, l’histoire de Léandre traversant chaque nuit l’Hellespont pour rejoindre sa bien-aimée. Ce détroit, connu aujourd’hui sous le nom de Dardanelles, relie la mer Égée à la mer de Marmara, en Turquie, et sa largeur varie de 1 à 6 kilomètres selon l’endroit. Car en réalité, « traverser la Méditerranée » signifie relier une côte à une autre, et non parcourir l’intégralité de cette mer fermée, bien trop vaste pour l’être humain avec ses plus de 3 800 kilomètres de longueur.
Les performances des meilleurs nageurs consistent le plus souvent à relier deux pays, sur des distances très variables. Les traversées les plus courtes avoisinent une quinzaine de kilomètres, comme entre le Maroc et l’Espagne par le détroit de Gibraltar, ou entre la Corse et la Sardaigne. Les plus longues dépassent largement les 100 kilomètres : Calvi – Monaco (180 kilomètres), Tunisie – Sicile (150 kilomètres environ) ou Chypre – Liban (un peu plus de 110 kilomètres). Autant de défis qui représentent des dizaines d’heures passées dans l’eau. Noam Yaron, lui, a tenu plus de cent heures avant d’abandonner lors de sa dernière tentative entre Calvi et Monaco.
Polémique sur le record actuel de 225 kilomètres
Encore marginale, la discipline de l’ultra-marathon de nage en eau libre n’est pas véritablement homologuée. L’actuel record de distance serait détenu par le Croate Veljko Rogošić, auteur en 2006 d’une traversée de 225 kilomètres entre Grado et Riccione, dans la mer Adriatique, au large de l’Italie. Un exploit avalé en un peu plus de 50 heures, inscrit au Guinness mais contesté par les spécialistes. Le Croate aurait largement profité de courants favorables, expliquant ce temps éclair. Noam Yaron, lui, a choisi volontairement une fenêtre météo en dehors des périodes où les puissants courants méditerranéens auraient pu l’avantager, histoire de nager dans les règles de l’art. Pour filer la comparaison avec le trail : c’est la différence entre courir 170 kilomètres presque plats, ou couvrir la même distance avec 10 000 mètres de dénivelé positif.
Des traversées entre Calvi et Monaco ont déjà eu lieu, mais jamais d’une seule traite, sans sortir de l’eau. En juin 2023, le Français Rémi Camus a ainsi complété les 180 kilomètres à raison de huit heures de nage par jour, mettant treize jours au total pour rallier la Corse au continent. D’autres préfèrent s’y attaquer en relais, pour réduire la difficulté. La première traversée non-stop et en solitaire reste donc à écrire. Noam Yaron compte bien s’y atteler à nouveau en 2026.
Photo d'en-tête : Noam Yaron / Facebook- Thèmes :
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