Matières biologiques, membranes biosourcées, upcycling, élimination progressive des PFC, service de location ou garantie réparabilité à vie… la palette de la marque française était déjà très large en matière de production durable. Voici que s’y ajoute pour la collection printemps-été 2023, la fabrication de ses pièces techniques à partir de tissus issus des déchets de l’industrie textile. Le résultat d’innombrables tests pour la marque, car boucler ainsi la boucle n’a rien d’évident.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », explique Florian Palluel, sustainability manager chez Picture. On connait la formule, mais l’appliquer à l’industrie textile, dans l’outdoor de surcroit – secteur notoirement polluant, matériaux technique oblige – est loin d’être une partie de plaisir. Un vrai casse-tête en fait auquel la marque, engagée de longue date à rendre l’industrie textile moins polluante, plus durable et plus sobre, ne pouvait couper. Oui, mais comment s’y prendre ? Sur le papier, rien de plus simple, poursuit, l’expert. Il « suffit » de :
- Produire moins, consommer moins, faire durer et réparer les vêtements.
- Sortir de la dépendance au charbon et gaz pour la production d’électricité alimentant les machines de filature, tissage, teinture.
- Sortir du pétrole en ce qui concerne les matières.
Les deux premiers chantiers, Picture s’y est sérieusement attelée, travaillant depuis les premiers jours à produire moins, mais mieux, des vêtements conçus pour durer longtemps et que l’on prend plaisir, d’une saison à l’autre, à porter, et réparer si besoin pour prolonger encore leur usage. Restait la question du pétrole, capitale pour une marque dont la production est encore largement dépendante. « Le polyester est de loin la matière la plus fabriquée dans l’industrie textile, avec 55% du volume total de production, suivi du coton (25%) puis d’autres fibres synthétiques ou cellulosiques (polyamide, acrylique, laine, etc.) », détaille Florian Palluel. Et elle n’est pas près de diminuer, la production mondiale de polyester ayant doublé entre 2000 et 2020, ce qui pose aussi beaucoup de questions.
Pourquoi ? Tout simplement parce que pour garder une chance de limiter la hausse des températures sous +1,5 °C, il faudrait laisser dans le sol près de 60 % des réserves de pétrole. Pas gagné, quand on connait les enjeux économiques et le poids de notre dépendance au niveau mondial dans pratiquement tous nos secteurs d’activité. Mais quand bien même on écarterait toute considération écologique – soyons un peu cyniques ! – la « triste » réalité est que le pétrole est en quantité finie dans les sols. À production constante et selon les réserves connues, il en resterait donc encore pour une cinquantaine d’années seulement. Or, plus on s’acharne à extraire du pétrole, plus nous nous éloignons de nos objectifs climatiques. Plus on en est dépendants, plus son sevrage sera subi.
Et le polyester dans tout ça ? Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, rappelons que dans sa version conventionnelle, il est directement issu du pétrole. Mais heureusement, il y a d’autres manières de procéder, dont certaines, principalement deux, sont désormais bien connues, nous explique-t-on chez Picture. A savoir :
Recycler des bouteilles plastiques en PET, du grand classique chez Picture depuis 2009 grâce à son partenariat avec des Taiwanais. Ou utiliser du bio-polyester partiellement issu du sucre, après raffinage et fermentation. Une piste explorée ces dernières années pour ses produits techniques mais dont la marque a vite vu les limites, au point d’en sortir pour la remplacer par une alternative qui lui paraît plus satisfaisante : le polyester « circulaire », partiellement issu de vêtements usagers. Un choix qui soulève un certain nombre de questions auxquelles a bien voulu répondre Florian Palluel.
7 questions pour tout comprendre en 5 minutes
1. Pourquoi abandonner le bio-polyester ?
« Le bio-polyester est une solution intéressante, mais nous avons identifié trop de limites pour continuer l’aventure. Le sucre que nous utilisions était un « déchet », sous-produit de la culture de la canne à sucre. Il est évident que cet approvisionnement aurait été insuffisant si demain toutes les marques décidaient de s’y mettre. Conflit d’usage des sols ? Déforestation ? Autant de risques trop sérieux pour les écarter. » Par ailleurs, poursuit l’expert, « la dépendance directe au pétrole reste assez forte, seulement 30% de la formule chimique du bio-polyester est actuellement issue du sucre. Si ça vous parle, il n’y avait que le mono éthylène glycol que nous arrivions à bio-sourcer », précise-t-il. « Nos calculs d’intensité carbone pour 1 kg de granulé polyester, réalisés avec le cabinet Quantis, montraient finalement peu de différence entre le polyester conventionnel et le bio-sourcé. Le prix de cette fibre était élevé et rognait nos marges ».
Décourageant ! D’où l’abandon du polyester bio-sourcé dans lequel la marque avait pourtant placé beaucoup d’espoirs dans un premier temps.
2. La solution ? Le polyester circulaire… de quoi s’agit-il ?
« Il s’agit de collecter puis de recycler des vêtements usagés (toutes marques confondues) composés à 100% de polyester. Les chutes de tissus ayant lieu pendant la fabrication des vêtements sont aussi mobilisées pour aboutir à un stock significatif. Ainsi, la composition moyenne d’une fibre circulaire est de 60% chutes de tissus / 40% vêtements usagers ». Deux sources de matières premières que Picture a identifiées en Chine, là, son partenaire, la société Jiaren, s’occupe de tout. Ensuite, la marque prend le relais et gère toute la chaine d’approvisionnement, de la filature à l’assemblage en passant par le tissage et la teinture.
3. Oui, mais pourquoi ne pas recycler les vêtements Picture ?
« Le recyclage d’un vêtement doit être perçu comme la dernière des étapes finales. Avant cela, il doit être porté, porté encore, réparé, puis porté à nouveau. Puis il peut être donné, vendu en seconde main, réemployé, etc. Le vêtement n’est pas une bouteille plastique à usage unique. La priorité n’est donc pas de collecter des vêtements pour garantir un nouveau stock de production, mais plutôt de faire durer ceux que nous avons déjà » explique Florian Palluel. Sans compter, poursuit-il, que se pose un réel problème de logistique : « nos vêtements sont vendus un peu partout en Europe et Amérique du Nord, les gisements sont donc très éparpillés, difficiles à collecter, et les volumes que nous pourrions récupérer resteraient faibles au regard des besoins de production. À date, il s’agit donc d’une collecte de vêtements usagés en Chine ».
4. Une collecte groupée, impliquant d’autres marques, ne serait-elle pas envisageable ?
« C’est une option effectivement. Mais notre priorité étant la durabilité des vêtements, nous déployons plus d’efforts sur d’autres sujets, comme par exemple notre garantie de réparabilité à vie ou le collectif En Mode Climat ».
Multiplication des solutions de recyclage, développement de l’économie circulaire… autant de raisons de se réjouir. Reste, insiste-t-on chez Picture, que « faciliter le recyclage ne doit pas servir uniquement à entretenir une machine de production qui ne se remettrait pas en question.»
5. Pourquoi le recyclage a-t-il lieu en Chine et pas en Europe ?
« Pour les produits techniques, notre chaine d’approvisionnement (filature, tissage, teinture, etc.) est historiquement située à Taiwan et en Chine, la connexion est donc grandement facilitée avec la Chine où la technologie de recyclage est parfaitement rodée. Nous savons qu’en Europe des technologies plus ou moins similaires émergent, certes, mais nous ne les avons encore jamais vraiment explorées, sauf avec l’entreprise Carbios qui est très prometteuse… et très proche de chez nous à Clermont-Ferrand ! »
6. Concrètement, comment fonctionne ce recyclage ?
« Sans trop entrer dans des détails trop techniques, disons qu’il s’agit de dépolymériser le polyester pour revenir au niveau moléculaire, sans aucune impureté. Cela permet d’isoler d’un côté le mono éthylène de glycol, et de l’autre l’acide téréphtalique, les 2 composants originaux du polyester. Puis d’autres étapes sont nécessaires (pré-traitement, filtration, stockage, etc.) pour en arriver là. Enfin, il y a re-polymérisation afin d’obtenir des granulés de polyester ».
7. Quid des émissions de CO2 de ce procédé : sont-elles plus faibles que celles des autres alternatives (conventionnel, bio-sourcé, recyclé) ?
« Bonne question. Il y a 3 ans, nous avions demandé au cabinet Quantis de calculer les émissions de CO2 pour 1 kilo de différents types de granulés polyester, avant filature, en Chine. Le pays d’étude est important car les mix-électriques des pays influencent beaucoup le résultat. Puis nous avons croisé ces infos avec les résultats de Jiaren pour 1 kg de granulés de polyester circulaire. Voici ses résultats :
- Polyester conventionnel : 3,13 kg CO2
- Bio-polyester : 2,77 kg CO2
- Polyester recyclé : 1,20 kg CO2
- Polyester circulaire : entre 1,08 et 1,45 kg CO2
Le choix s’est imposé : pour l’ensemble de nos produits en polyester, nous sommes donc désormais positionnés sur ce qui semble être les 2 meilleures options à disposition. Et 80% de nos pièces techniques intègrent désormais du polyester circulaire. Rappelons quand même que la bataille de la comptabilité carbone ne doit pas masquer d’autres angles de vue : sobriété, durabilité, origine des matières, etc. Ainsi, mieux vaut acheter (et garder aussi longtemps que possible !) une veste en polyester conventionnel qu’accumuler trois vestes en polyester recyclé. » Enfin, précise la marque, il est préférable de recycler des vêtements qui ont duré, plutôt que ceux conçus à partir d’une bouteille plastique utilisée une seule fois. C’est donc une vision globale de la production – le job de Picture ! – mais aussi de la consommation qu’il faut garder en tête, et là, c’est le nôtre, consommateur citoyen.
8. Le polyester circulaire est-il de la même qualité que le polyester conventionnel ?
« Oui, rien ne change. Les granulés de polyester, qu’ils soient conventionnels, recyclés ou circulaires sont chimiquement identiques. À ce stade, le fil n’est même pas encore fabriqué ! D’un point de vue qualité et de durabilité, tout se jouera donc sur les étapes suivantes : filature, tissage, teinture, assemblage, choix du traitement déperlant, de la membrane, etc. Côté Picture, nos standards de qualité sont donc les mêmes qu’avant. Idem pour l’aspect réparabilité », rassure Florian Palluel.
Pour en savoir plus sur le programme « Circular », visitez www.picture-organic-clothing.com
Photo d'en-tête : Picture