Cinq ans après le très remarqué « Water Get No Enemy », le réalisateur et surfeur Arthur Bourbon est retourné à Robertsport, un petit village du Libéria, pays d’Afrique de l’Ouest dévasté par deux décennies de guerre civile. Là, des surfeurs locaux tentent de changer leur destin ainsi que celui de leur communauté grâce au Robertsport Surf Club, créé en 2022. Dans une rare démarche documentaire, le Français prend le temps de suivre l’évolution du surf dans le pays et les nouveaux enjeux à surmonter. L’occasion aussi d’assister à la 10ᵉ édition de la compétition nationale de surf du Libéria et de constater l’engouement de la population pour ce sport et la présence de plus en plus de surfeuses, comme il nous l’explique à l’occasion de la sortie en VOD de son nouveau documentaire, « We the surfers ».
En 2018, les surfeurs professionnels et réalisateurs français Arthur Bourbon et Damien Castera s’étaient rendus au Libéria pour rencontrer la première génération de surfeurs du pays et documenter la vie de ces jeunes qui, après la guerre civile, avaient troqué leurs mitraillettes contre des planches de surf et trouvé la paix en surfant. Un long métrage plein d’intelligence et de sensibilité, mêlant reportage, animation et images d’archives. Les festivals ne s’y tromperont pas, Water Get No Enem sera primé en France comme à l’étranger, notamment au FIFAV. L’histoire aurait pu s’arrêter là, comme c’est bien souvent le cas, faute de moyens ou de temps pour couvrir l’évolution d’un tout jeune projet. Contre toute attente, il trouve aujourd’hui un prolongement dans un nouveau documentaire de 52 minutes, We the surfers réalisé par Arthur Bourbon, seul à la caméra cette fois.




« Water Get No Enemy », sorti en 2020, a-t-il changé quelque chose pour la communauté de surfeurs filmée ?
Ce premier film, fait avec Damien, a participé à créer une sorte d’élan du surf dans le pays parce qu’il a attiré l’attention de pas mal de gens, notamment d’ONG. C’est grâce à ça que s’est créée Provide the Slide, l’association qui a apporté plein de planches dans le village de Robertsport et aux Libériens en général. Je pense qu’il a été une sorte de catalyseur. C’est aussi de ça qu’a découlé le projet de surf club et qu’avec toutes les ONG s’est créé un écosystème apportant plein d’opportunités aux jeunes du village.
Cinq ans plus tard, tu y retournes ? Pourquoi ? Et que découvres-tu ?
À la base, je souhaitais retourner à Robertsport pour découvrir ce projet de surf club auquel j’avais participé à distance. Pendant le Covid, j’avais pas mal de temps libre, parce que pas de voyage, pas de projet. Je me suis vraiment investi à fond dans la création de ce surf club avec d’autres ONG dont Provide the Slide et The Universal Outreach Foundation. Ça me tenait aussi à cœur de retourner voir les copains rencontrés cinq ans auparavant. Et il se trouve qu’il y avait une compétition organisée à ce moment-là : c’était l’occasion. Ce sont les ONG qui m’ont motivé à me lancer dans un nouveau film. Car le projet marchait, il était en train de créer du changement.
Là-bas, je découvre que le club permet maintenant à tout le monde de surfer. Avant, il n’y avait que cinq à dix planches, souvent en très mauvais état. Contre une cinquantaine dans le village aujourd’hui, dont une partie qui reste au surf club. Ça permet aux jeunes, aux enfants surtout, aux tout-petits et aux filles de surfer eux aussi. À l’époque, il y avait surtout quelques mecs, ceux qui pratiquaient depuis le plus longtemps (…).
Et puis ça a quand même changé l’endroit. Le surf club est tout neuf, il a de jolis murs colorés, on ressent une sorte d’énergie hyper positive autour. Il a transformé le lieu en un endroit vraiment plus accueillant, notamment pour des gens qui viennent d’Europe, des Occidentaux, pour qui le Libéria n’est pas facile. Ce surf club, c’est une petite bulle, une petite parenthèse dans ce village-là qui permet d’avoir un endroit vraiment sympa sur la plage, mais tenu par des locaux, avec les locaux. Donc ça, c’est vraiment chouette.
Cela a leur donne également plein d’opportunités, les aide à accéder à des bourses scolaires. Ça permet de générer des revenus pour l’association, mais aussi pour certains surfeurs, même si, évidemment, ça il ne peut pas créer de l’emploi pour tout le monde.
Enfin du fait de cet élan, plein d’ONG viennent se greffer au projet et y apportent leur soutien. Notamment l’International Surfing Association qui aide les Libériens à participer à des compétitions dans d’autres pays d’Afrique ou à des stages d’entraînement au Sénégal, par exemple. Cela crée plein d’opportunités. C’est le mot qui me vient à l’esprit, parce qu’on ne se rend pas compte à quel point nous, Occidentaux, nous avons un grand nombre de privilèges et d’opportunités à tout âge et à tout moment de notre vie. Alors qu’eux, ils n’ont rien, ils naissent avec rien. Pour nous, se nourrir et s’éduquer correctement, accéder à la pratique de certains sports sont des choses acquises. Là-bas, pas du tout. Surtout quand ce sport, le surf, est encore assez marginal et élitiste. Ce n’est pas le football, avec un ballon et deux cages. Surfer coûte cher. C’est un sport qui est assez récent dans beaucoup de pays. Donc, ce club leur donne un maximum d’opportunités.
Peut-on dire que le projet d’école de surf/restaurant est viable ?
Le surf club, c’est aussi des services, du logement, de la restauration, des leçons de surf, de la réparation de planches. Alors, est-ce vraiment viable ? C’est encore un peu tôt pour le dire, mais pour l’instant, le projet se porte vraiment bien et il est bien géré. Mais, évidemment, c’est un projet qui fait face à beaucoup de challenges. Mais il ouvre aussi à de nouvelles opportunités. Avec notamment une association canadienne, The Universal Art Reach, spécialisée dans l’aide au développement économique durable, géré par les locaux, pour les locaux. Elle a, par exemple, aidé à créer une coopérative de production de miel et une autre d’huile de coco. Elle proposent une sorte de mentoring, de suivi. Grâce à elle, certaines personnes, notamment des surfeurs, ont pu faire une école hôtelière à Monrovia, la capitale, pour acquérir les compétences nécessaires au restaurant du club. Elle va envoyer un des gars faire une business school à Monrovia pour qu’il ait des bases en gestion. Elle est là pour le suivi et pour le soutien, et fait partie du board. Et c’est génial, parce qu’elle a tout de suite apporté la notion de génération de revenus, pour que ce ne soit pas qu’un surf club sous perfusions de donations venant des Occidentaux. D’où son idée de proposer des services, et de faire aussi un restaurant. C’est elle qui a insisté là-dessus. C’est parti d’un projet uniquement sportif pour devenir un projet économique et social.

Combien de surfeurs compte le club ?
Environ une cinquantaine font partie de l’association aujourd’hui. Mais ils ne sont pas tous membres actifs. Certains ont un emploi grâce au surf club. Ils essaient de tourner tous les six mois, entre le restaurant, l’entretien de la cour et des bâtiments, etc.

Malgré les conditions d’entraînement, de jeunes talents peuvent-ils émerger grâce au club ?
Le surf est hyper jeune et il manque un peu d’expérience. Et il n’y a pas encore beaucoup de surfeurs expérimentés. Donc, c’est dur de parler d’entraînement. Mais il y a de plus en plus de jeunes talents parce qu’ils ont des super conditions. Et puis, maintenant, ils ont un peu accès à Internet et à des vidéos. Ce qui n’était pas le cas lors de la première visite.
Du matériel, des belles vagues, des surfeurs motivés et, en plus, quelques vidéos YouTube et un accès à des exemples de surf. Il n’y a pas de raison qu’il n’y ait pas de bons surfeurs. Et ça commence ! Il y a des très jeunes qui commencent à être vraiment pas mauvais. Cette communauté de surfeurs libérienne suscite de plus en plus d’intérêt. Deux ou trois d’entre eux ont eu l’opportunité d’aller s’entraîner pendant une semaine au Sénégal ou de faire une compétition, de se mesurer à d’autres surfeurs, échanger, prendre des conseils. Ça, c’est un bon présage pour que de très bons surfeurs accèdent à un niveau international. Mais c’est très récent. On parle d’un spot où il y a cinq ans, il n’y avait même pas de matériel sur place.

Dans le film, une compétition internationale est filmée. Que représente-t-elle pour l’Afrique ? Et au niveau international ?
Cette compétition était assez spéciale, elle n’était pas organisée par le surf club ni la fédération de surf libérienne. À la base, elle fait un peu office de championnat du Libéria. Mais cette année, c’était une édition un peu spéciale, parce que Provide the Slide, l’association qui apporte des planches de surf dans plein de communautés de surfeurs en Afrique de l’Ouest, avait invité des partenaires de plusieurs pays d’Afrique à y participer. Mais elle ne faisait pas partie d’un circuit ou d’une fédération internationale de surf. Cela a permis aux jeunes de se comparer à d’autres surfeurs. Parce qu’à part des Occidentaux qui viennent surfer, les premiers très bons surfeurs qu’ils ont vus, c’était Damien et moi, du moins pour cette nouvelle génération de Libériens. Cela leur donne aussi l’espoir de devenir eux aussi des champions de surf.
Ce qu’il faut savoir, c’est que quelques mois après, a été organisée une vraie compétition de surf internationale dont la deuxième épreuve du tour a eu lieu à Robertsport. Une vraie compétition, avec un prize money. Samon, l’un des meilleurs surfeurs du pays, qui est dans le film, est allé en demi-finale. Il a gagné quelque chose comme 400–500 euros, ce qui est énorme pour un jeune Libérien de Robertsport. Cette somme lui a permis de se construire une cabane et de monter une petite épicerie. Grâce au surf, grâce à la compétition, il a pu monter un petit business et avoir un peu ses revenus de son côté !





Les filles pourraient-elles enfin jouer un rôle, malgré les difficultés qu’elles rencontrent, comme tu le montres dans ton documentaire ?
Évidemment que les filles ont un rôle à jouer dans la communauté, parce qu’à partir du moment où il se passe quelque chose, c’est important que des femmes y soient impliquées. Mais ce n’était pas du tout le cas il y a quelques années, parce qu’il manquait de matériel et d’opportunités de pratiquer. Aujourd’hui elles ne sont pas encore très nombreuses, environ 5–6 surfeuses régulières. Et c’est génial, parce que ça apporte vraiment un truc en plus à la communauté, et surtout aux femmes du village. Car c’est un pays où les droits des femmes sont encore un sujet plutôt compliqué. C’est clairement elles qui s’occupent de toutes les tâches ménagères, qui font tout pendant que les mecs se la coulent douce. Il y a beaucoup de viols, d’abus sexuels. Et puis beaucoup tombent enceintes très, très jeunes, à 15 ans, 16 ans. Elles se retrouvent maman et sans éducation, aspirées dans ce truc où elles vont travailler la journée après s’être occupées des enfants et de la maison.
Alors, clairement, pratiquer un sport comme le surf, un sport quand même spécial, réservé majoritairement aux occidentaux, c’est assez magique pour celles qui le peuvent, surtout dans un pays où les trois quarts des gens ne savent même pas nager. Cela leur donne une aura, une confiance en elles, et je pense que ça participe à l’émancipation des filles du village. Ces surfeuses sont vraiment toutes géniales. Notamment Faith qui étudie à Monrovia. Elle est vachement engagée écologiquement parlant. Elle, ça va être une super ambassadrice du surf, et même des femmes en général, parce qu’elle a du charisme. C’est une fonceuse ! Ces 5–6 surfeuses-là sont en train de montrer que les femmes ne sont pas seulement là pour s’occuper des hommes, des enfants et de la maison, et survivre, mais pour vivre et s’épanouir.
Penses-tu donner une suite en Afrique à ce film ?
Je ne sais pas vraiment. J’ai des idées concernant d’autres pays d’Afrique liées au surf, à certains challenges, notamment environnementaux. Mais ce ne sera pas pour tout de suite. Et ça n’aura rien à voir avec « We the surfers ».
Tourner un documentaire, c’est un projet toujours très lourd, sur tous les plans, comment gères-tu ça avec ta carrière de surfeur, au quotidien, mais aussi auprès de tes sponsors ?
Aujourd’hui, j’ai toujours des revenus avec le surf, mais j’ai aussi une carrière de filmmaker et de cinematographer qui en fait clairement partie, elle ne me demande pas de faire une sorte de parenthèse côté surf. Cette carrière de filmmaker nourrit ma carrière de surfeur et inversement : c ’est comme ça que j’arrive aussi à générer certains revenus. Il y a beaucoup de gens qui pensent que je passe mon temps à voyager, mais au final, j’en passe beaucoup derrière mon ordi à monter des dossiers ou à gérer de la post-prod. Donc c’est moins fun que ça paraît. Comme toujours, il y a Instagram versus reality, mais c’est quand même très cool !
Envie de soutenir le Robertsport Surf Club ?
Le Robertsport Surf Club, situé dans le village du même nom, est un projet sportif, social et économique porté par les surfeurs locaux. Son objectif principal est de mettre à disposition du matériel de surf, de gérer les planches apportées par l’ONG suisse Provide The Slide, de soutenir les jeunes du village à travers un programme de surf therapy, et de promouvoir le tourisme lié au surf afin de générer des revenus, de créer des emplois et d’offrir des opportunités à la communauté.
Vous pouvez soutenir l’association en faisant un don financier ou en donnant des planches de surf. Arthur Bourbon a lancé une collecte de planches entre l’Ile de France et Biarritz cet automne. Les boards seront ensuite acheminées au Libéria grâce à l’asso « Provide the slide ».