Plonger d’une falaise en simulant un plat depuis une hauteur pouvant atteindre une quarantaine de mètres… c’est le døds, ou plongeon de la mort, une discipline née dans les années 60 en Norvège, dans laquelle le Français Côme Girardot, 23 ans, s’est imposé comme l’un des meilleurs au monde. Ce week-end, il fait partie des grands favoris sur l’une des étapes du championnat du monde, organisée à Saint-Rome-de-Tarn, dans le cadre des Natural Games. Une première en France, qu’il a bien l’intention de gagner. En jeu ici ? Le gainage, l’expérience, le mental mais aussi le style, explique cet accro à l’adrénaline, passé pro dans une discipline qu’il verrait bien inscrite aux JO.
Le 7 octobre dernier, Côme Girardot sautait de falaise de La Cimbarra, dans le sud de l’Espagne, devenant ce jour-là recordman du monde du plus haut døds. Hauteur ? 44,3 mètres. Vitesse ? 106 km/ h. De quoi ajouter un quadruple titre mondial à son CV. Mais avant-hier, son record est tombé, nous raconte-t-il depuis l’Aveyron, où il s’apprête à participer de jeudi à samedi à l’une des étapes de la coupe du monde døds, une première en France.
La nouvelle marque est désormais 48,7 mètres. Pas de quoi vraiment l’ébranler. « Mon objectif, c’est d’être champion du monde », dit-il. « Je voulais être recordman du monde et champion du monde en même temps. Mais bon, ça a capoté. Mais ça va, c’est quelqu’un de bien, qui représente bien le døds et qui est vraiment passionné. Il ne fait pas ça pour les vues et pour le challenge. Il n’a pas grillé les étapes, il s’est bien préparé. Donc, vraiment, c’est mérité, et je suis content que ce soit quelqu’un comme lui et pas quelqu’un d’un peu random, aléatoire qui l’ait fait. C’est quelqu’un de la communauté. Alors, je vais continuer, et on verra si j’ai repris le record du monde un jour. Mais pour ça, il me faudrait un spot qui ait de l’âme, c’est important. Un spot magnifique et unique qui me parle. Je vais aux îles Féroé, bientôt. Peut-être que là-bas, je trouverai mon bonheur.
On l’aura compris, ceux qui pensent que l’univers du døds se limite à des plongeons toujours plus engagés devront réviser un peu leur jugement. C’est un petit peu plus subtil que cela, nous explique Côme attrapé au vol hier, entre deux sauts.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans ce type de plongeon d’après toi ?
Le plus difficile, c’est qu’il y a un certain esprit dans ce sport. En gros, techniquement, le but, c’est juste de donner l’illusion qu’on va faire un plat et d’atterrir sur les pieds et les poings en même temps. Mais ce qui est assez difficile, c’est qu’il y a une grosse question de style qui joue en l’air. Donc, tu peux, techniquement, faire un døds, mais sans en avoir l’esprit. Dans notre sport, c’est mieux d’avoir de la vitesse en sortant du saut. C’est mieux vu, et c’est ce qu’on est supposé faire quand on a de l’élan. On est supposé utiliser l’élan. Il y a deux types de døds. Le classique, et le freestyle. Le classique, à plat tout le long. Et le freestyle, c’est avec des figures.
Aux Natural Games, sur la coupe du monde, ce week-end, dans quelle catégorie va-t-on te voir ?
Le premier round, c’est freestyle. Le deuxième, classique. Et la finale, freestyle. On commence à 40, et il n’y en a que 10 qui arriveront en finale. J’avoue que pour moi, c’est la compétition de qualification la plus importante, parce que c’est la première officielle en France dans ce sport. En plus, il y aura un podium français et un podium général. J’aimerais bien être au moins premier Français, et gagner cette compétition aussi, parce que c’est chez moi, dans mon pays. Là, franchement, ça va être un peu France versus Norway.
Question style, qu’est-ce qui fait qu’on reconnaît ton saut ?
Je ne dois pas être le plus stylé, même si j’arrive à avoir une certaine aisance en l’air. Y compris sur de très grosses hauteurs. Alors que la plupart des dødsers sont très stressés. Ma spécialité, c’est les døds de hauteur. J’ai peut-être un côté dérision aussi, nonchalant, une manière amusante pour l’audience. Une nonchalance qui peut avoir plusieurs sens. Ça peut être interprété : « je m’en fous ! ». Ou comme :« je fais quelque chose de décalé par rapport à l’importance de la compète ». Aussi, je suis très brutal dans mes atterrissages et dans mon style. C’est comme ça que j’ai appris le døds, en autodidacte. En gros, il faut essayer de casser l’eau et être plus fort qu’elle à l’atterrissage pour ne pas se faire casser de soi-même. Il faut donc vraiment gainer le plus possible.
On a découvert, récemment, que des trapèzes développés te permettaient d’avoir une bonne protection en l’air pour les épaules. Plus tu es musclé, plus tu as de protection autour de ton ossature. Mais plus l’impact est « gros », parce qu’il y a plus de volume. Donc, il faut trouver le juste milieu. Mais en même temps, il y a des gens qui sont un peu plus frêles, et qui arrivent tout de même à dødser à 40 mètres. En fait, il faut être agile et avoir un million de muscles pour pouvoir encaisser de gros impacts.
Mon inspiration, mon idole ? Le Norvégien Emil Lybekk, que je regardais quand j’ai commencé, pendant le Covid. A l’époque, c’est lui qui avait le record du monde et qui avait le plus de style, en saut, mais aussi sur les réseaux.
Au-delà du style, reste le risque, et la barrière mentale, comment la surmontes-tu ?
Il faut s’habituer à la hauteur. Et surtout, il y aller palliers par pallier. Faut pas passer de 10 mètres à 20 mètres, si tu veux arriver plus confiant au bord de la falaise. Ensuite, moi, j’ai eu un préparateur mental l’année dernière, avant de commencer la saison. On fait de la visualisation, ça nous donne l’impression qu’on a de l’expérience dans ce saut, qu’on l’a déjà fait. Ca aide pour le mental. On a travaillé sur mes faiblesses, on les a améliorées. Là, j’ai à peu près le bagage qu’il me faut, mais on peut toujours aller plus loin dans la préparation mentale. Cela dit, il n’y a pas beaucoup de morts dans le døds. Il n’y en a eu que deux recensés. Car contrairement au BASE, par exemple, que je ne pratique pas, si on est prêt mentalement, techniquement et physiquement, on ne repose que sur notre corps, et que sur nos compétences personnelles. Alors que dans le BASE, il peut y avoir des problèmes avec la voile, le vent, un mauvais calcul de la falaise. Ça fait que pour moi le BASE est un peu plus dangereux que le døds.
Est-ce que toi tu as déjà eu des accidents en døds?
Oui, je me suis pris un plat à dos, à 25 mètres. Mais j’ai eu de la chance, j’ai rien eu. Enfin, c’est pas de la chance, c’est un peu la préparation aussi, parce que je suis préparé à ce genre d’impact. Je suis prêt à gainer et me protéger par mes muscles. C’est la seule protection qu’on a. Sinon, j’ai eu aussi un hématome à la main. Mais je ne me rate pas souvent parce que tout ce que je fais, je le visualise à fond. Je m’entraîne pour le faire. Et je ne le fais pas tant que je me sens pas prêt. Je suis prêt à reculer devant un saut si je ne le sens pas bien.
Avec 272 000 followers sur Instagram, plus de 53 000 sur ta chaîne Youtube, te sens-tu une certaine responsabilité au niveau de la sécurité de ceux qui pourraient vouloir t’imiter ?
C’est vrai que parfois, il y a des gens qui ont du mal à comprendre l’essence du sport, son esprit et la préparation nécessaire pour le pratiquer. Mais, ici en Europe, franchement, le message passe plutôt bien. Sur Youtube, on a des formats longs qui expliquent tout le temps les bonnes pratiques. Moi, j’ai fait un tutoriel pour dødser de la bonne manière. Je profite de toutes les occasions pour parler sécurité. Notamment quand j’ai des apparitions dans les médias : je rappelle qu’il y a de petites règles de base à connaître en saut de falaise :
- Ne jamais dødser tout seul au cas où il y aurait un problème.
- Toujours vérifier le fond avant de sauter, même si on connaît le spot, parce que les fonds marins peuvent changer.
- Ne jamais griller les étapes. Il faut y aller petit à petit et quand on se sent prêt. Ne pas passer de 20 mètres à 30 mètres d’un coup.
- Toujours regarder si tu peux remonter, car tu peux rester coincé dans l’eau.
Que ressens-tu pendant ton plongeon ?
J’ai l’impression d’avoir beaucoup plus d’adrénaline en moi quand je suis à plat, avant d’arriver dans l’eau. Parce que ce n’est pas du tout naturel : normalement, tu as envie d’arriver par les pieds. Dans ce sport, tu peux être beaucoup plus innovant parce que c’est encore un sport nouveau, tu peux vraiment inventer des figures, faire ton propre style. Te faire connaître rapidement. Il y a beaucoup d’innovations à amener encore. Tous les ans, on en a plein qui arrivent. Et, en l’air, les sensations… c’est juste une drogue ! Moi, par exemple, je me suis blessé une fois à ski et je n’ai pas pu dodser pendant six mois. J’avais un manque !
Tu pratiques depuis près de cinq ans et tu es pro aujourd’hui, comment as-tu vu évoluer ce sport ?
Quand j’ai commencé [pendant le Covid], en regardant des vidéos, on n’était que deux en France. Maintenant, on doit être 3 000- 4 000. Si tu vas en Méditerranée, dans un cas sur trois, sur les petites falaises, les enfants ou des jeunes, atterrissent en position døds, les pieds et les poings en même temps. Ce sport s’est structuré, il a sa fédération, je crois qu’on peut imaginer le voir un jour aux JO. Pour te donner un ordre de mesure assez parlant, pour moi, le døds, maintenant, est au même endroit que le skateboard ou le snowboard dans les années 80. Au début, c’était un peu polémique. Les gens n’aimaient pas forcément beaucoup. Mais c’est un sport qui a du potentiel. Tu n’as pas besoin de grand-chose pour le pratiquer. Juste besoin d’une hauteur et de l’eau à côté. Il peut être pratiqué partout, c’est gratuit et hyper accessible. Donc, à mon avis, il y a un moment où ça pourrait finir aux Jeux, ou aux Xgames par exemple – on a déjà un World Tour maintenant. Et d’après Fox News, c’est le sport extrême qui connaît la plus forte croissance du moment.
Photo d'en-tête : Joerg Mitter / VGan Chocolate- Thèmes :
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