Impossible de rester de marbre devant l’histoire de Pietro et Bruno, deux garçons que tout sépare, héros du roman initiatique de Paolo Cognetti, « Les huit montagnes » publié en novembre 2016. Ce récit enivrant, hymne universel à l’amitié sur fond d’Alpes majestueuses, récompensé par le prestigieux prix Strega en Italie et le prix Médicis étranger en France, a été adapté au cinéma par les Belges Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch. Auréolé du prix du jury du festival de Cannes 2022, il est aujourd’hui accessible en libre accès jusqu’au 22 juin.
Eté 1984. 14 personnes vivent encore à Grana, un hameau niché dans le Val d’Aoste italien, en plein coeur des Alpes. Bruno, 12 ans, le seul enfant, aide à la ferme et garde les vaches. Débarque alors Pietro, jeune Milanais du même âge venu passer les vacances dans un chalet loué par ses parents. Rapidement, les deux gamins parcourent ensemble les alpages, les forêts de mélèzes, les chemins escarpés et les sommets. Tous deux ont des difficultés relationnelles avec leur père et ils nouent peu à peu une véritable amitié. Par la suite, Pietro enchaînera les allers-retours entre la ville et les montagnes, non sans éprouver la nostalgie des cimes.
Après une séparation d’une vingtaine d’années, Pietro revient à Grana, son ultime refuge, pour tenter de se réconcilier avec son passé. Bruno, lui, est resté accroché à sa montagne où il tente obstinément de maintenir un mode de vie d’un autre siècle. Malgré leurs différences, chacun vit les mêmes apprentissages et les mêmes blessures, tentant de se construire un avenir, entre tâtonnements et drames avec pour seul vrai point d’ancrage l’amour viscéral des montagnes – la rudesse des éléments, véritable catalyseur aux changements de leurs états d’âme. Un roman initiatique poignant, dont l’intrigue, très simple, tire son épaisseur de ses personnages.
« Peut-être que la grande différence est que Pietro est le fils de la ville, des livres, de l’ère postmoderne dans laquelle nous avons grandi. C’est un petit garçon qui a grandi avec une grande distance par rapport à la réalité des choses » explique Paolo Cognetti, l’auteur. « Nous sommes nombreux à avoir eu un rapport à une réalité toujours médiatisée – nous n’avons pas vu les bois, mais des films qui se déroulaient dans les bois. Nous n’avons pas vu la montagne, nous avons vu Heidi et les dessins animés où la montagne était représentée, etc. Pour moi, la découverte de la réalité des choses – le tronc d’un arbre, l’eau d’un ruisseau, toucher une pierre qui se réchauffe au soleil – est venue plus tard. Pour quelqu’un comme Bruno, en revanche, c’est le monde dans lequel il est né et a grandi et auquel il appartient. Le monde du concret. Pietro est un très bon garçon à l’école, il a d’excellentes notes. Bruno a échoué en sixième. Pourtant celui des deux qui sait les choses et les apprend à l’autre n’est pas Pietro mais Bruno. Bruno est le professeur, Bruno a tellement de choses à apprendre à son ami. Et cela provoque aussi une autre énorme différence dans leur vie d’adulte… car Pietro reste une personne qui ne peut s’enraciner nulle part. Au lieu de cela, Bruno est quelqu’un qui sait dès le début où il appartient. Il appartient à cette montagne. Et personne ne le sortira jamais de là », poursuit Paolo Cognetti.
Auteur milanais exilé dans les montagnes du Val d’Aoste, l’auteur, spécialiste de la littérature américaine, livre dans ce roman, récompensé par le prestigieux prix Strega en Italie et le prix Médicis étranger en France, une splendide ode à la nature, à la croisée des chemins entre Jack London, Jim Harrison et du héros de Mark Twain, Tom Sawyer. Le tout avec dans écriture légère et poétique.
« Je suis né et j’ai grandi à Milan, de parents immigrés venus d’ailleurs. Je me souviens de ces étés à la montagne. Pour eux, c’étaient comme un retour aux lieux qu’ils avaient abandonnés pour venir en ville et, pour moi, une belle découverte », explique Paolo Cognetti. « Une montagne que j’ai ensuite abandonnée dans mon adolescence et que j’ai failli oublier, ensevelie sous d’autres expériences. Je l’ai ensuite redécouvert après trente ans. Et je suis allé y vivre une bonne partie de l’année. Aujourd’hui, je vis à moitié à la montagne, à moitié en ville. ‘Les Huit Montagnes’ est une histoire qui suit plus ou moins ces mouvements. Mais ce n’est pas une autobiographie ».
Article publié le 22 décembre 2022, mis à jour le 10 juin 2025.
Photo d'en-tête : Les Huit Montagnes