Giovanna Petrucci, Brésilienne de 22 ans, est à l’image d’un sport aussi exigeant que méconnu. Immensément respectée dans l’univers encore très intime des slackers, elle affiche une incroyable technique et une modestie inébranlable. Bref, à Outside, nous sommes tombés sous le charme. Et nous ne sommes pas les seuls. En septembre, elle rejoint la troupe du Cirque de Paname, dans la capitale. L’occasion pour les Français de découvrir une surdouée qui a oublié de se prendre au sérieux.
« Tu vas rencontrer Giovanna, vraiment ??? ». Le gosse n’en revient pas. A sept ans à peine, il fait déjà partie des fans qui jalonnent le chemin de Giovanna Petrucci. De la plage d’Ipanema – son terrain de jeu à Rio depuis l’enfance – jusqu’à Millau, où Outside l’a interviewée il y a quelques jours lors des Natural Games, rendez-vous de la crème du sport extrême.
Membre de la pro team Gibbon, c’est sur le spot de la marque, tout près de la rivière, qu’elle nous a donné rendez-vous. L’ambiance est chaude, une battle est lancée entre les slackers rivalisant de prouesses. Brésiliens, Colombiens, Français se succèdent sur la sangle installée à moins de deux mètres de l’épais tapis. Pas de compétition en ce début d’après-midi écrasé de chaleur. Ici on slacke pour le plaisir, sous les commentaires experts en portugais ou en espagnol, les rires et les applaudissements. Giovanna est ici une star mais elle s’en fout. C’est loin d’être le plus important à ses yeux.
« J’adore venir à Millau », explique-t-elle. On y rencontre plein d’athlètes et plus que la compétition, c’est l’amitié qui prime. On rivalise sur la slack, c’est le jeu, mais on veut surtout s’entraider entre potes, partager notre expérience, échanger nos « trucs ». Ça, c’est l’esprit de la slack, vrai partout dans le monde. C’est ce que nous, les slackers ont appelle la « slacklife ».
La « slacklife », Giovanna y tombe dedans, ou plutôt y grimpe, à 13 ans. Elle n’en redescendra plus. Originaire de Rio, elle a grandi à trois rues de la plage d’Ipanema. C’est là qu’elle voit sa première slack. En reste bouche bée. Demande à essayer, elle aussi. Et ne la quitte qu’une fois parvenue à rester en équilibre dessus. La fille sait ce qu’elle veut. Et ce qu’elle veut c’est recommencer, tout de suite, souvent, toujours en fait. Essayer, tenter, aller toujours plus loin, plus fou, plus périlleux. Elle apprend en regardant ceux qui pratiquent sur la plage mais aussi en décortiquant les videos YouTube de stars d’une discipline encore balbutiante.
Elle apprend vite : front flips, back flips, fall flat sur la sangle de cinq centimètres de large, torse parallèle au sol. Giovanna devient la première femme à exécuter le “fearless,” (« sans peur »). A ce niveau-là, les sponsors arrivent, les voyages s’enchainent dans le monde entier. Sans surprise, elle remporte le Slackline Masters, en 2016, devenant ainsi la meilleure slackliner féminine au monde, une référence dans cette discipline mimaliste, née de l’escalade dans les années 1980. « Depuis, la slack a évolué pour ressembler davantage à la gymnastique « , dit Giovanna. « Mais ce n’est pas de la gymnastique. Nous, nous n’avons qu’une sangle. Il faut de l’équilibre, de la concentration et de la force, surtout la force de base, et aussi beaucoup de créativité. Certains verraient bien la slack arriver aux JO, mais non, ça la rendrait trop formelle, trop standardisée.
Tu vois, la slack, c’est de l’art. On exprime beaucoup de choses quand on monte sur la sangle. Tout ce que tu ressens y ressort. Les gens voient tout de suite dans quel état d’esprit tu es, si tu es calme, quand tu rayonnes. Tu te hisses et tu laisses parler ton corps. Quand tu es triste, la slack évacue ta tristesse. Mais c’est dur aussi. Ton corps y est malmené, ton dos, entre autres. Mais si tu veux progresser, t’améliorer au niveau professionnel il te faut travailler dur. C’est une lutte perpétuelle contre toi-même, contre ta peur. S’élancer depuis la slack, c’est tout un travail mental. Chacun a son style. Le mien ? Je suis comme un oiseau, j’adore voler. C’est dans les airs que je me sens le mieux. Pas facile, mais c’est un défi. Et j’adore les défis. »
Sur ce, Giovanna, qui n’a cessé de garder un œil sur la battle en cours, applaudit une figure particulièrement audacieuse. Elle m’explique : « là, tu vois, chacun ajoute quelque chose à chaque passage, histoire de corser l’affaire ». D’un geste, ses potes l’invitent à se mesurer à la dernière performance. « Pas sûre d’y arriver … » dit-elle avant de se lancer à son tour.
Premier essai. Arrêt, réglage de la tension de la slack. Giovanna est petite et incroyablement musclée, la seule femme dans la course cet après-midi-là. Deuxième essai, et elle s’élance. Giovanna n’a pas menti : elle vole. Gracieuse, légère, les bras comme des ailes, rebondissant sans fin sur l’étroite sangle comme si ses bras, jambes et dos n’étaient pas meurtris, comme si un souffle venu du sol la propulsait sans fin vers le ciel. Sifflets appréciateurs, applaudissements. Dans l’assemblée, on apprécie le style. Il est vrai que si les passages précédents rivalisaient de technique et d’audace, la démonstration de Giovanna témoigne d’une remarquable maîtrise technique combinée à de la grâce. L’influence du cirque peut-être, la deuxième famille que la Brésilienne s’est choisie depuis quatre ans.
« J’étais sur la plage, quand des gens de Dubaï m’ont appelée », se souvient-elle. Ils m’ont proposé de travailler dans le spectacle. Un contrat de quatre ans. J’avais 18 ans, j’ai signé ». Elle fera 540 spectacles dès la première année. « C’était trop, je n’en pouvais plus » explique-t-elle. Lassée de Dubaï, mais pas du cirque, Giovanna vient de signer avec le Cirque de Paname, installé au cœur de l’hippodrome de Longchamp, près de Paris. « J’adore découvrir de nouvelles choses, et au cirque, tu apprends la chorégraphie », raconte-t-elle, tu peux aussi aller plus loin encore au niveau technique. J’adore, je suis « bendita », bénie de Dieu !
Son prochain défi pourrait-il être la highline, version plus extrême encore de la slack ? « Non, j’ai essayé, mais j’ai trop peur », avoue celle qui se joue tous les jours de l’apesanteur avec le sourire.
Photo d'en-tête : Philippe Freudigmann