« Je n’ai jamais vu d’expé aussi tendue au niveau relationnel » , confie, un peu amère, Jackie Paaso. Un aveu douloureux pour cette habituée du Freeride World Tour, devenue productrice pour les besoins d’ARTIC 12 , documentaire sur l’ascension des douze sommets les plus hauts de Suède. Mauvais temps, difficultés techniques… l’athlète américaine de la team Scott avait pourtant tout envisagé pour cette aventure à quatre. Enfin presque. De sa traversée de plus de 400 km dans le grand nord sauvage suédois, elle a tiré un long métrage courageux abordant la difficile alchimie des relations humaines, un sujet qui rappellera plus d’un souvenir à beaucoup d’entre nous.
En avril 1938, Colin Wyatt et Bobby Allen-Tuska entreprennent d’explorer à ski les vastes contrées sauvage suédoises. Leur périple, relaté dans « l’Alpine Journal« , fascine plus d’un skieur, à commencer par Jackie Paaso, qui 83 ans plus tard, le 4 avril 2021, entreprend de revenir sur leurs pas. Mieux, elle compte ajouter un sommet à la liste des onze cochés par le duo Wyatt/Allen-Tuska : « Jusqu’en 2016, on pensait qu’il n’existait que onze sommets de plus de 2000 mètres en Suède », lit-on sur son site. « Lorsque la Suède entreprend de remesurer ses montagnes, on découvre que le pays en compte douze. S’y ajoute en effet le Sielmatjåkka, atteignant tout juste les 2004 m ». On constate également que suite au réchauffement climatique, le plus haut sommet du pays, le sommet nord du Kebnekaise, a dépassé le sommet sud. « Couvert de glaciers, le Sydtopp de Kebenekaise a perdu 24 mètres au cours des 50 dernières années et en moyenne plus d’un mètre par an au cours de la dernière décennie ».
L’ascension de douze sommets, et non plus onze, rallonge sensiblement le parcours d’une grosse centaine de kilomètres. De quoi corser encore le défi de Colin Wyatt et Bobby Allen-Tuska, mais pas de quoi décourager Jackie Paaso qui depuis quelques année planche sur un gros projet d’expédition. « En fait, mon plan initial prévoyait une expédition en Alaska avec une autre équipe et une approche légèrement différente », explique-t-elle à son retour. « Malheureusement, en raison de problèmes d’autorisations, puis de la pandémie, nous avons dû changer de lieu. Les 12 plus hauts sommets de Suède – Balgattjåhkkå, Bårddetjåhkkå, Sarektjåkkå (Stortoppen, Nordtoppen, Buchttoppen, Sydtoppen), Áhkká, Kebnekaise sud et nord, Kaskasatjåkka, Gaskkabakti, Šielmmáčohkka – se sont alors imposés comme le nouvel objectif. Lorsque cette décision a été prise, nous n’avons eu que deux mois pour nous adapter et nous préparer. Cela signifiait que de nouveaux membres de l’équipe, un équipement différent et des défis logistiques devaient être rapidement relevés. Et une fois partis, nous avons dû continuer à nous adapter aux conditions de neige et de météo difficiles. », précise-t-elle. Résultat, « ça ne s’est pas du tout passé comme je l’imaginais ».
Il faut dire que pour cette expédition, doublée d’un tournage, elle voit grand. Jackie compte profiter des longues journées de printemps (16 à 20 heures de jour) pour explorer « certains des terrains les plus beaux, les plus accidentés et les plus intacts de toute l’Europe », expliquait-elle à la veille du départ. «Tout au long de notre voyage, nous serons à la recherche de certaines des meilleures descentes à skis, et peut-être des moins connues, que les montagnes scandinaves ont à offrir. »
Pour ce programme alléchant mais ambitieux, elle réunit une équipe solide. Outre son compagnon, le suédois Reine Barkered – comme elle un habitué du Freeride World Tour mais dont c’est la première expédition – elle convainc son amie, l’Américaine Erin Smart, guide qu’elle connait depuis 2014, vivant à La Grave avec Benjamin Ribeyre, guide lui aussi. Suivant le plan patiemment établi par Jackie et Reine, l’équipe part le 4 avril de Kvikkjokk, direction Nikkaluokta, près de 220 kilomètres plus au nord. Son objectif : une traversée de plus de 400 kilomètres en ski-pulka dans le grand nord sauvage suédois, de Kvikkjokk à Nikkaluokta en passant par les parcs nationaux de Sarek et de Stora Sjöfallets.
Leur équipement : des skis de fond (très large) pour les sections plates, des skis de rando (Superguide Freetour), des boots (Freeguide Carbon), des sacs de 35 litres (Mountain 35 pack), et des pulkas dont le poids oscille entre 46 kg et 60 kg, selon les skieurs. Ils sont bien équipés, mais rien ne leur sera épargné. Au fils des jours, le risque d’avalanche restera élevé et les conditions de ski seront loin d’être parfaites. Le mercredi 28 avril, à l’issue de 26 jours, 415 kilomètres et 13 750 mètres de dénivelé, l’équipe atteindra son douzième et dernier sommet : Sielmmacohkka. Elle n’en aura skié que neuf. La faute à la neige… ou à l’organisation ? Attisées par les frustrations, très vite les tensions montent. Entre Jackie et Reine, son compagnon, divergeant sur la stratégie d’approche et la gestion des risques. Mais aussi entre Jackie, responsable de l’expédition et du tournage, et un Benjamin impatient d’en découdre.
Bref, le ton monte et les jours s’enchainent sans que jamais il ne retombe vraiment. Un scénario pas si inhabituel, raconteront ceux qui ont participé à de longues et souvent complexes expéditions en montagne, mais que l’on voit rarement abordé en documentaire. Et c’est sans doute l’une des grandes forces de ce film de 60 minutes : montrer l’envers du décors et pousser les quatre membres de l’équipe dans leurs retranchements à l’heure de faire le bilan. Un pari risqué, mais nettement plus intéressant que les tableaux quasi idylliques que donnent trop de documentaires. Au point qu’on en oublie presque, explique l’alpiniste et photographe Anette Anderssson interviewée dans le film, que « au vu des problèmes de désaccord, ce qu’ils ont réussi est presque héroïque ! ».
Jackie Paaso, athlète et productrice exécutive d’ « ARCTIC 12″ : « Nous avons décidé de parler vrai »
Dans le film, le groupe est très honnête à l’heure d’évoquer les problèmes rencontrés au cours de cette expédition. Était-ce une décision difficile à prendre ?
Oui et non. Au sein du groupe, nos avis divergeaient sur la façon d’aborder cette question. Ceux qui y avaient participé étaient peut-être un peu plus prudents que l’équipe de production qui a suivi l’expédition de loin. Nous voulions être prudents, mais aussi « vrais ». Lors d’expéditions, ce type de problème n’est pas rare, mais il est rare que les gens montrent ce côté de l’histoire. Mais, plus nous y avons réfléchi, plus nous étions convaincus que nous devions être honnêtes.
Les dernières scènes montrent le groupe en train de réfléchir sur les hauts et les bas de l’aventure.Plus de six mois plus tard, comment vois-tu les choses ?
Les mois ont passé, mais cette expérience m’a hanté plus d’une fois depuis. Je suis très fière que toute l’équipe soit arrivée au bout malgré les difficultés, mais j’aurais aimé que nous puissions mieux avancer ensemble. Quand j’y repense aujourd’hui, j’ai un encore un goût un peu amère.
Malgré les difficultés, quel effet cela fait-il d’avoir atteint votre objectif : gravir les 12 sommets de plus 2000 mètres de Suède ?
Je suis très heureuse que nous ayons réussi cette partie du projet. C’était un objectif de grande envergure et, malgré les difficultés, nous avons réussi à accomplir la plupart des tâches que nous nous étions fixées, c’est une grande satisfaction.
Dans le film, tu dis que « la véritable aventure commence lorsque les choses tournent mal » ? Qu’est-ce qui a permis à tout le monde de continuer malgré les tensions ?
Je ne sais pas très bien. J’étais terrifiée à l’idée qu’à tout moment un ou plusieurs membres du groupe puissent décider de décrocher. En ce qui me concerne, seule une blessure grave aurait pu m’en convaincre, tant j’étais impliquée dans l’aventure. Mais je suppose que les autres auraient pu abandonner à tout moment; surtout vers la fin, lorsque nous nous sommes rapprochés de la civilisation. Je suis vraiment heureuse que cela ne se soit pas produit, et je félicite tout le groupe d’avoir tenu bon tout au long de la course.
Reine et toi êtes tous deux des skieurs professionnels, mais dans le film, tu racontes que vous n’avez pas fait beaucoup d’expéditions de ce type ensemble. Comment avez-vous géré ça ?
Les quatre premiers jours ont été difficiles pour nous en tant que couple. Le deuxième jour, j’ai eu une journée très dure et je me suis un peu appuyée sur lui. J’ai remarqué, au troisième ou quatrième jour, qu’il était fatigué, je pense que c’était dû en grande partie au fait que c’était sa première véritable expédition. A un moment, j’ai eu peur qu’il ne s’adapte pas. Moi, je m’en sortais mieux, mais peu de temps après, il a trouvé son rythme et il s’est vraiment senti à l’aise malgré l’inconfort qui peut accompagner les expéditions hivernales. Au final, c’était génial. Il y a eu quelques frictions de temps en temps, c’est vrai, mais au final c’était un énorme bonus de l’avoir à mes côtés.
Partis en autonomie, exposés à des conditions météos incertaines, quels choix de matériel avez-vous dû faire, compte tenu des contraintes de poids ?
En Suède, il y a beaucoup de montagnes. Mais les approches entre deux sommets sont souvent longues et plates. C’est pourquoi nous avons décidé d’utiliser des skis de randonnée nordique. C’est une pratique courante dans cette partie du monde. Cela nous a permis de prendre les skis de randonnée de notre choix; la majorité de l’équipe a choisi le SCOTT Superguide Freetour. Pour les sacs à dos, nous avons opté pour le SCOTT Mountain 35.
Le documentaire montre certaines des difficultés du tournage. Quels sont les plus grands défis sur un film de ski ?
La neige : la qualité de la neige et la sécurité. Bien sûr nous rêvions tous d’une poudreuse stable, mais malheureusement, ça n’a pas toujours été le cas. Nous sommes partis 26 jours, mais la plupart du temps, nous avons dû composer avec une neige instable ou de mauvaises conditions.
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