Le 11 avril, le guide de haute montagne de Morzine – Les Gets s’élançait en ski BASE jump depuis l’aiguille de l’Amône, dans le massif du Mont-Blanc : une ouverture, mais surtout l’aboutissement d’un vieux rêve, patiemment préparé, nous confie-t-il.
Guide, fils de guide également moniteur de parapente, Christophe (Chris) Tricou, 36 ans, est originaire de Morzine – Les Gets, où il est basé. Multicasquettes, il est passionné de glisse et de tout ce qui vole, du snowboard au BASE jump, en passant par le wingsuit. Mieux encore, le ski-BASE-jump, commencé à Avoriaz, et qui l’a inspiré pour s’attaquer le 11 avril dernier à un saut depuis l’aiguille de l’Amône surplombant La Fouly, dans le val Ferret, en Suisse. Un saut de dix minutes, pour lequel toutes les planètes étaient parfaitement alignées, dit-il.
« Ce saut depuis l’aiguille de l’Amône, ça fait super longtemps, que j’ai dans l’idée de le faire. Depuis que je suis passé à plusieurs reprises au-dessus, en parapente. Pour moi, c’est l’une des aiguilles, l’un des sommets, les plus esthétiques du massif, avec sa face nord-est qui est une magnifique pente pour skier. Exactement juste à côté, il y a cette magnifique falaise, le spot parfait pour sauter. Donc, j’avais ça dans la tête depuis un petit moment. Et puis, après la ligne de Jérémie Heitz… c’est vrai que ça m’a encore plus donné envie [ le skieur suisse s’est élancé dans la face, cochée dans sa fameuse « Liste« ]
« Je fais tout mes repérages à pied, pas en hélico »
Mais c’est jamais hyper évident de trouver les bonnes conditions, que ce soit de neige ou de vent, parce qu’il ne faut vraiment pas avoir de vent. Ensuite, ça demandait pas mal d’anticipation et de préparation, car personne n’avait jamais fait ça. Il faut passer du temps, pour être certain que le projet est faisable. Moi, je ne fait pas de repérages avec un télémètre depuis le patin de l’hélico, comme certains le font. Ce n’est pas du tout ma manière de faire. Tout ce que je fais, je le fais à pied. Alors j’ai fait plusieurs survols à parapente. J’ai pris des vidéos. Ça m’a donné des idées, et ça m’a conforté dans l’idée que c’était possible de sauter là-bas. Mais bon, il faut vraiment être sûr de soi. Je ne me balance pas dans un saut si je n’ai pas la certitude que le dévers est assez bon. Que je n’ai pas, sur les côtés, des piliers qui pourraient me gêner. Ou encore des cailloux à l’endroit de l’exit, là où je vais sauter.
Ce vendredi 11 avril, c’était une journée parfaite, la meilleur journée. il n’y avait pas du tout de vent en altitude. Du coup, Antoine Péché et Eric Jamais ont ouvert l’aiguille verte en wingsuit. C’était idéal pour faire un peu tout ce qui est possible en pratique aérienne.
Je suis parti au matin depuis les Grands Montets jusqu’au fond du bassin d’Argentière, un peu en face du Dolent. Là, on monte par son couloir sud-ouest qui donne accès à un petit collu. Ensuite, on part sur une petite course d’arête, sur une centaine de mètres. Et on arrive à la pente qui donne accès au sommet de la pointe de l’Amône.
J’étais avec un ami qui filme. Mais lui n’est pas allé jusqu’en haut avec moi. Il s’est arrêté avant le sommet pour pouvoir tourner en drone. Je lui ai laissé du matériel à redescendre sur les Grands Montets et Argentière. Avec moi, j’ai juste emporté du matériel pour monter au sommet et un petit drone pour pouvoir reprendre des informations sur l’endroit exact où sauter, et avoir l’axe et la direction pour prendre ma vitesse et pouvoir m’extraire de la face.
« Une sensation extraordinaire au moment où je sors de la face ! »
Dans l’après-midi, j’étais au bout de cette petite arrête, juste avant le saut. J’ai sorti mon petit drone et fait quelques repérages, ça m’a vraiment conforté. C’était super, vraiment pratique : j’ai pu voir exactement l’angle, l’endroit exact, où j’allais sortir avec mes skis, et l’axe à prendre pour avoir la sortie parfaite, qui était exactement dans le Grand Combin, ça me faisait un bon repère visuel.
J’ai un parachute tout simple, plié glisseur bas, et mes bâtons. Donc, je me suis élancé un peu dans la face. La neige n’était pas mal au début, mais au fur et à mesure que j’avançais et me rapprochais de la droite de la face, elle devenait hyper dure. Là, je me suis félicité d’avoir fait mes carres la veille ! Chose que je fais très rarement, voire jamais. Mais comme c’est un projet que je préparais depuis longtemps, j’ai fait les choses plutôt bien jusqu’au bout.
J’étais donc super content, d’autant qu’il y avait des patches de glace dans la face (…). Je pensais faire trois courbes dans de la bonne neige, et puis m’extraire avec de la vitesse. En fait, j’en ai fait plutôt 6-7, des virages tranquilles. J’ai pris mon temps. Et puis, juste avant de prendre ma vitesse et mon élan, j’ai mis mes deux bâtons dans la main gauche, vu que j’ai la poignée pour extraire mon parachute au niveau de la droite. J’ai pris ma vitesse, je me suis lancé, ça se passait super bien !
Au moment où je suis sorti de la face, où j’étais en l’air, j’ai eu une sensation extraordinaire. Jusque-là, je n’avais pu que m’imaginer ce moment-là, d’après ce que j’avais vu sur mon drone, ou depuis mon parapente. Donc là, d’avoir la réalité… je me suis dit : waouh, c’est magique !
Y avoir consacré du temps fait partie du plaisir
Je suis content d’avoir pu réaliser ce projet avec mes propres moyens, et de l’avoir mené jusqu’au bout. C’est quelque chose que j’avais sur des listes à faire depuis un petit moment. Donc, là, je suis super heureux.
J’ai volé jusqu’au village de la Fouly qui se trouve tout en bas. C’est assez rare de faire un saut sous voile en BASE jump aussi long, tu voles quasiment 10 minutes, tellement t’es haut là-haut et qu’il il faut rejoindre le fond de la vallée. Je me suis posé en bas et je suis rentré en stop. Tout s’est bien passé. C’était parfait : depuis le début, dans mon imagination, les repérages, la réalisation, et le retour en stop. C’est ce qui fait que j’en tire un plaisir aussi important : le fait que ça m’ait pris du temps, et que ce ne soit pas quelque chose qui se fait tous les jours, de si facile »
Photo d'en-tête : Christophe Tricou- Thèmes :
- Base Jump
- Mont-Blanc