Ce biketrip hivernal de 28 jours, c’est le dernier défi de Joffrey Maluski, jeune photographe français qui a de la suite dans les idées. Deux ans plus tôt, il roulait déjà en Islande en compagnie de deux potes, Katia et Léo-Paul. 3627 km et 24 140 D+, ce n’était pas rien à l’époque, mais presque une partie de plaisir comparé à ce qui l’attendait en mode solo sur la Terre de feu et de glace, au plus froid de l’année. De ce nouveau périple, il a tiré un petit film de 18 minutes sans prétention, comme un carnet de route, en attendant la sortie d’un beau livre bien costaud, à paraître bientôt.
Dans le petit monde de l’aventure, il y a les pros qui ramènent dans leurs bagages des records de vitesse, d’endurance, des premières aussi et, le plus souvent maintenant, de grosses productions photos ou vidéos très léchées dont raffolent les festivals. Et puis, ces voyageurs sans sponsors, ou si modestes, dont le premier défi sera de trouver le temps et l’argent pour partir la première fois. Au retour, ils seront vite conscients que ce premier périple, aussi modeste soit-il, n’est que le début d’une liste sans fin, source de bonheurs et de milles galères aussi. Ceux-là nous ressemblent un peu et c’est sans mal qu’on s’imagine leur emboîter le pas.
Joffrey Maluski fait partie de cette catégorie. Enfin pour l’instant. Car à voir grossir doucement ses carnets de voyages – un road trip de deux ans, du Canada au Guatemala, du bikepacking dans les Alpes et les Pyrénées, sans parler des 200 km parcourus entre la source de l’Adour et Anglet sur un canoë constitué de 1000 bouteilles de plastique. …- il pourrait glisser un jour dans les « pros ». Même s’il reste plus chasseur d’émotions que de records, comme il le raconte dans le film de 16 minutes qu’il vient de tirer de sa dernière aventure en Islande. Son but cette fois ? Tracer une ligne à travers la neige, de Seydisfjordur à l’extrême est, à Bjargtangar à l’extrême ouest, passant au nord des trois grands glaciers de l’île (Vatnajökull, Hofsjökull et Langjökull). Un parcours de 1000 km entamé fin février 2023, qu’il a bouclé en 28 jours, de quoi générer des centaines de photos à retrouver sous peu dans un beau livre illustré, encore en gestation sur la plateforme Ulule. Un exploit personnel, pour ce voyageur encore ébloui par la beauté d’une terre aussi belle qu’intraitable : « Les fjords, c’est toujours un combat mental », dit-il. De quoi nous donner envie d’en savoir plus.
Comment as-tu préparé ton itinéraire ?
J’avais cette idée en tête depuis longtemps, mais j’ai commencé à planifier le projet en détail au mois de juillet, pour un départ prévu fin février. Pendant ces mois de préparation, j’ai peaufiné chaque aspect de mon itinéraire, avec l’avantage d’avoir déjà traversé les Hautes Terres d’est en ouest durant l’été 2021. J’ai étudié les cartes sur Komoot et Google Maps Satellite pour repérer les rivières, les cabanes et anticiper des itinéraires de secours au cas où il serait nécessaire de contourner une rivière trop dangereuse ou de quitter les Hautes Terres plus rapidement.
Quels équipements spécifiques as-tu emportés pour affronter le froid ?
Je me suis équipé du meilleur matériel possible pour affronter les tempêtes de neige, le froid intense, les vents violents, et être autonome durant ces 28 jours et 1000 km. La plupart de l’équipement avait été testé avant l’expédition pour avoir une totale confiance en lui. J’ai opté pour un fat bike équipé de pneus cloutés de 4,5 pouces et une pulka, un traîneau léger qui ressemble à une luge, ce qui m’a permis de décharger le vélo pour rouler la neige. Mon équipement comprenait une tente d’expédition polaire, un sac de couchage -30 °C, un réchaud à essence, une salopette de pêche pour traverser les rivières au sec, un piolet pour m’en sortir, et de quoi réparer tout mon matériel. Certains équipements étaient doublés, comme mes gants, mon téléphone satellite et ma lampe frontale. Ce qui a été le plus compliqué, c’était de faire un choix dans le matériel pour avoir tout ce dont j’avais besoin tout en maintenant un poids acceptable. Mon vélo pesait 78 kg au départ.
Quels ont été les plus grands défis rencontrés pendant ton voyage ?
Il y a eu quatre principaux défis : les rivières à traverser, la neige fraîche et dénivelé dans les montagnes au nord du glacier Vatnajökull, le froid intense (-21°C au thermomètre) au cœur de l’Islande, puis une tempête de vent au nord du glacier Langjökull. Mais ce sont des difficultés auxquelles je m’attendais et pour lesquelles je m’étais préparé afin de les aborder avec le plus de sérénité possible.
À quoi ressemblaient tes journées, du lever au coucher ?
Mes journées commençaient vers 7 h 30 ou 8 h, et il me fallait environ 1 h 30 pour quitter le confort du duvet, prendre un petit-déjeuner chaud et ranger tout mon matériel. Une fois sur le fatbike, la journée était dictée par le terrain et les conditions météo. Pédaler sur la neige exigeait une attention constante pour choisir la meilleure trace et ajuster mon effort. Lorsque la neige devenait trop profonde ou que les pentes étaient trop raides, je devais pousser le vélo. Il m’est même arrivé, une journée, de charger le vélo sur la pulka pour avancer. Les pauses étaient courtes, juste le temps de grignoter une barre ou boire, pour éviter de rester immobile trop longtemps dans le froid. J’accordais aussi beaucoup de temps à la capture d’images et de vidéos, que ce soit avec ma caméra sur trépied ou en pilotant mon drone. En fin de journée, je cherchais un endroit pour monter ma tente avant la tombée de la nuit. Une fois installé, je faisais fondre deux à trois litres de neige pour reconstituer mes réserves d’eau, préparer le dîner et me mettre à nouveau au fond du duvet.
As-tu eu des moments où tu as envisagé d’abandonner ?
Le moment le plus difficile a peut-être été au nord du glacier Vatnajökull. Les conditions étaient rudes : visibilité réduite, neige profonde, et de longues portions où je devais pousser le vélo. À ce moment-là, je me suis dit que si toute l’Islande allait ressembler à ça, ça allait être long et éprouvant. Mais je n’ai jamais envisagé d’abandonner. Dans une aventure comme celle-ci, il y a des hauts et des bas chaque jour. Quand un moment difficile survient, il faut savoir patienter, trouver de la joie dans les petites choses, prendre le temps d’admirer le paysage qui nous entoure, se rappeler pourquoi on est là et qu’on a les compétences pour surmonter ces épreuves. Ces phases, aussi éprouvantes soient-elles, restent temporaires. Et même lorsque tout va bien, il est essentiel de garder en tête que cela peut changer. Éviter l’euphorie et rester lucide pour être prêt à relever les défis suivants, avec résilience et adaptation.
Comment as-tu géré l’approvisionnement en nourriture et en eau ?
Je suis parti avec 23 kg de nourriture et 3 L d’essence pour le réchaud. Chaque matin et soir, je consommais un plat lyophilisé auquel j’ajoutais de l’huile d’olive pour augmenter l’apport calorique, indispensable face aux températures extrêmes. Pendant la journée, je privilégiais les barres énergétiques et les fruits secs, afin de limiter les pauses dans le froid et de rester en mouvement. Mon rituel matinal comprenait un chocolat chaud (mélange de poudre de lait entier et de cacao) pour démarrer la journée sur une note réconfortante. Le soir, avant de me coucher, je m’accordais un petit plaisir en grignotant du chocolat.
As-tu croisé d’autres voyageurs ou habitants, malgré les conditions extrêmes ?
Il y avait bien un Italien, Lorenzo Barone, qui traversait l’Islande du Sud au Nord, et un Français, Gabriel Ferry, qui faisait aussi une traversée est-ouest, tous deux en ski-pulka. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à nous croiser. Le plus près que nous ayons été l’un de l’autre devait être à 30 ou 40 km.
Quant à la solitude, je la vis très bien, car c’est précisément ce qui me plaît dans ce genre d’aventure. Je n’y vais pas pour me faire mal ou pour la performance sportive, mais avec une optique de voyage. J’adore les paysages enneigés, le froid intense et les défis que cela implique. Me retrouver seul dans ma tente, au milieu d’une tempête au nord du glacier Langjökull, avec le vent hurlant à l’extérieur et la neige qui s’accumule, a été une expérience inoubliable. Le bruit du vent contre la toile, les rafales qui secouent la tente, et cette sensation de vulnérabilité m’ont obligé à rester calme et concentré. C’est un exercice d’acceptation dans l’incertitude et de l’imprévu, car tout peut changer en un instant. Mais c’est aussi dans ces moments que l’on ressent pleinement la force et la beauté de la nature.
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?
Je dirais que l’un des moments les plus marquants a été lorsque je suis sorti des montagnes au nord des glaciers Vatnajökull et Tungnafellsjökull. J’étais seul sur mon vélo, au milieu de l’Islande, sous un ciel d’un bleu parfait, avec un grand soleil et un froid glacial. Les paysages environnants étaient époustouflants, et je roulais à une bonne allure en direction de ma prochaine étape, Laugafell, où une source d’eau chaude m’attendait. Pour en choisir un deuxième, je dirais le moment où j’étais dans la source d’eau chaude de Hveravellir, avec une vue imprenable sur le glacier Hofsjökull, que j’avais traversé par le nord lors des trois jours précédents.
Avec le recul, ferais-tu quelque chose différemment ?
Je crois que je ne changerais rien. Chaque choix, chaque préparation, chaque moment vécu, même les plus difficiles, ont contribué à faire de cette aventure ce qu’elle a été.
Un conseil pour ceux qui voudraient tenter une aventure similaire ?
Pour une expédition comme celle-ci, je pense qu’il est important de lister les principaux défis et dangers (ici, c’était la faisabilité par rapport au vélo sur la neige, le froid, les rivières à traverser et les tempêtes, qui peuvent être très violentes en Islande). Ensuite, vous pouvez mettre en face de chaque point votre expérience et vos connaissances, afin de déterminer si vous êtes capables de surmonter ces challenges avec un risque acceptable. Si tous les voyants sont au vert, on est prêt, sinon on peut s’entraîner à travers d’autres aventures.
Une bonne préparation est essentielle pour aborder une aventure exigeante avec plus de sérénité et de sécurité. Investissez dans un équipement fiable, capable de résister aux conditions les plus dures. Apprenez à effectuer des réparations de base sur votre vélo, votre tente, votre réchaud, et tout autre matériel. Entraînez-vous sur des terrains variés et dans des conditions météos difficiles. Mais le plus important est de savoir pourquoi on le fait, c’est ce à quoi on se rattache dans les moments difficiles. Laisser une place à la surprise du voyage et prendre du plaisir. Je me souviens de quelqu’un qui avait dit « Un cycliste qui sourit, c’est un cycliste qui va vite ». C’est vrai aussi dans les moments difficiles, un petit sourire aide toujours à les traverser plus facilement.
Photo d'en-tête : Joffrey Maluski- Thèmes :
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