En 2024, l’Américain de 36 ans a vu son rêve s’effondrer à quelques jours du départ de la Hardrock 100 : une appendicite l’a cloué au lit. Un an plus tard, le coureur le plus explosif du circuit est enfin prêt à affronter la boucle infernale du Colorado, armé de sa rage de courir et d’une approche toujours aussi radicale. Face à lui, rien moins que les Français Pommeret, Blanchard et Grangier. Mais pour Zach, ce n’est pas une revanche. C’est bien plus que ça, nous confie-t-il à quelques jours du départ.
Plus de 225 km hebdomadaires et 13 500 mètres de dénivelé positif… L’an dernier, Zach Miller avait enchaîné un bloc d’entraînement monstrueux dans les semaines précédant la course. Après des années où ses soucis de santé l’avaient laissé sur la touche, il était enfin prêt à prendre le départ de la Hardrock 100. Ca voulait dire beaucoup pour lui.
Enfin, c’était son tour. Son tour d’affronter cette boucle de 160 kilomètres tracée dans les San Juan Mountains, une course réservée à seulement 146 coureurs chaque année. Et puis, à deux semaines du jour J, une douleur à l’abdomen. Verdict : appendicite. Opération en urgence le 5 juillet 2024, à seulement sept jours du départ. Le chirurgien lui donne rapidement le feu vert, et Zach se sent suffisamment en forme. Mais après consultation avec l’équipe médicale la veille du départ, le comité directeur de la Hardrock décide de ne pas l’autoriser à courir. « J’étais déçu, évidemment, mais je comprenais », nous confie-t-il. « C’était juste une situation merdique, pour tout le monde. Mais c’est comme ça. C’est la vie. »
Une décision difficile, mais cohérente. La Hardrock, c’est une brute de course : 160 kilomètres, 10 000 m de D+/D-, des cols au-delà des 4 200 mètres, des orages violents, de la neige, de la grêle et du MAM en embuscade. Reste que pour Zach Miller, 2025 n’est pas un acte de revanche. C’est une quête.
La Hardrock, c’est la forme la plus pure du trail en montagne au Colorado. Bien sûr, tu cours contre d’autres. Mais surtout, tu cours contre la montagne.
Ici, pas de faux-semblants. Le combat est brut, sans filet. Comme toujours chez Miller.
Tout donner, quitte à exploser
Hors course, Zach Miller, 36 ans, est posé, réfléchi, presque contemplatif. A l’opposé de l’image qu’il donne sur les sentiers. Cet athlète pro, basé à Manitou Springs, dans le Colorado, est du genre à repousser ses entraînements au soir parce que la journée lui a filé entre les doigts. Mais une fois sur la ligne de départ, ce n’est plus le même homme. Il fonce tête baissée, prêt à exploser si c’est le prix à payer pour gagner.
A le voir courir, on ne peut s’empêcher de penser à Steve Prefontaine, la légende de la piste américaine des années 1970, célèbre pour son style de course kamikaze : partir à bloc comme un chien fou, jusqu’à ce que le corps lâche. « Le style de course de Zach est incroyable », confie Tim Tollefson, ami et coureur élite. « Quand ça passe, c’est spectaculaire. Mais ce n’est pas une stratégie qui marche à tous les coups. »
Cette approche lui a porté chance en 2013. Encore novice sur les longues distances, il remporte le JFK 50 Mile avec le troisième meilleur chrono de l’histoire. Un contrat de sponsoring suit, et Zach enchaîne avec trois victoires sur la North Face Endurance Challenge 50 en Californie, alors une référence du trail US. En 2015, à Chamonix, il devient le premier Américain à gagner la CCC, le 100 km de l’UTMB. De quoi lui donner envie de tenter l’épreuve reine l’année suivante.
Il paye cher ses erreurs stratégiques sur ses premiers UTMB
En 2016, on le revoit donc à Chamonix. Dès sa première tentative, il mène la course… et explose dans les 25 derniers kilomètres, terminant finalement 6e de l’UTMB. Deux ans plus tard, en 2018, il tente de lâcher Xavier Thévenard juste après la mi-course. Résultat : évacuation en hélico [Thévenard, lui, ira jusqu’au bout et remportera l’épreuve.] Zach reconnaît aujourd’hui que cette attaque était une erreur. Mais pour lui, la réussite ne se mesure pas à un classement, mais à l’état dans lequel on termine la course.
Le jour de la course, c’est la guerre
L’objectif, c’est de se pulvériser
Puis il marque une pause, et l’éclat de férocité entrevu dans sa voix s’atténue. Il respecte la course. Il respecte ses adversaires. Il a besoin d’eux, dit-il, autant qu’ils ont besoin de lui. « Ce qu’on veut, c’est accomplir des choses qui semblent difficiles, voire impossibles, et c’est en se tirant les uns les autres qu’on y arrive. » En 2023, il passe tout près de l’exploit et termine 2e… juste derrière un autre Américain, Jim Walmsley.
Le jour de la course, il donne tout
Originaire du comté de Lancaster, en Pennsylvanie, Zach Miller a grandi au contact des Amish. Et même s’il n’en fait pas partie, leur sens de la communauté l’a profondément marqué. Il a trouvé très tôt une bande de copains passionnés de trail. Une dynamique fréquente dans l’ultra, mais qui, chez lui, est restée bien vivace. « On courait en groupe à Noël ou juste un week-end. Pas pour aller vite, mais pour être ensemble. J’adorais ça. », dit-il.
L’Américain n’était pourtant pas destiné à devenir athlète de haut-niveau. Quand il quitte la Pennsylvanie, c’est pour enchaîner les petits boulots sur les bateaux de croisière. Il continue de courir, mais sur le pont et profite des escales pour courir plus loin, plus longtemps. Il y prend goût, il est doué. On connaît la suite. Le jour de la course, il donne tout. Il veut battre quiconque se présente sur la ligne de départ. Mais ça, ça représente peut-être six jours par an. Le reste du temps, les 355 autres jours, il est simplement un passionné parmi tant d’autres.
Ce sport n’est pas binaire. Ce n’est pas du 0 ou du 1
C’est un mélange, et c’est ce qui le rend si beau
Avec l’UTMB, c’est « je t’aime non plus »
Ses convictions sur le sport et sa communauté ont explosé au grand jour en 2023, autour de l’UTMB. Début 2024, Zach Miller et Kilian Jornet adressent un mail collectif aux meilleurs traileurs et traileuses mondiaux : ils les appellent à boycotter l’UTMB. En cause ? Le virage trop corporate de l’événement, sa fusion avec Ironman, la marginalisation de certaines courses indépendantes, et une mise en scène ultra-commercialisée. Un peu comme si des stars de la NFL appelaient à boycotter le Super Bowl.
Depuis, Zach estime que les choses ont un peu évolué. Il souligne les efforts de l’organisation de l’UTMB, notamment la création d’un rôle de médiateur entre coureurs et direction, ainsi qu’une meilleure communication autour des enjeux écologiques et des récompenses financières.
Est-ce que tout est réglé avec l’UTMB ? Non. C’est toujours très… je ne sais pas si ‘corporate’ est le bon mot, mais ce n’est plus du tout un événement grassroots. Est-ce que c’est parfait ? Non. Mais ils font des efforts.
D’ailleurs, il n’exclut pas de se présenter à nouveau au départ de l’UTMB. Mais pas cette année. « Il y a d’autres choses qui m’attirent. Mon objectif est toujours de gagner, et je n’ai pas encore réussi à le faire. Mais il y a aussi plein d’autres courses que j’ai envie de découvrir. », dit-il. S’il n’a jamais tenté la Hardrock jusque-là, c’est à cause de la proximité du calendrier avec l’UTMB (à peine six semaines d’écart). Or Zach Miller est de ceux qui terminent une course rincés jusqu’à la moelle. Pas facile d’enchaîner derrière. Il se souvient du jour de départ de la Hardrock 2024. Convalescent, interdit de course, il est tout de même allé courir : Island Lake, Grant Swamp Pass… Un parcours technique, engagé. « Je me suis senti super bien », se souvient-il. « Est-ce que j’aurais pu faire les 100 miles ce jour-là ? Ça reste un point d’interrogation. »
Mais ce vendredi, après trois ans à piaffer, il pourra enfin répondre à une autre question : Jusqu’où peut-il aller, quand il n’a plus rien à perdre dans cette montagne qui ne fait aucun cadeau ?
Voir ou revoir « « ZACH » Miller, portrait d’un coureur atypique
Réalisé par Billy Yang, ce documentaire de 37 minutes dresse un portrait passionnant d’un surdoué, toujours à la limite. Pour le découvrir, c’est ici.
- Thèmes :
- Hardrock 100
- Ultra Running
- Zach Miller