Il a inspiré des générations activistes, fait hurler de colère ou de rire ses lecteurs, et dynamité les codes de l’écologie politique. C’est un écrivain incandescent, visionnaire et truffé de contradictions que révèle ce documentaire consacré à l’Américain Edward Abbey, auteur du roman culte « Le gang de la clef à molette ». Icône de la désobéissance civile, il s’impose comme le digne descendant de Henry David Thoreau et le père spirituel de Jose Bové ! A voir absolument sur Arte jusqu’au 19 juin 2026.
Écrivain, ranger, trublion politique et amuseur revendiqué : impossible de ranger Edward Abbey dans une seule case. Vif et sans complaisance, le documentaire « Edward Abbey, naturellement subversif », réalisé par Jérémy Frey et Élisabeth Quin, restitue avec justesse cette figure majeure du nature writing, encore peu connu en France, dont les colères, l’humour et la liberté de ton comme de pensée continuent d’irriguer l’écologie radicale contemporaine. À travers archives, paysages de l’Ouest et témoignages d’auteurs et militants, le film déroule la trajectoire d’un homme qui a fait du désert un foyer, un territoire philosophique… et une arme.
Né en 1927 en Pennsylvanie, Edward Abbey découvre l’Ouest à la fin des années 1940. Le choc est total : le désert lui offre à la fois un refuge et matière à révolte. Il y devient ranger, notamment dans le parc des Arches. C’est là que va germer l’essentiel de sa pensée : la nature est menacée par l’expansion industrielle et l’homme est trop docile face à sa propre destruction. Son constat est sans appel : il faudra peut-être désobéir pour préserver le vivant.
Cette idée prend sa forme la plus flamboyante en 1975 avec la publication de Le gang de la clef à molette, roman culte où une bande d’anti-héros s’attaque aux infrastructures qui scarifient le désert. Sabotages nocturnes, humour potache, amitié indéfectible : sous ses airs de farce anarchique, le livre devient une référence pour des mouvements comme Earth First! ou Sea Shepherd, et impose Abbey comme une icône de la désobéissance civile, malgré lui. Car, rappelle le film, ce succès a débordé son auteur. Lui se voulait avant tout « amuseur », capable de faire rire, enrager ou pleurer, plus que gourou d’un activisme naissant.
Le documentaire n’élude pas ses paradoxes. Abbey pouvait être visionnaire et réactionnaire, tendre et rugueux, farouchement libre mais enfermé dans certains réflexes de son époque. Sa misanthropie, ses positions tranchées sur la démographie ou certains épisodes de machisme sont pointés sans détour. D’où son surnom : « Cactus Ed ». L’homme a la plume abrasive, mais il reste profondément enraciné dans un territoire qu’il a contribué à défendre comme peu d’écrivains l’ont fait.
Enrichi par les commentaires d’Élisabeth Quin, des dessins de Robert Crumb et par les témoignages de Terry Tempest Williams, Rachel Kushner, Paul Watson ou encore José Bové, le film montre un Abbey terriblement vivant. Un homme qui a inspiré des milliers de lecteurs… et probablement la destruction d’un millier de barrages par la suite aux États-Unis, au nom de la restauration des écosystèmes.
Mort en 1989, enterré dans un lieu inconnu du désert d’Arizona, il avait choisi pour épitaphe deux mots : « No comment ». Son œuvre nourrit pourtant un courant de pensée plus d’actualité que jamais.
Photo d'en-tête : Arte