Pour beaucoup, la « 2 Seconds » lancée en 2005 a tout changé. Pas seulement le montage – instantané – mais notre rapport au bivouac. Grâce à elle, des millions de personnes ont dormi sous une toile de tente pour la première fois. En montagne, dans leur jardin, en festival, en randonnée, en road trip, au bord d’un lac ou à deux pas de chez eux. Derrière un geste simple, une prouesse technologique portée par une équipe d’ingénieurs et de designers qui a refusé toute concession. Vingt ans plus tard, l’icône signée Quechua continue d’évoluer au fil des usages et des attentes. Rencontre avec 3 de ses artisans qui font perdurer le mythe.
« J’aimerai une tente avec une télécommande. J’appuie, elle se monte toute seule. » « Moi, je veux juste la jeter en l’air et qu’elle se monte. » Ces paroles, lancées par des consommateurs lors d’un test terrain, Abderrahman Elaammari ne les a jamais oubliées. À l’époque, on est en 2003. Prototypiste depuis bientôt dix ans chez Quechua, il travaille depuis longtemps sur la simplification du montage des tentes. Il a déjà conçu des systèmes semi-automatiques inspirés des parapluies et des parasols, testé des modèles à montage rapide. Mais là, on franchit une ligne. Il ne s’agit plus de simplifier, mais de faire disparaître tout un rituel. Une tente qui s’ouvre toute seule ? D’instinct, Abderrahman résiste.
Une tente qui s’ouvre toute seule ?
« Pour moi, monter une tente, c’était un moment sacré. On prenait le temps de choisir son spot, d’installer l’abri. C’était presque spirituel. Et là, on me demandait de rompre avec ça. Je ne comprenais pas. »
Le chef de produit de l’époque, Jean-François Ratel, lui, est déjà convaincu. Son brief tient en une phrase : une tente qui se jette, se pose, et protège. Sans rien à rajouter. « Juste un zip à ouvrir, son sac à poser dedans, et on dort. C’est tout. » Une exigence d’apparence simple, mais sans précédent. Il ne veut ni compromis, ni demi-mesure. Il faut que la tente soit une vraie tente, avec chambre, double toit, tapis de sol, aérations. Et qu’elle tienne toute seule.
Dans l’équipe, certains y voient un caprice. D’autres, un défi impossible. Mais chez Quechua, le lien entre ingénierie et pratique terrain est constant. Et les remontées des utilisateurs sont claires. « Les campeurs débutants veulent profiter de la nature, pas galérer avec des arceaux, explique Abderrahman. Ils rêvent d’un feu de camp, d’un ciel étoilé, d’un verre entre amis. Monter une tente n’est pas ce qu’ils viennent chercher. »
Alors l’équipe se met au travail. Très vite, le projet prend une autre dimension. « Le vrai déclic, c’est quand j’ai vu qu’il existait déjà, dans l’univers des jouets ou des pare-soleil de voiture, des objets qui se dépliaient seuls grâce à des arceaux circulaires. Mais ça ne faisait pas une tente. Il fallait inventer autre chose. »
Abderrahman le sait : créer une tente automatique, ce n’est pas faire un gadget. C’est concevoir un abri fiable, durable, étanche, respirant. Qui résiste au vent, à la pluie, au pliage. Il faudra trois ans.
Aucune concession, ni raccourci
« Le brief était tellement clair » qu’il impliquait une exigence à laquelle l’équipe de conception ne pouvait pas échapper, un cadre qui ne tolérait aucune concession ni raccourci. « Jean-François [Ratel] ne voulait pas d’astuce, pas de montage en deux temps, pas de couche à rajouter ensuite », raconte Abderrahman Elaammari. « Juste une tente complète, qui tienne debout seule dès qu’on la lance au sol. Et nous, on devait s’arranger avec ça. »
Pendant trois ans, l’équipe va multiplier les essais. Tentes trop lourdes, trop fragiles, trop compliquées à plier… « J’ai fait des centaines de prototypes. Des trucs qui s’ouvraient trop vite, d’autres qui ne tenaient pas, d’autres encore où le double toit ne tombait jamais au bon endroit. » Le pire ? Le repliage. « C’était un enfer. On avait beau le faire dix fois par jour, le rendre compréhensible aux utilisateurs, c’était autre chose. »
Pour Abderrahman, le tournant vient d’un geste simple : tracer un fourreau circulaire au sol. Jusqu’ici, les arceaux passaient par le haut ou les côtés. En les plaçant en tension à la base, il parvient à générer une structure stable, compacte, et… pliable. Le reste, c’est une question d’équilibre, de calcul, et d’observation minutieuse. Les sangles, les fixations, le positionnement du tapis de sol : chaque millimètre compte. Il faut aussi que tout soit solidaire. Pas question d’avoir une toile à clipser ou une chambre à suspendre. L’objet doit être monobloc.
Une fois les premières formes maîtrisées, il faut aller tester. Sur le terrain. L’équipe part au Maroc, en Écosse, dans les Alpes, sous la pluie, sous le vent, sous le soleil. Les protos sont malmenés, démontés, analysés. Puis revus, modifiés, recousus. « C’est un peu comme la haute couture, résume Abderrahman. On fait, on défait, on ajuste. J’ai toujours été un modéliste autant qu’un ingénieur [Abderrahman est aujourd’hui ingénieur produit pour les tentes, ndlr]. C’est dans le fil que les tensions se lisent. »
À ce stade, la tente est presque prête. Mais il reste un mur : la notice. Comment expliquer le pliage en quelques dessins ? « On a embauché du monde, testé des dizaines de variantes. Pendant six mois, on a travaillé plus sur la notice que sur la tente elle-même. C’est un truc qu’on n’imagine pas, mais faire simple, c’est extrêmement complexe. »
Et puis, un jour, le chef de produit valide. La tente est prête. Le geste est fluide. Le repliage (presque) compris. Le concept devient produit. Et les brevets sont déposés. Trois au total : un sur la structure, un sur le repliage, un sur les composants. Suffisant pour défendre l’inventivité du modèle face aux copies, jusqu’au Tribunal européen.
Mais la vraie victoire, elle se joue ailleurs. Dans les magasins. Dès 2005, la 2 Seconds rencontre son public. Et pas forcément celui attendu.
Une success story signée Decathlon
Dès sa sortie, la 2 Seconds fait un carton. Le succès est immédiat. Et massif. En magasin, les vendeurs n’ont même pas besoin de l’installer : il suffit d’en lancer une au sol pour convaincre. À Montauban, Thomas Fourmaux, alors jeune responsable de rayon, voit les files s’allonger l’été. « On passait un temps fou à les replier dans les coffres des clients, se souvient-il en riant. C’était la folie. Tout le monde la voulait. »
Mais surtout, les profils d’acheteurs changent. Ce ne sont plus seulement des campeurs aguerris, mais des familles, des jeunes, des néophytes, des curieux. « Elle a décloisonné la pratique, note Thomas. Avant, dormir dehors, c’était un truc de spécialistes. Là, c’est devenu possible pour tout le monde. »
Car la promesse de la 2 Seconds est claire : aucune compétence requise. Pas besoin d’avoir déjà planté une sardine ou passé un week-end sur un terrain de camping. Il suffit de la poser au sol. L’acte devient simple, instinctif. Résultat : les usages explosent. On l’installe dans le jardin, à la plage, sur un festival, sur le balcon. Elle devient une chambre d’appoint, un refuge mobile, un espace de jeu.
« La 2 Seconds, c’est l’objet qui fait dormir dehors des gens qui n’auraient jamais dormi dehors », résume Thomas. « Elle a changé notre rapport à la tente. »
Un changement qui n’est pas passé inaperçu. On la voyait un peu partout, même dans des situations difficiles. « L’engouement pour le 2 Seconds nous a dépassés », reconnaît Abderrahman. « Je suis fils de nomade. Voir une tente utilisée comme abris de fortune, dans des zones sinistrées ou par manque de moyen, ça ne me gêne pas. C’est sa fonction. Elle doit protéger. » Chez Decathlon, personne ne s’en est jamais vanté. Mais personne non plus ne l’a nié.
Surtout, cette démocratisation de la tente a fait évoluer les attentes. Le public ne veut plus seulement que ça se monte vite. Il veut aussi que ça tienne, que ça dure, que ça protège.
Évoluer sans trahir
Garder un concept simple tout en essayant de l’améliorer, c’est un vrai défi d’ingénierie. Depuis 20 ans, la 2 Seconds a connu de nombreuses évolutions : composants, performances, usage, pliage… mais sans jamais revenir sur l’essentiel. Elle doit se lancer, se déplier, abriter. Et se ranger, idéalement, sans crise de nerfs.
C’est tout l’enjeu du travail d’Alexane Jouvenceau, ingénieure essais chez Decathlon depuis 2021. Elle ne conçoit pas les tentes, mais les poussent dans leurs retranchements. « Mon métier, explique-t-elle, c’est de créer les protocoles qui permettent de dire : cette tente tient tant de vent, elle résiste à tant de pluie, elle vieillit de telle façon. Et comme il existe très peu de normes dans l’univers des tentes, on est souvent obligés d’inventer nous-mêmes nos propres standards. »
Test de douche, tests de soufflerie, vieillissement accéléré, corrosion, flambage, torsion des arceaux, résistance des coutures, tenue des tissus… Tout est passé au crible. Et dès qu’une modification est apportée à un modèle – changement de composant, d’aération, de zip, d’enduction – la batterie de tests repart. « Même si la tente existe depuis 20 ans, dès qu’on change un détail, on la repasse entièrement. C’est une exigence. »
Un bon exemple ? Le passage à une nouvelle résine dans la composition des arceaux. Il a fallu revalider toute la solidité structurelle de la tente, mais aussi sa capacité à se plier sans casser, à se redéployer sans forcer. Et bien sûr, à vieillir sans se fragiliser. Même chose pour l’intégration de la technologie Fresh & Black (en 2016), qui permet de dormir au frais et dans le noir : il a fallu démontrer son efficacité réelle, mesurer les écarts de température, s’assurer que le tissu ne perdait rien de ses propriétés mécaniques. Et pour la 2 Seconds Easy, la nouvelle génération de tente lancée en 2020 – encore plus rapide à monter et replier grâce à un bouton poussoir, il a fallu tout reprendre depuis zéro.
Ce souci du détail est constant, et porté par une équipe entière : ingénieurs composants, ingénieurs qualité, prototypistes, testeurs terrain… « C’est vraiment un travail collectif, insiste Alexane. Et le plus intéressant, c’est quand les retours terrain viennent bousculer ce qu’on croyait avoir validé en labo. Le test ultime, c’est l’usage. »
Un usage qui évolue, et qui force l’équipe à rester alerte. Nouvelles pratiques, nouvelles envies, nouveaux contextes. Depuis son arrivée sur le poste il y a huit mois, Thomas Fourmaux, désormais chef de produit tentes chez Quechua, travaille justement à cette articulation entre héritage et futur. « La 2 Seconds est une icône. Elle a changé la pratique. Mais on ne peut pas se contenter de ça. Il faut qu’elle continue d’être en phase avec les usages actuels. Et qu’elle réponde toujours à sa promesse : la simplicité. »
Vingt ans après son lancement, la 2 Seconds continue de structurer la gamme de Quechua. Pas seulement comme produit iconique (la marque à lancée en 2025 trois éditions limitées spéciales 20 ans), mais comme boussole. Une référence qui oblige. « Quand on travaille sur ce modèle, on n’a pas le droit à l’à-peu-près, résume Thomas Fourmaux. Tout ce qu’on imagine pour demain doit être à la hauteur de ce qu’elle a représenté. Et surtout, rester dans son ADN : l’instantanéité. »
Aujourd’hui, cette exigence se décline dans de nouveaux formats : tente de toit pour voitures et vans, abris compacts pour la randonnée ultra-légère… Et à chaque fois, la même question revient : comment permettre à l’utilisateur de se poser, de s’abriter et de dormir, sans stress, sans mode d’emploi, sans compétence préalable ?
C’est peut-être là que réside la véritable révolution de la 2 Seconds. Dans son refus de complexifier. Dans son insistance à rester accessible.
Pour Alexane Jouvenceau, c’est cette logique d’usage qui fait la force du produit. « On ne part pas d’une innovation technique pour en faire une tente. On part du besoin utilisateur, et on construit autour. C’est une démarche très Decathlon. On teste, on observe, on ajuste. C’est ce qui rend ce métier passionnant. »
Abderrahman, lui, regarde cette histoire avec le recul du pionnier. « Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour, on fêterait les 20 ans de cette tente. À l’époque, c’était un pari. Et c’était dur. Mais on l’a fait. Et surtout, on l’a faite pour de vrai. Une vraie tente, pas un jouet. Et aujourd’hui encore, je croise des gens qui me disent : « C’est ma première nuit dehors que je dois à la 2 Seconds. » Et ça, c’est ce qui me touche le plus. »
Pour en savoir plus sur les tentes 2 Seconds de Quechua, visitez www.decathlon.fr
Photo d'en-tête : Quechua