A 12 ans il se met à l’escalade. A 23, il fait du 9b+. Autrement dit du très haut niveau dans une échelle qui plafonne au 9c. Le parcours du Français Sébastien Bouin est fulgurant. De quoi le classer illico parmi les meilleurs falaisistes de l’histoire. Surdoué ? Incontestablement. Mais ça ne suffit pas, explique l’athlète du team Black Diamond qui va chercher plus loin la détermination qui lui permet, à 28 ans, d’envisager de progresser encore. Inspirant pour tous ceux qui, en grimpe comme ailleurs, visent à passer les caps et à donner le meilleur d’eux-mêmes.
A son palmarès, plus de 60 voies entre le 9a et le 9b+, il pourrait s’arrêter là, mais ce serait mal connaître Sébastien Bouin qui vise le 9c, voire le 9c+, soit les voies les plus dures de la planète auxquelles une petite poignée d’athlètes peuvent prétendre. A ce niveau, on ne peut s’empêcher de s’interroger : comment s’est déroulé sa progression, comment a-t-il franchi les étapes, et surtout quelles leçons peut en tirer le commun des mortels ? Interviewé entre deux sorties en falaise, du côté de Montpellier où il vit, il prend le temps de nous répondre, très cool, comme à son habitude.
Une progression fulgurante, oui mais…« qui pourrait passer autant de temps en falaise ? »
En fait j’ai commencé assez tard l’escalade pour un grimpeur de haut niveau, vers 12 ans. Je fais partie aujourd’hui des cinq meilleurs mondiaux et on a tous dans les 28 ans, Adam Ondra, Jacob Schubert, Stefano Ghisolfi et Alex Megos. Mais quand j’ai commencé, eux ils étaient déjà dans le haut niveau. Ca fait quand même une sacrée différence à rattraper, mais ça marche en y mettant tout mon temps et toute mon énergie, parce que ça me plait. La différence avec un Adam, c’est que lui, il fait tout. Avec son avance, il a capitalisé en faisant à la fois de la compétition de bloc, de la compétition de voie, de la falaise, du big wall. Moi je ne fais pas trop de compétitions sur mur artificiel, je ne fais que de l’extérieur. En fait, je ne ferais pas ce sport si je ne devais faire que de la salle !
J’ai eu un progression assez rapide, surtout sur les cinq premières années, mais après c’est allé un peu plus doucement
A 13 ans, premier 8a ; 14 ans, premier 8b ; 15 ans, premier 8c, 17 ans, premier 9a, et après ça s’est un peu espacé, évidemment sinon je serais déjà dans le 10 depuis longtemps (rires). Il a fallu attendre les 20-21 pour le premier 9a+, et 23 ans pour le 9b. Et après ,ça s’est vraiment étalé dans le sens où en 2019, j’atteins le 9b+ à la limite. Et là je suis vraiment en train de lutter pour faire mes 9b+ et 9c. Quelqu’un qui aurait la même motivation, le même intérêt pour le côté extérieur de l’activité pourrait arriver à ce niveau-là. Mais jusqu’à présent je n’en ai pas vraiment vu, car le problème est aussi dans la tête. Rester motivé, même quand ça ne marche pas, ce n’est pas donné à tout le monde.
Des moments où j’ai stagné ? Bien sûr j’en ai connu
Il y a toujours des bonnes années. 2015 par exemple. Je me dis, tiens, ça va continuer naturellement… et peut-être le fait d’avoir trop de réussite te conduit à te relâcher. Si bien qu’en 2016 j’ai dû me remettre en question. 2019, très bonne année. 2020, Covid. 2020-21, j’essaie des trucs un plus durs, mais putain, ça ne marche pas ! Et là, à nouveau je me remets bien en question. On va voir maintenant si j’arrive à finir ce que j’ai commencé.
Je suis sur deux gros projets en ce moment : Bibliographie à Céüse (côté 9c par Alex Megos), je n’étais pas loin d’y arriver cet automne mais… je n’y suis pas arrivé. Je suis quand même tombé trois fois à la fin. Et puis un autre très gros projet dans le Verdon, DNA, dans le 9c aussi. Je l’essaye depuis deux ans. Et, pareil, je suis tombé quatre fois après la section dure. Maintenant, au printemps, ça va être la meilleure période pour ces voies-là. Après j’aimerais bien aller aux Etats-Unis pour répéter la voie la plus dure des US, Jumbo Love (9b).
Qu’est-ce qui me fait remonter, encore et encore ? La motivation
Moi, je ne laisse jamais rien tomber dans ma vie. Vrai, même avant de commencer l’escalade. Quand je n’arrive pas à faire un truc, forcément ça me frustre, mais je passe vite cette frustration et j’en arrive à me dire : le jeu, ça serait d’y arriver. Si ça bloque encore, j’essaie de comprendre pourquoi, j’essaie un truc nouveau. Je peux essayer des dizaines et des dizaines de fois sans problème. Ca me coûte un peu peut-être, mais le jeu est cool et ça me plait. C’est plus un trait de personnalité qui permet de s’entêter qu’une qualité physique ou psychologique liée à l’escalade. J’arrive à l’appliquer dans la vie de tous les jours : je n’ai jamais rien laissé tomber, clairement. Que ce soit dans mes relations personnelles ou professionnelles, car avant d’être pro j’ai quand même passé un diplôme d’EPS, un diplôme de Brevet d’état. Rien d’exceptionnel, mais généralement quand je commence un truc, tant que ce n’est pas fini, je ne laisse pas tomber, j’ai été élevé comme ça. ma mère était une folle de sport. Elle a une ferme pédagogique, toujours dehors, mais elle court beaucoup, fait du vélo, du kayak, de la boxe. Elle m’emmenait partout. Tout gamin, elle m’a donné le goût le goût de l’effort. Elle m’a aussi appris à ne pas avoir peur de l’échec, m’a habitué à en chier et à me dire que c’était normal de galérer, ça forme. Alors que j’ai plein de potes qui étaient très doués en escalade, mais au bout d’un moment ils voient d’autres priorités ou ils sont confrontés à l’échec et ça les saoule un peu aussi…
En escalade, comment passer les caps ?
Les premiers niveaux sont facilement accessibles. La seule différence, c’est la hauteur et l’appréhension, le vertige. Après, pour progresser il faut pratiquer plus régulièrement pour passer du 5 au 6. Du 6 au 7, ça va dépendre du temps de la pratique. Une à deux fois par semaine ne va pas suffire, ça va poser problème au niveau coordination et au niveau physique. Il va falloir passer à 3 ou 4 fois par semaine. Après, on peut aussi pratiquer une fois par semaine avec quelqu’un qui nous coache bien mais tout seul, c’est la quantité de pratique qui va être un peu limitante sur la progression, je pense. Et vu que c’est un sport chronophage, dans le sens où aller en extérieur prend vite l’après-midi, à minima, ce n’est pas évident de libérer du temps. C’est propre à l’escalade, car courir ou faire du vélo en deux-trois heures, c’est plié. En falaise, deux heures ça fait short !
Pour passer du 7 au 8, il faut ajouter du temps de pratique, des séances de musculation, de gainage, des petites séances complémentaires pour gagner en spécificité musculaire et de coordination. Ce temps de pratique devra aussi être un peu plus orienté. Il va falloir réfléchir aux séances, voir comment on les construit, les organiser avec des temps qualitatifs, des temps quantitatifs, avec des exercices sur le psycho, le mental, la tactique. Pour résumer , il faudra réfléchir à comment je pratique l’activité plutôt que juste pratiquer.
Pour progresser, le mieux, c’est de prendre un mec qui te donne le déclic
Quelqu’un qui propose des exemples de séances, t’explique comment les construire. Et une fois qu’on a des bases, on peut avancer tout seul. Pas forcément un prof, ça peut être un pote qui a déjà ce niveau. Oui, pour passer au 8, ça peut faire la différence. Enfin, du 8 au 9, en plus de tout le reste, il va falloir encore augmenter le temps de pratique et encore mieux construire les séances, augmenter l’intensité et… ne penser qu’à ça, quoi ! On devient un peu obnubilé par le truc. Il faut aussi aller encore plus loin dans les séances, identifier tes failles, tes défauts à travailler. Et puis, il faut aussi programmer l’entrainement sur le long terme, sur 6 mois, avec des objectifs intermédiaires, des objectifs finaux. Ca, c’est ce que je conseille, moi je l’ai fait de manière un peu désorganisée, tout seul. J’y ai mis une énorme implication, mais que je pense que j’aurais gagné du temps si quelqu’un m’avait expliqué tout ça ! j’aurais pu l’avoir, j’ai été au pôle France, mais bon, ils n’étaient pas intéressés par l’individu, mais par le groupe. Et le problème, c’est que moi j’avais un profil très particulier, j’aimais l’extérieur et on me demandait de choisir entre la falaise et la compétition. Mais ça ne marche pas comme ça. Il faut prendre les motivations de l’individu et s’en servir pour le pousser. Alors j’ai réfléchi tout seul.
Jusqu’à présent j’ai toujours été à fond, mais j’aime bien garder un petit détachement
Parce que sinon, ça peut devenir contre-productif, on peut se lasser un peu. Mais c’est assez rare, j’essaye de me persuader qu’il faut faire des pauses. Car quand je fais des projets, j’ai tout ça en tête, constamment, j’ai des dizaines de notes. Penser, rêver escalade, c’est plus des remises en question incessantes que des réussites imaginées. Du coup, la vie me semble très simple. Y’a pas vraiment de problème, car c’est tellement incertain ce que je fais : y’a 1% de réussite ! Y’a rien dans la vie qui se rapproche de ça ! Alors, tout ce que tu peux entreprendre, c’est facile à côté. Mentalement, je pousse un peu plus que les autres, car j’ai un niveau physique un peu moins grand, je dois donc pousser un peu plus loin. C’est tellement incertain que c’est un peu schizophrène comme activité. On est en train de se prendre le choux sur un truc qui a tellement peu de chances de marcher… et on essaie de le faire marcher quand même. Alors que je pense que n’importe quelle entreprise… ou alors ce sont des problèmes qui n’exigeraient que du temps pour les résoudre. Là, c’est vraiment incertain… sur certaines voies, je ne sais pas si je vais y arriver un jour. Alors que tout ce qu’on entreprend dans la vie il y a de fortes probabilités que ça arrive. Ca donne une force énorme dans la vie mais en même temps ça te déconnecte un peu, tu en viens à te dire… rien n’est grave…Je ne me prends pas la tête pour grand-chose, ça c’est cool, mais ce qui n’est pas facile pour les autres, c’est le rythme de vie au fil des projets, des entraînements .
Qu’est-ce qui peut freiner la progression ? Le doute
Si t’es bien dans ta tête, c’est bon, mais selon le contexte de vie, tu peux te mettre à douter. Ca m’est arrivé dans le passé. Sur de gros projets on devient alors un peu moins sûr, alors qu’on est censé y mettre tant d’investissement. Le contexte personnel est très important, si on est stable ou pas. Quand ça ne va de ce côté-là, il faut le placer en priorité. Ce que je n’ai pas toujours fait, au contraire, je me suis concentré sur l’escalade. Mais ce n’était pas la bonne technique… Quand ça ne va pas côté perso, se faire secouer en plus côté escalade, ça ne marche pas. Je n’ai pas été malin en fait sur les deux dernières années. Ca ne va pas dire que ça allait moins bien en escalade, seulement que je vivais moins bien l’échec.
Pendant longtemps j’ai pensé que la réussite, c’était accessoire
Je la voyais juste comme un bonus d’un combat bien mené. Ce que recherchais, c’était le bon combat. Si ça réussit, tant mieux, sinon tant pis parce que j’aurais passé un super bon moment quand même. Mais dernièrement je me suis rendu compte que cette réussite était à prendre en compte dans la préparation. Je n’avais pas capté, mais dans les trois ou quatre mois de préparation, ce qui peut être intéressant, c’est de se mettre des objectifs intermédiaires, où là, on réussit. Mentalement, quand on y arrive, même si on sait que c’est un peu moins dur que notre niveau, le jour J on est un peu plus détaché de l’échec ou de la réussite parce qu’on a eu un processus plutôt positif avant. Ca redonne un peu de confiance en soi en fait ! Je suis arrivé seul à cette conclusion-là. Si on m’avait expliqué ça, j’aurais gagné du temps !
On fait un sport bizarre, en ce qui me concerne, je suis sur des projets qui peuvent durer des années, et mentalement, forcément, ça use. Mais bon, jamais je n’ai eu envie pour autant de décrocher de l’escalade. Ma plus grosse pause, c’était en 2021 : 5 jours sans grimper. Sur ces gros projets je ne me mets pas la pression temporelle, j’aime bien rester libre. Là, j’ai quand même Reel Rock en vue. En sachant que le projet n’est pas encore validé. Il faut savoir que l’objectif est double : réaliser une performance bien sûr, mais aussi la filmer, ça n’est pas toujours facile, mais ça fait partie du jeu quand tu es professionnel. De la même façon que c’est aussi ton job de tester le matériel qui t’est confié par ton sponsor. Avec Black Diamond, c’est cool parce qu’ils ont tout. Et puis ils sont au top au niveau sécurité avec un excellent rapport poids confort, notamment au niveau des baudriers ou des casques. Quand tu fais une longue marche d’approche ou que tu restes des heures sur ta falaise, si tu peux allier tout ça, c’est une grosse plus-value. Pareil au niveau style, j’ai testé beaucoup de modèles. Tu peux porter un pantalon comme le Rocklock ou une veste comme l’Element en escalade comme en ville, c’est cool, ça plombe moins ton sac au final.
Ma marge de progression ?
D’ici la fin de ma carrière, j’aimerais bien atteindre le 9c. C’est faisable. 9c+ ? Je ne sais pas, ça va dépendre du projet, de l’endroit. Si j’en trouve un accessible, en France ou en Espagne par exemple, histoire de pouvoir y retourner autant que nécessaire, alors pourquoi pas.
Je suis plus Kenyan que Usain Bolt
Après, il faut voir. Ma mère m’a aussi donné le goût d’être dehors, dans la nature, d’où ma passion pour la falaise. Mais j’aurais aussi pu vivre ça via le trail. Et j’y aurais été meilleur qu’à l’escalade d’ailleurs ! J’ai un profil plutôt endurant alors que l’escalade, à haut niveau, ça demande beaucoup plus d’explosivité. Je suis plus Kenyan que Usain Bolt ! Après, l’activité me plait vachement, alors, avec beaucoup de travail, ça marche. Mais j’ai beaucoup plus de qualités dans le foncier. Avec l’escalade, je n’ai pas choisi la facilité, c’est sûr… je ne le savais pas à l’époque ! Mais ce n’est pas dit que je ne m’y mette pas un jour ! Ce que fait Kilian (Jornet), ça m’inspire. C’est un peu dans le même délire qu’en escalade. Ca fait appel au même processus. Et puis être en montagne, prendre de l’altitude, ça me plait vachement. Mais bon, on verra, je pense encore trainer dans l’escalade cinq à dix ans ! Avec le temps, je vais monter en altitude, c’est sûr. C’est un milieu qui m’a toujours intéressé, mais avec l’escalade, j’y dédie tout mon temps. Ce qui est bien avec cette pratique, c’est qu’il y a plein de portes qui s’ouvrent. Et si tu es un bon grimpeur, si tu as un bon foncier, la montagne t’appelle.
Le plaisir, le style ?
Le plaisir dans la grimpe, c’est de pratiquer un effort physique. Un effort qui fait appel à tous les muscles de ton corps, du mollet à l’avant-bras, tout doit être mis en œuvre. Ce plaisir est aussi lié à la diversité de la pratique : chaque site, chaque mouvement sont uniques. Le style ? C’est inspirant, mais pas important. Cela dit quand tu vois quelqu’un comme Chris Sharma… ça donne envie de grimper ! Ca m’inspire. Comme m’inspire Adam (Ondra), c’est un pote. Lui, quand il te parle d’une voie, il a de étoiles dans les yeux. J’aime bien cette approche-là, qu’on soit athlète de haut niveau ou pas, j’aime ces gens qui ne sont pas forcément très forts mais qui ont une grande ténacité ancrée en eux.
Dans le sac de Seb Bouin, pour une journée en falaise
Des sacs, Seb en a plusieurs comme le Pipe Dream ou le Stone. Pour une journée en falaise, son sac chargé tourne autour d’un poids de 5 Kg.
• Des dégaines, les Hot Forge Hybrid : elles sont assez stylées et avec un bon rapport poids confort.
• Des dégaines ultra light Litewire, bien pour les longues marches d’approche.
• Un baudrier Solution, la solution ultime pour éviter le mal de dos.
• Une corde de 100 m, la Dry Climbing Rope mais aussi la Honnold Edition, résistante et fluide.
• Un casque, le Capitain (disponible à partir du 1er mai).
• Un sac à pof et de la magnésie, le Freerider.
• Des chaussons, les Method.
• Des brosses pour les prises.
• Du strap et de la Superglue.
• Un petit couteau Laguiole.
• De l’eau et de la bouffe minimaliste, deux pommes peuvent faire l’affaire.
Pour en savoir sur la nouvelle gamme de pantalons d’escalade Rocklock ou sur Black Diamond, visitez :
Pantalon d’escalade Rocklock
Idéal pour travailler un crux jusqu’à en venir à bout, le Rocklock Climb Pants est un pantalon confortable en coton biologique conçu pour les sorties en falaise. Il est agrémenté de ripstop pour une durabilité accrue. Les genoux préformés et le gousset à l’entrejambe procurent toute la mobilité nécessaire ; la ceinture élastiquée dotée d’un cordon de serrage intérieur procure un ajustement optimal.
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