Trail américain mythique, le 100 miles organisé le week-end dernier dans les montagnes du Colorado, fait rêver depuis plus de 30 ans. Et pas qu’une poignée d’élites. Car parmi les 160 coureurs tirés au sort cette année, on trouvait une large majorité d’amoureux des sentiers. De bons coureurs, partis sans prétention au podium, mais pour le plaisir et le challenge. Le Français Guillaume Bogner, ingénieur de 49 ans, fait partie de ceux-là. À l’issue de 42h14mn11s, de course, un chrono un peu décevant à ses yeux, il affiche quand même fièrement le statut de « finisher », et ce n’est pas rien, nous raconte-t-il depuis le Colorado où il commence à récupérer et nous glisse quelques précieux conseils pour réussir cette épreuve légendaire.
« La Hardrock ? Une classique du calendrier d’ultra-trail mondial, un 100 miles (exactement 102,5 miles ~ 165 kms) avec environ 10 000 mètres de dénivelé positif, qui se court dans les montagnes San Juan, au départ de Silverton, Colorado. On pourrait la comparer à un UTMB (que j’ai couru en 2014) ou à une « Diag’ » (que je n’ai jamais courue), mais sa légende est autre part : 160 coureurs/coureuses sélectionnés via une loterie qui vise à limiter le nombre de nouveaux finishers (!), faisant ainsi la part belle aux coureurs ayant déjà terminé la course au moins 1 fois. Résultat, seuls 1 010 coureurs avaient terminé la course avant l’édition 2025. Ce qui fait dire à Dale Garland, directeur de la course et âme de la Hardrock, qu’ici, on ne parle pas de « communauté », mais de « famille Hardrock ».
En ce qui me concerne, je cours depuis 2006. Comme beaucoup, je suis passé du marathon au trail, avec, comme premier ultra, la CCC, en 2012. Puis l’UTMB, mon premier 100 miles où, arrivé pas assez entraîné, j’ai appris beaucoup de choses. Par la suite, j’ai couru la Western States 100. Mais pour faire la Hardrock j’ai dû attendre huit ans. J’ai été reçu à mon 6e tirage au sort, la course ayant été annulée en 2019 – trop de neige – et 2020 – année COVID). Il faut donc se montrer patient et persévérant. Car, pour avoir une chance toujours plus importante d’être tiré au sort, on doit nécessairement pointer chaque année comme finisher dans une course qualificative (dans les 2 années précédentes). Or, la liste n’est pas pléthorique. En ce qui me concerne, j’ai couru la Angeles Crest 100 et la Fatdog Trail Race, aux États-Unis. Deux courses choisies pour leurs effectifs réduits, rien à voir avec certaines courses de masse européennes.
Être tiré au sort est donc la première difficulté, mais ce n’est pas impossible du tout.
Autre écueil : l’altitude. La course se situe entre 2 340 m (Ouray) et 4 280 m (sommet de Handies peak), avec une altitude moyenne de 3 400 m, conditions rares et quasi-introuvables sur les autres classiques du calendrier (pour donner un point de comparaison, l’UTMB se situe entre 770 m et 2 560 m, avec une moyenne de 1 740 m). Pas simple quand, comme moi, on habite en banlieue parisienne. En temps normal, pour préparer mon ultra annuel, je fais deux séjours d’une semaine dans les Alpes, du côté de La Clusaz. Mais on est loin d’y retrouver les conditions des montagnes de San Juan.
« Une semaine seulement d’acclimatation, c’est peu ! »
Le Graal de qualifié en poche lors de la loterie de décembre 2024, restait la recherche d’un logement sur place. Pas simple, non plus. Silverton est une petite bourgade de 700 habitants, quadrillée à l’américaine, dont seule la rue principale (Greene Street) est pavée. Prise d’assaut dès les résultats du tirage au sort annoncés (voire avant !), ne reste plus que le camping de la ville si on souhaite s’acclimater à 2 840 m. Dans l’esprit Hardrock, cela reste envisageable, mais cela n’est pas évident pour autant.
Or c’est en famille, que j’ai entrepris de vivre cette aventure. Nous avons donc jeté notre dévolu sur un logement à Ouray, point bas de la course, surnommée la « Suisse de l’Amérique » : petite bourgade de 1 000 habitants, sources chaudes, paysages alpins spectaculaires entourant la ville, un bel endroit pour profiter de la région pendant une petite semaine avant le départ fixé au 11 Juillet 2025. Un temps indispensable pour tenter de m’acclimater au mieux.
Sur ce point, ce n’est pas le top du top : je n’avais jamais franchi les 3 000 mètres sur une course de trail, auparavant, alors que la Hardrock nous mène à 13 reprises à plus de 3 700 mètres (et un passage à 4 280 m). D’où la question qui me hantait : Est-ce que ça va le faire ?
Alors oui, les pros tels que Pommeret, Blanchard ou Grangier, ont des dispositions qui leur permettent de s’acclimater à ces altitudes pendant plusieurs semaines avant la course, mais ce n’est pas mon cas. J’ai donc dû faire avec.
« Des feux : la course va-t-elle être annulée ? »
La préparation de la course elle-même commence une semaine avant (préparation des ravitos, balisage, etc), mais pour le coureur, tout comment le jeudi 10 dans le gymnase de la ville avec récupération des dossards, photos, remise des sacs de ravitaillement et réunion d’information obligatoire. Ambiance très détendue, beaucoup se connaissent déjà. Rien à voir avec les points pré-courses de l’UTMB par exemple.
Il y a beaucoup de rookies (1ère tentative sur le course), mais les coureurs qui cumulent les finish sont bien là aussi : 2, 5, 10, voire encore plus pour Betsy Kalmeyer, qui tente un 20e finish cette année … Il y a aussi les favoris qu’on ne peut pas louper : Ludovic Pommeret, qui remet son titre en jeu, Mathieu Blanchard, dont c’est l’objectif de l’année, mais aussi Zach Miller côté américain. Côté dames, Katie Schide fait figure d’épouvantail, mais la partie n’est pour autant pas gagnée, notamment avec la présence de la Française Manon Bohard, vainqueure de la Diagonale des Fous l’année dernière. Cette année encore, les Français sont bien présents et comptent faire le spectacle !
En ce qui me concerne, la journée se termine au ralenti, histoire ne pas dépenser inutilement mes forces, et en tentant de minimiser mon appréhension devant cet objectif ambitieux : être finisher.
Mais là, patatras : la vallée se voile pendant la soirée. Je sors regarder sur le patio, et une odeur de fumée me saute au nez … Un petit coup d’Internet me fait comprendre que le mini-orage qui a éclaté ce matin, a généré plusieurs incendies dans le Black Canyon, près de Montrose, à peu près à 100 km au nord d’Ouray, mais les vents orientés vers le Sud ont effectivement dirigé une partie de la fumée vers les San Juan. L’hiver 2025 a été pauvre en chute de neige (« année sèche »), ce qui garantit une course sans passage neigeux, mais cela a mis la végétation face aux périls de ces incendies américains dont on parle régulièrement aux informations. Et là, bim, on est dedans ! Que va faire l’organisation ? Laisser les participants grimper des vallées enfumées, ou bien annuler la course au dernier moment ? Un mail à 21h36 nous informe que la direction de course suit les évolutions de ces incendies, et au bout du suspense, à 5h18 le vendredi matin, la nouvelle tombe : les niveaux de qualité d’air ne sont pas adaptés à toutes les catégories de personnes, mais la course aura bien lieu : chaque coureur peut faire son choix en participant à l’édition 2025, ou bien en reportant sa participation à l’année suivante. C’est donc quelques minutes plus tard que le top départ est donné !
« En garder sous le pied, me conseille Manon Bohard »
Cette année, la course s’effectuera en sens anti-horaire (comme une année sur deux) : départ en face du gymnase, devant la pierre qui symbolise la course et qu’il faudra embrasser à l’arrivée, suivi de la traversée de la ville. Ensuite, quelques kilomètres plats dans la forêt nous permettront de rejoindre le début de la 1ère ascension : une route forestière qui mène à Little Giant Pass. C’est le début de la journée, les vents ont effectivement tourné pendant la nuit et le miracle s’est produit : de la fumée à l’horizon, mais pas dans les vallées qu’on emprunte.
Tout se passe bien : ce 1er passage à 3 900m me fait comprendre qu’il faut bien ralentir et en garder sous le pied si je souhaite terminer la course (petit conseil confié par Manon [Bohard] la veille du départ). La descente vers le 1er ravito n’est aussi qu’une formalité, ouf !
Au final, la Hardrock, ça monte et ça descend, sauf peut-être entre Maggie Gulch et Cataract Lake où nous traversons de belles vallées herbeuses avec le ruisseau qui coule au milieu. D’ailleurs, cette course met fait beaucoup penser à la « Andorra Ultra Trail Vallnord – Ronda dels Cims », en Andorre, dont le surnom « Hardrock Andorrane » n’était pas usurpé (elle a malheureusement cessé d’exister, sa dernière édition étant en 2022) : très beaux panoramas montagnards, vallées herbeuses, ruisseaux à traverser (pas si fréquent chez nous), et bien sûr, difficulté du parcours. En effet, contrairement aux régions environnantes, les montagnes San Juan ne souffrent pas de sécheresse, et malgré des températures qui peuvent monter assez haut, la végétation est bien présente : il y a de la verdure partout, c’est extrêmement joli. Et parfois ponctué de rencontres inattendues : les animaux sauvages y étant nombreux, mais moi, je n’en verrai pas.
« Je suis loin du rythme insensé des leaders Ludovic et Mathieu »
La 1ère journée se passe comme attendue. Arrivé au ravitaillement « Burrows Park », le sommet de la course est en point de mire : Handies Peak avec ses 4 284m. L’objectif est d’y passer pendant la journée, et je suis bien parti pour le réaliser. Je suis loin du rythme insensé proposé par les leaders Ludovic et Mathieu, mais à chacun ses moyens et ses objectifs. La montée est dure, et plus c’est haut, plus je ralentis : j’ai du mal à savoir si c’est mon entraînement qui n’a pas été suffisant, si mon acclimatation n’a pas été assez longue, ou bien si je me fais seulement vieux : certainement un peu des trois. Mais bon, voilà, je passe le sommet à la lueur des derniers rayons de soleil, et j’entame la descente vers Animas Forks, où j’arrive de nuit.
La montée suivante passe à Engineer pass, un col à + 3 900 m accessible aux 4×4, et qui montre la complexité de l’accès à la nature aux Etats-Unis : combiné à Cinnamon Pass, ce col fait partie de la légendaire Alpine Loop – un parcours très exigeant en véhicule 4×4. Lors de la Hardrock, on cohabite avec ses « amoureux de la montagne », qui la pratiquent « selon leurs désirs » et Dale Garland rappelle bien à tous « qu’il faut faire avec ».
« Au ravito, chaque coureur à une personne dédiée »
Bref, cette montée exigeante met à mal mon estomac. Pour autant, la nuit se passe quand même bien, et la longue descente vers Ouray (1 550 D-) avec ses passages impressionnants à flanc de falaise (Bear Creek Trail) m’amènent au gros ravitaillement de mi-course (km 93) : il est 2h du matin, et je savoure à nouveau un dispositif bien rôdé : ici, chaque coureur se voit dédiée une personne qui, pendant tout le temps d’arrêt, s’occupe de lui ! La gentillesse des bénévoles est sans pareille. De plus, ma famille est là pour un joli réconfort, et des lits sont disponibles : je m’accorde 30 minutes de repos sous une bonne couverture et je peux repartir ensuite pour la longue montée vers Virginius pass (1 600D+) : cela passe par une montée sur une route pavée où le jour pointe son nez, suivi d’une route forestière et d’un sentier à fort dénivelé, débouchant sur la phase finale : une zone très raide et instable, enneigée, avec utilisation de cordes. Pas de mesure standardisée de la pente, mais elle est unanimement jugée parmi les plus difficiles du parcours. Avec la surprise du chef au sommet : le ravitaillement « Krogers Canteen », niché dans cet endroit incroyable : à 3 900 mètres, sur quelques mètres, entre 2 gros rochers et une toile de tente improvisée. Le mythe est bien là.
Il reste 4 descentes et 3 cols : il faut tenir le rythme et ne pas craquer, mais on ne va pas se mentir, cela devient difficile : le passage à Telluride me fait rencontrer François, un autre participant Français. Lui aussi a des problèmes d’estomac, mais il se révélera plus fort dans cette 2e partie de course. Il me lâche dans le montée vers Oscar Pass, mais on se retrouve quand même au ravitaillement Chapman où j’ai un regain d’énergie pour le suivre dans la montée vers Grant Swamp Pass, encore un col mythique de la course. Considéré comme le joyau du parcours, c’est le passage final avant le sommet. Il offre une inclinaison jusqu’à 60°, et chaque pas peut glisser sous le pied.
« Je perds pied : la course a mis à mal ma lucidité »
La descente vers KT (« Kamm Traverse »), l’avant-dernier ravitaillement, me montre mes limites : c’est dur et je n’en vois pas la fin, mais j’y parviens quand même et rejoins à nouveau François. Il reste un peu plus de 10 miles, et un col à passer. François espère rallier l’arrivée avant que la 2e nuit ne pointe le bout de son nez. Je pense que ça ne va pas être facile, mais il tente sa chance.
De mon côté, je perds pied : la course a mis à mal ma lucidité, et je continue mon chemin sans trop comprendre ce que je fais : je me joins à un concurrent et nous rejoignons ensemble le dernier ravitaillement « Putman ». Je comprends d’ailleurs maintenant le rôle du pacer, qui existe quasi-uniquement sur les courses américaines : prendre le rôle de leader pour que le concurrent n’ait à penser qu’à avancer, le pacer s’occupant de la gestion des ravitaillements, et de l’orientation sur les sentiers, etc. Mais bon, je n’ai jamais couru avec un pacer. Difficile de caler deux rythmes, de savoir quand parler ou pas, pas simple de surcroit de gérer ça depuis la France. Et puis j’aime courir en solitaire et apprécie ces moments-là. Plutôt rares : sur l’UTMB, il faut attendre le km 100 pour se retrouver un peu seul, personne devant soi.
La ravitaillement de Putnam arrive quand même, ainsi que la descente interminable vers Silverton. Je me perds encore, mais parviens à suivre un autre concurrent pour relier l’arrivée. C’est donc au bout de 42h14mn11s, que je l’ai fait : embrasser cette pierre et devenir finisher de la Hardrock. Suivra plus tard une cérémonie bien américaine : chaque finisher est appelé par son nom et se voit remettre un certificat de finisher !
« Entrer dans la famille des finishers de la Hardrock »
Côté résultat, les Français – la plus grosse communauté après les Américains sur cette course – ont trusté le podium, avec Ludovic Pommeret (qui conserve son titre), Mathieu Blanchard 2e et Germain Grangier 3e chez les hommes, et une belle 2e place de Manon Bohard chez les filles derrière la favorite Katie Schide. Tous sont très accessibles.
Au final, qu’en penser ? C’est la fin de courses la plus dure que j’ai jamais vécue. Quatre jours après mes tendons et une grosse fatigue me le rappellent, mais ça va. Je sais qu’il me faudra trois semaines pour récupérer complètement.
Cette course est incontestablement difficile d’accès, vu le système de tirage au sort, mais la faire nous fait rentrer dans cette famille intimiste que sont les finishers de la Hardrock. Alors oui, j’aurais pu mieux faire, mieux m’entraîner, mieux m’acclimater, mieux repérer le parcours, et bien sûr terminer plus vite, mais l’important pour moi était ailleurs et l’objectif est atteint : I’m a hardrocker, baby ! »
Les trois conseils de Guillaume
1. Se montrer patient. Ne pas perdre espoir : vous aussi pourriez bien être tiré au sort !
2. Tenir le rythme des courses qualificatives.
3. Prévoir un budget assez conséquent : 7 000 euros minimum pour une famille de quatre personnes, entre les frais d’inscription, les billets d’avion et le séjour sur place (plus d’une semaine).